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Agriculture du littoral : Faut-il tirer la sonnette d’alarme ?

Ce texte est issu du colloque du Collectif des terres fertiles qui s'est tenu à Ramatuelle en 2011.

 

par François LEFEBVRE (Cnasea) et Marie TRIQUENAUX (Stagiaire)

L'évocation du littoral fait surgir de nos souvenirs des images ensoleillées de vacances et de farniente. Mais saviez-vous que le mot "littoral" n'est apparu en France qu'au 18ème siècle ? Le littoral a, du reste, longtemps été considéré comme un simple trait ou comme la zone de contact entre la terre et la mer. Et en ces temps, pas si lointains, le bord de mer, souvent considéré insalubre, était abandonné à des populations pauvres.

 

Le littoral, qu'est-ce que c'est ?

Mais définir le littoral n'est pas chose aisée. Communément, on le considère comme étant une bande de plusieurs kilomètres de largeur délimitée, côté mer, par la ligne des 300 mètres au delà de la limite des eaux, et, qui s'étend, côté terre, jusqu'à 5 kilomètres du rivage.  

D'un point de vue environnemental, le littoral est , on le sait, un milieu exceptionnellement riche qui renferme une mosaïque d'écosystèmes terrestres et aquatiques.

Depuis le début du 20ème siècle et plus particulièrement depuis trois décennies, les bords de mer bénéficient d'une attractivité exceptionnelle. De nombreux usages s'y côtoient et les activités traditionnelles telles que l'agriculture ou la pêche peinent désormais à se maintenir face à des activités plus lucratives liées au tourisme.

 

Des lois pour protéger le littoral

Cet engouement pour les côtes a, naturellement, incité les pouvoirs publics à se préoccuper du devenir du littoral.

Première étape de cet engagement politique : la création en 1975 du Conservatoire du Littoral dont la mission est d'acheter les espaces naturels littoraux pour les rendre inconstructibles. Le Conservatoire a acquis à ce jour 860 km de côtes soit 10% du linéaire côtier de métropole et d'outre-mer – son objectif est d’atteindre 30%.

La loi Littoral du 3 janvier 1986 est une étape importante : elle constitue un cadre législatif fondamental et a pour objet de limiter l'extension urbaine et de préserver les espaces les plus remarquables du littoral. Parmi les objectifs affichés figurent notamment le maintien ou le développement, dans la zone littoral, des activités agricoles.

 

Le grand rush vers la mer

Il n'empêche, malgré ces mesures de protection, la densité de population des bords de mer est d'ores et déjà deux fois et demie supérieure à la densité nationale (272 habitants au kilomètre carré contre 108). Voici plus d'un siècle Victor Hugo pestait déjà contre "toutes ces maçonneries dont on caparaçonne la mer". Mais avec 1000 km de côtes qui sont densément urbanisés et 2500 km qui le sont de façon plus diffuse sur un total de 5500 km de côtes autour de l'hexagone, le phénomène a explosé (2500 hab/km² sur le littoral des Alpes-Maritimes). Et cette pression est appelée à encore s'exacerber : 3.4 millions d'habitants supplémentaires devraient s'installer sur le littoral d'ici 2030 selon la Datar[1].

 

Et l'agriculture ?

L'état et le devenir de l'agriculture du littoral dans un contexte où le tourisme représente la moitié des activités productives posent bien des questions. Pourtant, « dans le cadre d'un développement durable, la présence [de l'agriculture] est primordiale tant sur le plan environnemental qu'économique »[2]. L'utilité d'un état des lieux de cette agriculture des bords de mer apparaît ainsi évidente. Le Cnasea a choisi d'analyser cette agriculture, puis de focaliser son attention sur les "forces vives" qui la constituent, en s'intéressant aux 1000 derniers agriculteurs qui se sont installés sur le littoral. Ne sont ce pas eux qui, après tout, représentent le mieux l'agriculture d'aujourd'hui mais aussi celle de demain ?

 

 

L'agriculture du littoral : une agriculture aux multiples visages mais déclinante

 

Entendons-nous tout d'abord sur le terme même "d'agriculture du littoral". Dans ce travail, l'agriculture du littoral s'apparente à l'agriculture se pratiquant sur les communes littorales maritimes. Uniquement orientée vers l'agriculture "terrienne", notre analyse a écarté les aquacultures d'eau douce et marine.

 

La disparition des terres agricoles

L'agriculture est clairement l'activité traditionnelle des littoraux. Elle y occupe encore près de la moitié de l'espace (45%), soit environ 700 000 hectares. Et on y compte environ 50 000 exploitations agricoles, ce qui représente 1/10 du nombre total des exploitations de France. Mais les statistiques sont impitoyables : la Surface Agricole Utile (SAU) a chuté de 17% entre 1979 et 1988 contre 3% à l'échelle nationale, soit 5.5 fois plus vite ; la chute a été de 6% entre 1988 et 1998 contre 2.6% pour la France entière, soit 2.5 fois plus vite. A titre d'exemples le Finistère a perdu 12 600 ha de terres agricoles entre 1979 et 1988 et les Alpes-Maritimes ont vu leur SAU divisée par 2 dans la décennie 80. Le littoral perd donc peu à peu sa vocation agricole.

 

1000 installations en 5 ans

Et ce ne sont pas les chiffres des installations des nouveaux agriculteurs qui pourraient rassurer. Cinq longues années[3] ont en effet été nécessaires pour installer les 1000 derniers chefs d'exploitations aidés[4]. Ce qui représente environ 200 nouveaux agriculteurs aidés par an. Sur cette même période, on compte un total d'environ 28 500 installations aidées sur l'ensemble de la France. Autrement dit, les installations aidées des communes du littoral ne représentent que 3.5% du total des installations aidées. Plus grave, le renouvellement des générations agricoles n’y est clairement pas assuré.

 

Une répartition géographique peu homogène

L'agriculture est en déclin sur l'ensemble des littoraux français, c'est une évidence, mais des disparités régionales non négligeables existent. Elles sont mêmes suffisamment marquées pour estimer qu'il est plus à propos de parler des agricultures du littoral plutôt que de l'agriculture du littoral. Ainsi, les départements bretons totalisent à eux seuls près de la moitié (42.9% exactement) des 1000 dernières installations aidées du littoral. L'arc méditerranéen (y compris la Corse) a accueilli près d'une nouvelle installation sur 4. Les régions où les agriculteurs se sont le moins installés sont la façade atlantique (17%) et les rivages de la Manche et de la Mer du Nord (16%).

 

Répartition géographique des 1000 dernières installations aidées

 

Région

Méditerranée

Manche et Mer du Nord

Bretagne

Pays de Loire et Charente

Aquitaine

Corse

%

 

18.5%

15.8%

42.9%

14%

3.1%

5.7%

 

Agriculture du littoral = agriculture périurbaine


La pression démographique, on l'a vu, marque fortement le littoral. Au point que l'agriculture littorale s'apparente aujourd'hui à l'agriculture périurbaine. Et ce phénomène s'amplifiera dans les années à venir. 58% de la croissance démographique française se concentrera d'ici 2030 sur les bords de mer. Le phénomène est déjà fortement ressenti par le monde paysan : les 3/4 des agriculteurs du littoral méditerranéen déclarent habiter dans une zone urbanisée.

 

Le littoral plébiscité par les citadins qui s'installent en agriculture.

Peu de différences distinguent les agriculteurs aidés s'installant sur le littoral des autres agriculteurs aidés : ils s'installent au même âge (29 ans en moyenne), la proportion de femmes est identique (20 à 25 % de femmes), et le niveau de diplôme, quoique légèrement inférieur, reste sensiblement le même.

En revanche, la différence est marquée quant à l'origine des chefs d'exploitation. Sur le littoral, on compte une plus grande proportion d'agriculteurs s'étant installés en dehors du cadre familial[5]. Cette catégorie d'agriculteurs que nous appellerons HCF (pour Hors du Cadre Familial) représente 36% des agriculteurs du littoral contre seulement 30% pour l'ensemble des installés, l’installation, souvent projet de couple, motivé entre autre par la recherche d’un meilleur cadre de vie l’expliquant.

 

 

Des exploitations modèles réduits

 

Taille des exploitations individuelle par région

 

Région

Méditerranée

Manche

Mer du Nord

Bretagne

Pays de Loire Charente

Aquitaine

Corse

SAU moyenne

 

15.6 ha

 

56.1 ha

 

27.6 ha

 

49.7 ha

 

25.2 ha

 

50.4 ha

 

Les exploitations du littoral sont beaucoup plus petites que leurs cousines du milieu des terres: la taille moyenne des exploitations individuelles aidées du littoral est de seulement 31 ha au moment de l'installation contre 43 ha pour l'ensemble des exploitations aidées. Les exploitations de plus de 100 ha sont peu courantes sur les bords de mer. Et ce constat vaut également pour les installations sociétaires. Evidemment, des différences régionales existent. Ainsi la superficie moyenne à l'installation est près de 4 fois plus petite sur l'arc méditerranéen (15 ha en moyenne) que sur les rivages du nord et de la Normandie (56 ha). La nature des productions et la pression foncière expliquent, on le verra plus loin, en partie, ces différences.

 

Sur le littoral, on travaille seul

Les nouveaux agriculteurs du littoral choisissent plus que leurs homologues de l'intérieur des terres, le statut individuel (46% contre 42%). Ce phénomène est encore plus répandu en Méditerranée où plus des 2/3 des exploitants sont en individuel. La taille réduite des exploitations de cette région et la présence plus nombreuse de HCF l'expliquent – ces derniers recherchant une autonomie importante dans le travail. A l'inverse, 70% des chefs d'exploitation des littoraux de Bretagne, Normandie et nord, ont opté pour le statut sociétaire. D'une manière plus générale, la main d'œuvre salariale est moins répandue dans les exploitations littorales. Là encore, la faible superficie des exploitations l'explique.

 

Des productions caractéristiques et marquées par les traditions

Même si l’élevage est largement représenté sur le littoral, ce sont bien des productions très caractéristiques qui marquent le paysage agricole de nos rivages. Aux premiers rangs d’entre elles, le maraîchage et l’arboriculture fruitière choisis par près d’un nouvel exploitant sur cinq, soit 4 fois plus qu’au niveau national. Viticulture et horticulture façonnent également l’identité agricole du littoral. Grande absente, en revanche, la culture de céréales n’est choisie que par 7% des nouveaux chefs d’exploitation. Cette absence marque, sur l’ensemble du littoral atlantique, une différence par rapport aux productions régionales de l’intérieur des terres.

Les productions du pourtour méditerranéen sont très spécialisées et à l’image des productions de l’intérieur des terres de ces régions : A eux seuls, la viticulture, les fruits et légumes et l’horticulture totalisent plus de 80% des productions. A titre d’exemple, 56% des nouveaux installés travaillent la vigne.

Les agriculteurs du littoral bretons sont éleveurs (68%) ou maraîchers (23%). Dans cette région, le maraîchage est une caractéristique du littoral : il est en effet très peu présent à l’intérieur des terres.

Sur les rivages de la Manche et de la Mer du Nord, les productions sont similaires à celles des terres où une très grande spécialisation est de mise : les 3/4 des nouveaux agriculteurs littoraux ont une production bovine. On appréciera la différence avec la Méditerranée.

Poids des traditions, toujours, en Corse où les élevages, non-bovins, mais types ovins ou caprins culminent à plus de 40% dans le choix des productions des jeunes installés.

 

L’agriculture : un atout pour le littoral ?

 

Le littoral est fragile. Son environnement est riche mais vulnérable. Et l’agriculture y joue un rôle paradoxal :

 

L’agriculture : un gestionnaire efficace de l’espace

L’environnement ne se limite pas aux aspects biologique ou chimique de la nature. L’environnement se parle aussi en terme de beauté des paysages ou d’espace libre. L’agriculture excelle dans ces derniers domaines :

  • Visuellement, elle contribue à l’entretien de l’espace et au maintien d’un paysage ouvert.
  • Elle permet de contenir l’urbanisation des côtes et évite l’apparition de friches sur les terres en attente de nouvelles affectations.
  • Elle lutte contre les risques d’incendies par l’entretien des terres, des chemins et parfois même par la nature des productions (exemple des vignes en Méditerranée).

Certaines pratiques de culture favorisent également la conservation de la biodiversité sur le littoral. L’élevage extensif d’ovins sur les prés-salés évite l’appauvrissement des sols par salinisation, par exemple.

 

L’agriculture source de pollutions du littoral

Les engrais chimiques, les pesticides et autre produits phytosanitaires utilisés par les agriculteurs ont, on le sait, un impact important sur la nature. Ils entraînent une pollution des sols mais aussi des fonds marins. Qui n’a pas entendu parler des algues vertes de Bretagne ? Mais attention, l’agriculture du littoral n’est pas seule responsable de la pollution agricole : la pollution vient également de l’agriculture de l’intérieur des terres et se propage jusqu’à l’océan via les cours d’eau ainsi qu’en témoignent les études scientifiques. La dégradation du milieu n’est bien évidemment pas homogène sur l’ensemble des côtes. La Bretagne, région traditionnelle agricole, où se pratiquent des méthodes intensives de production, est particulièrement exposée. A l’inverse, le littoral de la région Provence-Alpes-Côtes-d’Azur, peu agricole ne souffre guère de la pollution agricole.

La pollution est à l’origine de conflits avec d’autres usagers du littoral tels que les conchyliculteurs ou les prestataires touristiques.

L’assèchement des marais et autres zones humides au profit de l’agriculture, qui a bouleversé de nombreux écosystèmes, est une forme indirecte de pollution agricole. Ces politiques d’aménagement des zones humides sont aujourd’hui remises en cause, mais il paraît difficile de revenir en arrière.

Les méthodes de productions intensives sont, quant à elles, responsables de l’épuisement des sols.

 

De réels progrès dans la protection de l’environnement

Pourtant, 1 agriculteur interrogé sur 4 estime que le premier rôle de l’agriculture sur le littoral est un rôle environnemental. Et près des 2/3 des agriculteurs pensent même que l’environnement est suffisamment pris en compte sur leur territoire.

Alors c’est vrai, il y a eu de réels progrès : de gros efforts ont été fait en 30 ans en matière de gestion des déchets, de limitation des engrais ou de traitements phytosanitaires. De même, « l’auto-responsabilisation » des agriculteurs se renforce au sein de la profession.

 

Mais il faut aller plus loin

Pour autant, 1 nouveau chef d’exploitation sur 3 pense que des efforts restent à fournir. Et ce particulièrement autour du bassin méditerranéen (l’environnement n’y est pas suffisamment pris en compte pour 1 agriculteur sur 2). L’afflux touristique, l’urbanisation et les dégradations environnementales qui y sont associées, contribuent, naturellement, à ce constat. Les contraintes environnementales en matière de méthodes de production qui seraient moindres dans cette même région que sur les littoraux de la moitié nord du pays sont une autre explication : les zones protégées où les contraintes environnementales sont plus fortes y sont en effet plus présentes. Certains agriculteurs n’hésitent pas à réclamer une augmentation des encouragements financiers en faveur des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement telle que l’agriculture biologique. A contrario, ils proposent de réduire les aides en faveur des pratiques agricoles les plus polluantes. Ces mesures faciliteraient selon eux l’accélération de l’amélioration des pratiques environnementales des exploitations.

 

Protection du littoral : choix ou contrainte pour les agriculteurs ?

L’écrasante majorité des agriculteurs du littoral sont soumis à un cahier des charges environnementales. Il peut s’agir de règlements régissant les épandages ou de chartes de bonnes pratiques agricoles par exemple. Mail il y a des différences régionales : si en Bretagne ou dans le Nord/Normandie, plus de 9 agriculteurs interrogés sur 10 ont un cahier des charges à respecter, il ne sont plus que 2 sur 3 en Méditerranée.

Près de la moitié des agriculteurs ont également choisi de souscrire à des contrats environnementaux qui leur permettent de bénéficier de financement nationaux et européens. Il s’agit essentiellement de CTE[6], CAD[7] et de primes herbagères à l’extensification (PHAE).

Mais 2 agriculteurs interrogés sur 3 s’investissent dans des actions volontaires non rémunérées. Sont ainsi cités : l’entretien des haies, des fossés et des ruisseaux, la lutte contre les friches ou encore la limitation des traitements préventifs (pesticides).

 

 

Etre agriculteur sur le littoral : luxe ou enfer ?

 

La mer et le soleil


« Exceptionnel », c’est le terme le plus employé par les agriculteurs pour juger leur cadre de vie. La beauté des paysages et surtout le soleil plaisent, c’est une évidence. Quoi de plus normal alors que les agriculteurs ne s’installant pas sur la ferme familiale (les HCF), aient davantage choisi de s’établir sur les rivages méditerranéens (les HCF représentent 44% des installations littorales sur l’arc méditerranéen et jusqu’à 80% en Corse) que sur les bord de la mer du Nord ou en Normandie ? Le lieu d’installation, en ce cas, n’est pas dû au hasard, mais à la recherche d’un cadre de vie ou d’une production agricole spécifique.

 

Le climat : un atout pour produire

L’agriculture littorale se différencie du reste de l’agriculture pour 80% des nouveaux installés aidés. Et pour la moitié d’entre eux, les caractéristiques pédoclimatiques de l’agriculture du bord de mer sont le premier élément de spécificité. Et c’est un atout majeur : les gelées très exceptionnelles y permettent un allongement des saisons de productions, et la faible amplitude thermique met à l’abri des périodes caniculaires. A seulement une dizaine de kilomètres des côtes, la donne climatique change et les agriculteurs le savent bien.

Les sols, souvent de type alluvionnaire, sont propices au maraîchage.

 

Le tourisme source de revenus complémentaires

Le tourisme est clairement perçu comme un atout important pour l’agriculture. Un nouvel exploitant sur deux identifie l’afflux touristique à des possibilités en terme de complément de revenu, de meilleures valeurs ajoutées de leurs productions ou même d’alternative possible en cas d’effondrement de leur revenu purement agricole. Du reste, déjà 40% des agriculteurs du littoral installés depuis moins de cinq ans exercent une activité de diversification liée principalement au tourisme. Et 20 autres pourcent espèrent leur emboîter le pas d’ici quelques années.

 

Vive la vente directe

Au premier rang de ces activités, la vente directe est pratiquée par les 3/4 des agriculteurs qui se diversifient. Il s’agit de vendre du vin, des volailles, du fromages, des fruit et légumes ou encore des plantes en pot pour donner quelques exemples. L’hébergement via les chambres d’hôtes ou les gîtes ruraux et l’accueil à la ferme (ex : fabrication de cidre ou d’huile d’olive) sont d’autres modes de diversification répandus.

 

La diversification : une part importante du revenu

Au final, un agriculteur pratiquant des activités de diversification sur deux tire au moins la moitié de son revenu par ce biais. Région à fort potentiel touristique, c’est en Méditerranée et en Normandie que l’on profite le plus de la manne touristique. Quant aux agriculteurs, les anciens citadins et plus largement les HCF sont les plus entreprenants en la matière.

 

Mais attention, se diversifier n’est pas forcément une réponse à tout : D’abord ces activités demandent du temps, ensuite certaines productions, comme par exemple l’élevage, n’y sont pas toujours adaptées. Et puis il faut en avoir envie. Certains réfractaires n’hésitent pas à dire qu’ils n’ont « pas envie de faire la culture de touristes ».

 

Une surpopulation contraignante

L’accroissement des flux touristiques et de résidants permanents sur les côtes entraînent une augmentation de la densité de population nuisible aux chefs d’exploitation agricoles. Ces nuisances se concrétisent par :

  • des dégradations (incendies ,décharge sauvage) ou des vols de plus en plus nombreux
  • des conflits de voisinage avec les nouveaux venus (problème de servitude ou accès aux chemins agricoles clôturés par exemple).
  • des difficultés de déplacements (notamment avec les engins agricoles de gros gabarits),
  • des risques d’accidents accrus

 

Le rouleau compresseur de la pression foncière

Au delà du tourisme, la pression foncière (3/4 des agriculteurs s’estiment concernés) est le problème majeur : l’engouement de nos semblables pour les côtes a des répercussions importantes en matière d’urbanisation. L’urbanisation est un obstacle pour plus d’un agriculteur interrogé sur deux. Cette contrainte se traduit d’abord par une augmentation sensible et continue du prix des terres : « la terre est agricole mais le prix ne l’est plus ». Les urbains n’hésitent plus à acheter des terres agricoles inconstructibles aujourd’hui à des fin spéculatives, avec l’espoir de pouvoir construire à terme. La pression foncière, c’est aussi la raréfaction des terres disponibles. Pour répondre à ces freins, les agriculteurs se spécialisent dans des productions agricoles peu gourmandes en espace telles que le maraîchage ou l’horticulture, et portent leur choix sur des productions de qualité, notamment en viticulture, gages d’une meilleure valeur ajoutée et d’une plus grande stabilité des prix. Bien entendu, ces problèmes ne touchent pas uniformément tous les agriculteurs : si le prix d’un hectare de terre reste raisonnable sur le littoral vendéen ( environ 1 500 euros), il peut atteindre 15 000 euros dans le Var, voire plus. De même, les fermiers, locataires de leurs terres, sont plus exposés aux spéculations foncières de leurs propriétaires.

 

Le poids des réglementations

Se plaindre des règlements n’est pas original. Sur le littoral, un agriculteur sur quatre le fait. Ces récriminations sont de deux ordres :

  • Difficultés d’obtention de permis de construire. Problème plus spécifiquement méditerranéen, ces difficultés contraignent certains chefs d’exploitations à résider loin de leurs terres mais elles peuvent aussi empêcher la construction de bâtiments agricoles. Les conséquences, en terme de pérennité des exploitations sont alors parfois dramatiques en cas de mise aux normes obligatoires.
  • Réglementations environnementales : un agriculteur sur quatre les juge comme une entrave aux activités agricoles. A noter : les 3/4 des agriculteurs interrogés n’ont aucune relation avec les structures environnementales (Conservatoire du Littoral, DIREN, …). Et le 1/4 restant a des relations plutôt conflictuelles avec les dites structures.

 

 

Et l’avenir ?

 

Entre pessimisme …

60% des agriculteurs interrogés ont un jugement morose de l’état actuel de l’agriculture du littoral et ils sont même 75% à être inquiets pour l’avenir de leur profession. Le renouvellement des générations agricoles leur paraît, en particulier, préoccupant (seulement 4 installations aidées en cinq ans sur le littoral des Alpes-Maritimes). Pour les exploitants agricoles, il est clair que « le prix du foncier écrasera tout ».

 

… et détermination

Le milieu agricole ne cède pas pour autant au fatalisme. Une volonté d’aller de l’avant s’exprime :

  • Elle s’exprime via le désir (pour 3 agriculteurs sur 4) de plus en plus souvent exprimé de se mettre en réseau d’agriculteurs ou d’adopter des démarches concertées pour mieux valoriser leurs productions.
  • Elle s’exprime aussi par une prise de conscience (pour 9 agriculteurs sur 10) de la nécessité de mener des projets concertés avec les autres acteurs du littoral (hôteliers, restaurateurs, offices du tourisme, collectivités, …).

 

L’agriculture du littoral n’est pas ‘une ‘. Elle est au contraire, ce travail l’a montré, très diverse. Difficile, en effet, de comparer un éleveur bovin du Nord dont l’exploitation dépasse les 100 hectares avec un horticulteur des Alpes-Maritimes travaillant sur 2000 mètres carrés. La transmission d’un littoral préservé et d’une agriculture vigoureuse et respectueuse de l’environnement passent en tout cas par une concertation entre les acteurs locaux. L’avenir du littoral nécessite plus que jamais leur mobilisation.

 

[1] Datar = délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale.

[2] Y. Lebahy, un cadre d'aménagement et de gestion des espaces littoraux, Littoral, un dialogue terre-mer, 2001.

[3] Très exactement entre juin 1999 et avril 2004

[4] On entend par chefs d'exploitation aidés, les agriculteurs qui ont reçu la Dotation Jeune Agriculteur (DJA) au moment de leur installation.

[5] C'est-à-dire sans lien de parenté, au delà du 3ème degré de parenté, avec les précédents agriculteurs.

[6] CTE= Contrat Territoriaux d’Exploitation

[7] CAD= Contrat d’Agriculture Durable