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Tokamak d'Iter à Cadarache: des tests décisifs pour  la fusion nucléaire

Configuration du tokamak WEST, l’un des plus grands du monde, avec un rayon de tore de  2,40 m. C. ROUX/CEA

A plat ventre, on passe la tête à travers une fenêtre de 1 m² environ, où le cœur brillant d’une étonnante machine se dévoile. Autour d’un pilier central métallique se déploie un boyau circulaire aux luisantes parois en tung­stène. A l’intérieur, des ouvriers qui s’y déplacent courbés achèvent de tapisser le plancher et le sommet du tore d’une mosaïque de pavés, également faits de tungstène. A l’extérieur, la complexité de l’entrelacs de tuyaux et de câbles colorés (rouge, bleu, jaune, gris, blanc…) impressionne.

 

Dans quelques jours, cette « bouée » de 30 m³ sera hermétiquement fermée et pompée afin qu’y règne un vide presque parfait. Des atomes apparentés à l’hydrogène seront injectés à l’intérieur sous forme de petits glaçons propulsés par des canons. De puissants champs magnétiques de 4 teslas environ (80 000 fois plus que le champ terrestre) seront enclenchés pour guider ces particules chargées dans le tore en les écartant des parois. Enfin, des ondes radio chaufferont ces particules jusqu’à cent millions de degrés.

 

Reproduire ce qui se passe au cœur des étoiles

 

L’objectif des équipes du CEA de Cadarache (Bouche du-Rhône), responsables de ce nouvel instrument de la famille des tokamaks, baptisé WEST (pour Tungsten Environment in Steady-State Tokamak, le symbole chimique du tung­stène étant le W) : vérifier qu’un rêve un peu fou est réalisable. Reproduire de manière contrôlée sur Terre ce qui se passe au cœur des étoiles, ou dans une bombe à hydrogène : la fusion de noyaux ­légers pour dégager de l’énergie et la récupérer pour produire de l’électricité. Le procédé est nucléaire mais inverse de celui des centrales ­actuelles, qui cassent des noyaux d’uranium en noyaux plus légers, ce qui enclenche des réactions en chaîne et produit de l’énergie.

En fait, à Cadarache comme ailleurs dans le monde, d’autres expériences ont déjà prouvé que cela n’était pas irréaliste. « La machine précédente, Tore Supra, est même championne du monde », a lancé fièrement Alain Bécoulet, le directeur de l’Institut de recherche sur la fusion magnétique (IRFM), devant des journalistes invités au lancement de cette nouvelle étape. Première machine à utiliser des aimants supraconducteurs en bobine, ne dégageant pas de chaleur lorsqu’un courant électrique y circule. Record de durée pour un plasma, le terme savant pour désigner la soupe de particules chargées circulant dans le tore, maintenu pendant 400 secondes.

 

Pourquoi alors recommencer et n’avoir pas ­encore créé une étoile dans leur bocal ? Le volume de celui-ci est en fait trop petit pour réunir les conditions pour la fusion. Et d’ailleurs ni Tore Supra, ni WEST, construits sur la même structure, ne mélangent du deutérium et du tritium, les ­ingrédients les plus simples pour la réaction. Même JET, un autre tokamak installé au Royaume-Uni, pourtant un peu plus gros et qui a réuni les éléments de fusion, n’a pas dégagé plus d’énergie que celle apportée dans la machine. Il a atteint 67 % de ce seuil en 1997.

 

C’est pourquoi, en 2006, une collaboration ­internationale, regroupant aujourd’hui sept partenaires (Etats-Unis, Europe, Inde, Chine, Japon, Russie, Corée), a décidé de construire ITER, un tokamak trente fois plus volumineux que Tore Supra, afin de franchir ce seuil. Mais avant, plusieurs problèmes doivent être résolus. En chauffant à de telles températures des particules, les parois, même si elles sont protégées par les champs magnétiques, seront soumises à de rudes épreuves. « C’est comme une navette spatiale s’approchant et restant sur le Soleil », décrit Alain Bécoulet. En outre, des particules s’échappent des matériaux et rejoignent la soupe centrale, la refroidissant et contribuant donc à l’extinction de la « flamme » attendue. Il faut donc faire en sorte d’évacuer du cœur du plasma tout ce qui pourrait le perturber. Cela passe par l’ajout de champs magnétiques guidant vers le bas de l’enceinte ces cendres parasites.

 

Divertor et tokamak

 

La pièce particulière du plancher destinée à ­recueillir ces particules est appelée divertor. Son principe a déjà été testé avec succès. Mais jusqu’à présent du carbone était utilisé, or ­celui-ci a le mauvais goût d’être une éponge à tritium, l’un des précieux ingrédients. Impensable pour ITER qui aura donc des divertors en tungstène, qui n’attirent pas le tritium, mais dont il convient de tester notamment la résistance mécanique sous plus de 1 000 °C. Il faudra aussi vérifier l’effet de ce matériau (qui recouvre en fait toutes les parois) sur le contrôle du plasma central. C’est le but de WEST. « Le divertor est l’élément le plus critique d’un tokamak », assène Alain Bécoulet. Après le contrôle magnétique du plasma, c’est le second défi de la feuille de route de la collaboration ITER. Et, dans un ­futur lointain, à partir de 2050, lorsqu’un ­démonstrateur de production électrique sera éventuellement lancé, c’est par cette pièce que sera récupéré l’hélium, produit de fusion, et pompé le tritium résiduel pour être recyclé.

 

Dans ITER, le divertor sera assemblé en 54 « cassettes » de 10 tonnes chacune. WEST utilise les mêmes pièces, mais sur quatre mètres de diamètre seulement (contre douze à ITER). Trois ans de travaux, 25 millions d’euros et la collaboration avec 87 industriels ont été nécessaires pour modifier le squelette de Tore Supra. WEST testera aussi le refroidissement continu des ­divertors par de l’eau sous pression, comme dans ITER. Dans quelques semaines, l’installation tentera donc d’égaler sa performance précédente obtenue sans divertor et avec des parois en carbone.

 

A quelques centaines de mètres de là, les grues d’ITER et de son haut bâtiment d’assemblage dépassent de la cime des arbres. L’assemblage du réacteur n’a cependant pas encore débuté. Le chantier devrait s’achever, selon la dernière réunion du conseil d’ITER en novembre 2016, en 2025 (contre 2020 auparavant). Le coût total est difficile à estimer parce que les participants s’engagent non sur un budget, mais sur des livraisons de morceaux de la machine. Il dépasse les 20 milliards d’euros. Les premières fusions d’ITER sont attendues en 2035 mais JET devrait reprendre ses expériences de ce type en 2019, avec un divertor en tungstène non refroidi, des parois en béryllium et sur des temps très courts.

 

Si toutefois, entre autres péripéties, le départ du Royaume-Uni, pour cause de Brexit, du traité Euratom, par lequel passent les financements européens de JET comme ceux d’ITER, n’oblige à des innovations financières. Ou que la nouvelle administration américaine ne revienne sur ses financements. Il est bien difficile de ­décrocher des étoiles.

Lire aussi :   Duel de plasmas dans le monde naissant de la fusion nucléaire

Source: le Monde

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