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Agriculture et littoral : un avenir à haut risque

Ce texte est issu du colloque du Collectif des terres fertiles qui s'est tenu à Ramatuelle en 2011.


Peu peuplé et pauvre, telle était la réalité du littoral français jusqu'à la fin du 19ème siècle. Le 20ème siècle et plus particulièrement les trois dernières décennies ont transformé nos bords de mer. L'agriculture comme la pêche, activités traditionnelles du littoral, peinent désormais à se maintenir face à des activités plus lucratives liées au tourisme. L'extraordinaire attractivité dont bénéficie nos côtes a entraîné une urbanisation exponentielle depuis la fin des années 60 telle qu'aujourd'hui la densité de population y est 2 fois et demie supérieure à la moyenne nationale.

Pour répondre à ces changements rapides, les encadrer et protéger les exceptionnelles richesses environnementales de ce milieu très particulier, les pouvoirs publics ont créé le Conservatoire du littoral en 1975 puis ont adopté la Loi littoral en 1986. Le maintien ou le développement de l'agriculture dans la zone littorale des activités agricoles figurent dans les objectifs de cette loi.


 Une agriculture littorale en perte de vitesse


L'agriculture occupe encore près de la moitié de l'espace littoral (45%), soit environ 700 000 hectares. Et on y compte environ 50 000 exploitations, soit 1/10 du nombre total des exploitations en France.

Mais la diminution des surfaces agricoles est plus rapide sur les côtes qu'ailleurs. Cette diminution a été 5.5 fois plus rapide pendant la décennie 80 et 2.5 fois dans les années 90. Le constat est clair : l'agriculture littorale est en déclin et s'apparente à l'agriculture périurbaine.

La pression urbaine, issue des migrations de la population vers les rivages, et le tourisme en sont la cause. Et ce ne sont pas les 3.4 millions d'habitants supplémentaires devant s'installer sur le littoral d'ici 2030 (selon la DATAR) qui permettront d'inverser la tendance.

Les chiffres des nouvelles installations d'agriculteurs sont encore plus alarmants. Cinq longues années ont en effet été nécessaires pour installer les 1000 derniers chefs d'exploitation aidés (on entend par chefs d'exploitation aidés, les agriculteurs qui ont reçu la Dotation Jeune Agriculteur - DJA au moment de leur installation). Autrement dit, sur l'ensemble des communes du littoral de France métropolitaine, seulement 200 agriculteurs s'installent chaque année. Près de la moitié de ces installations concerne la Bretagne (43% exactement).


 Une agriculture bien particulière


L'installation en agriculture sur le littoral, plus encore qu'ailleurs, est un choix. Les agriculteurs s'installant hors du cadre familial (on les appellera HCF) y représentent 36% des nouvelles installations contre 30% au niveau national. Les HCF sont des citadins revenant à la terre, des étrangers ou même des enfants d'agriculteurs ne reprenant pas la ferme familiale et pour lesquels l'installation est un projet de vie et de couple motivé, entre autre, par la recherche d'un meilleur cadre de vie. Cadre de vie que la plupart d'entre eux juge " exceptionnel " : la beauté des paysages et le soleil plaisent, c'est une évidence.

Les exploitations que vous rencontrez sur le littoral ne sont pas à l'image de celles de l'intérieur des terres :

 Elles sont plus petites. Ainsi, la taille moyenne des exploitations individuelles aidées est de 31ha au moment de l'installation   contre 43ha au niveau national. Au niveau régional, elle est de seulement 15ha sur la bordure méditerranéenne et atteint 56ha   sur les rivages de la mer du Nord et de la Normandie ;

 oOn y travaille seul. La taille réduite des exploitations mais aussi la présence importante de HCF (souvent à la recherche d'une   grande autonomie dans le travail) explique que les agriculteurs du littoral adoptent, plus qu'ailleurs, le statut individuel. Le   phénomène est particulièrement marqué sur le pourtour méditerranéen (70% de statut individuel) ;

 oLes productions y sont souvent spécifiques. En particulier, maraîchage et arboriculture fruitière façonnent l'identité agricole   littorale. Si les productions sont à l'image régionale sur les rivages de la mer du Nord et de la Manche (3/4 des installés ont une   production bovine) et en Méditerranée (viticulture, horticulture, maraîchage), l'absence de céréaliers sur les bords de l'Atlantique   ou l'importante production maraîchère sur les rivages bretons et corses sont bien des caractéristiques de ces littoraux.


 Environnement : pour le meilleur et pour le pire


Face à la fragilité et à la richesse environnementale du littoral, l'agriculture joue un rôle paradoxal :

  •  Elle est un gestionnaire efficace de l'espace : elle contribue à l'entretien de l'espace, au maintien d'un paysage ouvert et à la   lutte contre les friches ; elle permet de contenir l'urbanisation et joue un rôle dans la prévention des incendies.
  • Elle est source de pollution directe par l'emploi de pesticides et autres produits phytosanitaires. Mais cette pollution qui arrive   sur les côtes via les cours d'eau est largement due à l'agriculture de l'intérieur des terres.
  • Par ailleurs l'agriculture a été source   de bouleversements d'écosystèmes par l'assèchement des marais. Mais cette politique d'aménagement des zones humides est   aujourd'hui remise en cause.
  • Pourtant l'agriculture peut, par certaines pratiques favoriser la bio diversité. C'est le cas, par   exemple, de l'élevage extensif d'ovins sur les prés salés qui évite l'appauvrissement des sols par salinisation.


Désormais un agriculteur du littoral sur quatre estime que le premier rôle de l'agriculture est un rôle environnemental. Des efforts ont été déjà fait et les pratiques changent. Plus de 8 agriculteurs nouvellement installés sur 10 sont soumis à des réglementations et plus de la moitié a souscrit, de manière volontaire, des contrats environnementaux. Pour autant un agriculteur sur trois interrogés pense qu'il faut aller plus loin et que des efforts restent à fournir.

Dans ce contexte, des relations sont sans doute à nouer entre agriculteurs et structures environnementales. Car pour l'heure, les ¾ des agriculteurs n'ont aucune relation avec ces structures (Conservatoire du littoral, DIREN, …). Et le ¼ restant a des relations plutôt conflictuelles avec elles.  


Les atouts climatique et touristique


" L'agriculteur des plages " est heureux de son cadre de vie entre mer et soleil. Il se félicite aussi du climat pour son métier de producteur. La douceur des hivers prolonge les périodes de production. A seulement une dizaine de kilomètres des côtes, la donne climatique change et les agriculteurs le savent bien. De surcroît, les risques de canicule sont moindre que dans l'intérieur des terres. Les sols, souvent de type alluvionnaire sont, quant à eux, propices au maraîchage.

Si le tourisme est dévastateur en terme d'installation d'agriculteurs, il contraint également les projets en terme d'agrandissement des exploitations : l'augmentation des prix du foncier (15 000 euros l'hectare voire davantage dans le Var) et le peu de surfaces disponibles interdisent souvent l'acquisition de nouvelles terres. Alors les chefs d'exploitation s'adaptent. Ils compensent la taille réduite de leurs fermes par des sources de revenus complémentaires issues du tourisme. Cet atout touristique se traduit par des activités de vente directe, d'hébergement, ou d'accueil à la ferme. Un agriculteur pratiquant des activités de diversification sur deux tire au moins la moitié de son revenu par ce biais.

Tous les agriculteurs ne peuvent bien sûr pas pratiquer ses activités. Plus facile de vendre sur les bords des routes un cageot d'abricots qu'une vache ! Et puis il faut avoir le temps et l'envie : tout le monde " n'a pas envie de faire la culture de touristes ".


 Un avenir à construire


Il n'empêche, le problème principal des agriculteurs du bord de mer, au delà des dégradations, des vols, des conflits de voisinage et des difficultés de déplacements dus à la surpopulation, c'est bien la pression foncière.

Les ¾ des agriculteurs s'estiment concernés par la pression foncière qui leur fait dire que " la terre est agricole mais le prix ne l'est plus ". Pour eux il est clair que " le foncier écrasera tout " et sont très inquiets pour l'avenir de leur profession sur le littoral. Le milieu agricole ne cède par pour autant au fatalisme. Sa détermination s'exprime par la volonté des agriculteurs de se mettre en réseau et par une prise de conscience (pour 9 agriculteurs sur 10) de la nécessité de mener des projets concertés avec les autres acteurs du littoral.