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Agriculture : François Fillon laboure à rebours


Antoine de Ravignan

Selon le programme de François Fillon, les problèmes de l’agriculture française résident dans le « carcan des normes » dont les agriculteurs seraient prisonniers. Il faut les « libérer » et les « reconnaître comme des entrepreneurs à part entière ». La soi-disant complexité du droit des entreprises agricoles (ce droit n’étant en réalité pas plus complexe que le droit des sociétés en général) et l’excès de charges pesant sur les exploitations seraient un frein à leur compétitivité. Il faut donc abaisser les charges et les normes (environnementales notamment), innover et investir dans les technologies de pointe (les OGM entre autres) afin que l’agriculture française soit « forte et conquérante », selon le slogan de campagne du candidat Fillon. Concrètement, il s’agit de réduire le coût du travail et les normes pour renforcer les capacités productives de la France, qui ainsi importera moins et exportera plus, ce qui créera de l’emploi (« dans chaque exploitation, il y a du travail pour une personne de plus ! »).


Posture contradictoire

Cette vision procède d’un néo-mercantilisme impraticable. Impossible de vouloir exporter plus pour reconquérir des marchés extérieurs tout en fermant ses frontières aux importations. Car François Fillon prône aussi un retour au protectionnisme européen en matière d’agriculture (« je veux la préférence communautaire », dit-il). Ce n’est pas forcément une mauvaise idée. Mais on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre... Si on élève des barrières douanières sur les importations chinoises ou brésiliennes, il faut s’attendre à ce que la Chine ou le Brésil en fassent autant sur des exportations européennes.

La métaphore guerrière employée par François Fillon est tout à fait appropriée

Contradictoire, cette posture mercantiliste supposerait surtout de pouvoir renégocier l’accord agricole de l’OMC et tout le système de la PAC. Pour être « OMC compatible », la Politique agricole commune (PAC) a en effet progressivement abandonné dans les années 1990 son régime de soutien aux prix pour passer à un système d’aides directes aux producteurs. Revenir sur ces règles internationales est politiquement impossible, en tout cas sur le temps d’un mandat présidentiel. Et les remettre unilatéralement en cause équivaudrait à un « Frexit » doublé d’une sortie de l’OMC.

Par ailleurs, revenir à un régime de préférence communautaire sans politique de contrôle des volumes produits (François Fillon envisage au contraire une agriculture « conquérante ») pourrait aboutir à renouer avec les aberrations de la PAC des années 1980 : des subventions nourrissant des montagnes d’excédents à coût élevé pour le contribuable, exportés à prix de dumping sur les marchés des pays du Sud, avec des effets dévastateurs pour des paysanneries nombreuses et pauvres de ces régions. La métaphore guerrière employée par François Fillon pour décrire sa vision de l’agriculture est tout à fait appropriée.
Un programme politiquement et écologiquement impraticable

Il faut en outre se questionner sur les impacts environnementaux de l’abaissement du niveau des normes souhaité par François Fillon, normes au demeurant aujourd’hui très faibles. Mais il est clair que ce n’est pas un sujet pour le candidat. A tort. Car les capacités productives de l’agriculture française reposent qu’on le veuille ou non sur des bases environnementales : la terre et l’eau notamment. François Fillon ne se montre guère soucieux de la pérennité de ces facteurs de production, aujourd’hui affectés par des dégradations de tous ordres et qui seront d’une façon ou d’une autre encore plus touchés demain par les effets des changements climatiques.

On remarquera la disparition de toute référence aux avancées du Grenelle de l’environnement, alors que le candidat était à l’époque Premier ministre

De fait, les propositions de François Fillon n’abordent pas réellement la question de la qualité des sols et des eaux ou de la résilience face au changement climatique. De même, on remarquera la disparition de toute référence aux avancées du Grenelle de l’environnement (auquel n’est fait nulle mention), alors que le candidat était à l’époque Premier ministre : il n’est plus question d’objectifs chiffrés en matière de développement de l’agriculture bio et de ses débouchés ou de réduction de l’usage des produits phytosanitaires. L’un des (nombreux) risques du programme Fillon est de poursuivre dans la voie de la céréalisation de l’agriculture française à des fins d’exportation au détriment des cultures oléo-protéagineuses fixant l’azote de l’air et permettant une réduction des apports en engrais chimiques et donc de la pollution des eaux.

Politiquement et écologiquement impraticable, le programme néo-mercantiliste de François Fillon épouse en définitive les intérêts d’une fraction de la France agricole et évite de répondre à la question centrale posée à l’agriculture française. Cette question peut s’énoncer de manière simple. Les agriculteurs reçoivent, bon an mal an, 10 milliards d’euros d’aides publiques par an et ces aides, à la charge du contribuable, constituent l’essentiel de leur revenu. La question est donc la suivante : ce nécessaire soutien de la société française à son agriculture (sauf à brader sa sécurité alimentaire) doit-il ou non être assorti de conditions imposées à ses producteurs ? Conditions qui seraient d’une part la préservation des bases écologiques de la production et d’autre part le maintien voire l’augmentation de l’emploi agricole.

Rien dans le programme de Fillon n’est de nature à mettre un terme à la disparition des exploitations dans un contexte de chômage élevé

A cette question, la réponse implicite de François Fillon, telle qu’elle se dégage de son programme, est non. Les dégâts de l’agriculture sur l’environnement ne sont pas vraiment un sujet pour le candidat, qui préfère plutôt en finir avec le principe de précaution. Et rien dans son programme n’est de nature à mettre un terme à la disparition des exploitations (386 000 exploitations professionnelles en 2000, moins de 300 000 aujourd’hui) dans un contexte de chômage élevé. En effet, le problème clé de l’inéquitable répartition des aides et des rentes assises sur le foncier qui y sont attachées n’est tout simplement pas abordé.