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Mélenchon : vite, une nouvelle constitution ! | Contrepoints


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Par Gérard-Michel Thermeau.

Jean-Luc Mélenchon, qui a le sens des priorités, a compris ce dont avait besoin notre pays. La France souffre d’un manque constitutionnel criant. La France a besoin d’une nouvelle Constitution. Vite, une VIe république !

Certes, les États-Unis ont conservé la même Constitution depuis 1789 et le Royaume-Uni n’a jamais eu de constitution écrite et ne s’en porte pas plus mal. Mais ces tristes représentants d’un libéralisme débridé asservi aux puissances financières ne sont vraiment pas des modèles à imiter pour un candidat d’extrême-gauche.

Il pourrait se tourner vers les États lumineux de la Méditerranée, telle l’Espagne qui en a connu treize et la Grèce quatorze. Mais le modèle indépassable reste, sans doute aux yeux de Mélenchon, le Venezuela, le pays aux vingt-six constitutions. On le conçoit sans peine, plus un pays a connu de constitutions, plus il est heureux.

La question qui se pose dès lors est combien de constitutions notre pays a-t-il connu ?
Cela commence mal

La réponse a priori paraît aisée. Onze constitutions ont vu le jour depuis la Révolution française. Mais en réalité les choses ne sont pas si simples. La France a en effet connu treize régimes politiques différents depuis 1789 et vingt-et-un textes constitutionnels ont été recensés. Sur ces vingt-et-un textes, quatre sont restés à l’état de projet, en 1793, en 1814, en 1943 et en 1946. Sur le total restant, cinq ne sont pas des constitutions au sens strict mais des lois votées pour organiser les pouvoirs publics.

Si l’on reprend la liste, cela donne le résultat suivant.

Le 3 septembre 1791, la Constituante accouchait après de longs et laborieux débats d’une première constitution qui établissait une monarchie limitée. Deux ans de discussions pour aboutir à un texte qui devait être suspendu un an plus tard ! L’expérience s’achevait par une journée révolutionnaire. Le 10 août 1792, les Tuileries étaient prises d’assaut et le roi se retrouvait prisonnier au Temple.

La première république devait user sans en abuser des textes constitutionnels.

Une merveilleuse constitution voyait le jour au sein de la Convention le 24 juin 1793. Là aussi, l’élaboration avait été difficile. Elle proclamait le droit à la subsistance des malheureux et le droit à l’éducation et instaurait un système de démocratie directe. Robespierre y voyait un « monument élevé à la raison humaine ». Mais, sous prétexte de la menace contre-révolutionnaire, le texte fut soigneusement enfermé dans une « arche en bois de cèdre ». Inutile de dire qu’il ne fut jamais appliqué.

En guise de droit à l’éducation, on persécuta les membres du clergé qui étaient alors les seuls capables d’enseigner. Comme droit à la subsistance, la misère régna en raison de la loi du maximum qui entraina la disparition des denrées sur les marchés.

Quant à la démocratie directe, elle prit la forme d’une dictature par des comités de la Convention. Seule l’égalité chère aux jacobins fut respecté : les paysans furent massacrés au même titre que les nobles par le pouvoir révolutionnaire.
Constitutions et coups d’État

Après la chute de Robespierre, la Convention accoucha d’une nouvelle constitution dite du 22 août 1795 ou de l’an III. Par peur d’une dictature, on décida d’émietter les pouvoirs. Deux assemblées faisaient face à un collège de cinq directeurs appelés le Directoire. La Constitution fut systématiquement bafouée. Soucieux d’éviter le retour au pouvoir soit des jacobins soit des royalistes, le Directoire n’hésita pas à casser le résultat des élections en s’appuyant sur l’armée. De coup d’État en coup d’État, un général ambitieux finit par prendre le pouvoir.

Napoléon Bonaparte établit son pouvoir par la Constitution dite de l’an VIII. Le régime prit d’abord la forme d’un consulat, puis d’un consulat à vie (1802) enfin d’un Empire (1804). Les lois étaient préparées par une assemblée, discutées par une deuxième, votées par une troisième et garanties par une quatrième. Autant dire que les « bavards » étaient réduits à l’impuissance au profit du seul maître de la France. La dictature qui reposait sur la gloire militaire s’effondra dès que l’ennemi envahit le pays. En 1814, Napoléon dût abdiquer. Il revint pour Cent jours en 1815 et fit voter des Actes additionnels qui ne seront jamais appliqués.
Constitutions et révolutions

Entre 1814 et 1830, à l’exception des Cent Jours, la France connut une Restauration de la monarchie. La Constitution prit le nom de charte constitutionnelle du 4 juin 1814. Acceptant une partie de l’héritage de la Révolution, c’était un texte de circonstance qui limitait le pouvoir royal. Charles X crut devoir la bafouer : il fut chassé après trois jours de combats dans les rues de Paris.

La charte constitutionnelle du 14 août 1830 établissait la monarchie de Juillet comme monarchie parlementaire. C’était un texte de compromis entre les orléanistes, partisans de Louis-Philippe et les républicains. Le roi des Français tenait son pouvoir du peuple et le drapeau tricolore devenait officiellement le drapeau national. Mais ce texte n’empêcha pas le roi d’être victime d’une nouvelle révolution en février 1848.

La Constitution du 4 novembre 1848 proclamait le suffrage universel masculin. Mais la seconde république devait être très éphémère. L’assemblée n’avait pas hésité à priver une partie des citoyens de leur droit de vote. Le président élu au suffrage universel, ne pouvant se faire réélire selon la constitution, n’hésita pas à faire un coup d’État.
Constitutions et guerres

Louis-Napoléon Bonaparte inspira la constitution du 14 janvier 1852. Président pour dix ans, il se fit proclamer empereur sous le nom de Napoléon III dès novembre 1852. Mais les difficultés et les échecs extérieurs amenèrent l’empereur à infléchir les institutions dans un sens plus libéral à la fin des années 1860. Un plébiscite triomphal en mai 1870 n’empêcha pas la chute brutale du régime avec la défaite de Sedan en septembre de la même année.

La Troisième république, la plus durable des républiques à ce jour, devait se passer de constitution au sens strict. Quatre lois constitutionnelles votées en 1871, 1873 et 1875 allaient organiser le nouveau régime. Le texte de ces lois ne sera d’ailleurs guère respecté. Le président de la République qui devait avoir de grands pouvoirs se vit réduire à l’impuissance. Le pouvoir exécutif revint au président du conseil dont les textes ne parlaient pourtant pas ! Régime parlementaire de plus en plus instable, la république mourut d’une défaite militaire en juin 1940.

Les parlementaires ayant confié le pouvoir au maréchal Pétain celui-ci allait gouverner seul hors de tout texte constitutionnel entre 1940 et 1944. Mais le régime de Vichy dépend du bon vouloir des occupants et va perdre peu à peu toute autonomie. Le projet constitutionnel ne devait jamais se concrétiser. L’État français était une dictature de fait et un régime sans nom.

À la libération, la France allait connaitre un pouvoir provisoire qui devait durer d’août 1944 à octobre 1946. En effet, il fallait d’abord attendre la fin de la guerre. Ensuite, une assemblée constituante élue en 1945, dominée par les partis marxistes, élabora un premier projet constitutionnel qui fut rejeté par les Français. Une seconde assemblée constituante dut donc être élue. Le second projet constitutionnel était finalement accepté du bout des lèvres par une minorité des électeurs le 27 octobre 1946. L’assemblée toute puissante allait renverser, selon ses humeurs, des gouvernements éphémères. La IVe république, imposée au pays par les politiques, jamais populaire, périt avec la guerre d’Algérie.
Et aujourd’hui ?

Arrivé au pouvoir dans des circonstances douteuses, Charles de Gaulle inspira la constitution actuelle de la France dite du 4 octobre 1958. Il imposa une pratique très éloignée du texte constitutionnel. Les périodes de cohabitation devaient révéler que les pouvoirs du président étaient pour la plupart non écrits. Sans majorité à l’assemblée, le président se révélait impuissant. En dépit des très nombreuses modifications qu’a subi la constitution depuis une dizaine d’années, le régime fonctionne de plus en plus mal. Près de soixante ans plus tard, le présidentialisme serait-il à bout de souffle ?

Que nous apprend ce rapide tour d’horizon ?

D’abord que la France a expérimenté tous les types de régimes et qu’aucun n’a jamais fonctionné correctement.

Ensuite que dans la plupart des cas, les constitutions n’ont jamais été respectées. Ce sont des chiffons de papier pour les détenteurs du pouvoir comme pour ceux qui souhaitent le renverser.

Enfin, que l’esprit des textes est souvent plus important que la lettre. La toute-puissance du président de la Cinquième comme l’impuissance du président de la Troisième ne résultent pas des textes constitutionnels.

Surtout que les circonstances pèsent d’un poids déterminant.

Alors à quoi bon changer de constitution ? Cela ne résoudra aucun problème si les pratiques ne changent pas.