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Trump et les démons de l'Amérique isolationniste

trump-world.jpgUne image frappante, tirée d'un vieux numéro du "New York Times magazine", a été partagée ces derniers jours des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux : on y voit une main effaçant d'un coup de peinture bleue, sur une mappemonde, tout ce qui entoure les Etats-Unis (cliquer sur l'image pour l'agrandir).

Depuis son investiture, Donald Trump semble tout faire pour couper son pays du reste du monde : il s’isole diplomatiquement, ferme les portes à l’immigration de sept pays musulmans (100 000 visas ont été refusés) poursuit sa politique commerciale protectionniste. Ce faisant, il s’inscrit dans plusieurs traditions américaines, pas des plus sympathiques.

"Red scare", la peur rouge

Son décret qui rejette pendant 90 jours toute personne de nationalité irakienne, syrienne , iranienne, yéménite, libyenne, somalienne et soudanaise n’a pas manqué d’être rapproché des décisions prises à partir de la fin du XIXe siècle : la loi sur les Chinois de 1884 (ceux-ci étant soupçonnés de se ruer sur l'or américain) qui sera étendue aux Japonais peu après ; la loi Johnson-Reed de 1924, instaurant des quotas sur les immigrants d'Europe de l'est.

A l’époque déjà, l'argument du risque terroriste était mis en avant par Washington pour justifier la restriction de l'immigration. Depuis la fin du XIXe siècle, une vague d’attentats avait secoué la planète et de nombreuses personnalités politiques avaient été assassinées : le président français Sadi Carnot (1894), le premier ministre espagnol Canovas del Castillo (1897), le roi Umberto d'Italie (1900)... Le président William McKinley lui-même avait été abattu, à Buffalo, en 1901 par un certain Leon Czolgosz, Américain né aux Etats-Unis mais d’origine polonaise. En 1920, après l'arrestation des militants anarchistes américains nés en Italie Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, des attentats avaient fait 38 morts dans le quartier de Wall Street.

Après la révolution russe de 1917, les Etats-Unis ont également été pris de la première "peur rouge" ("red scare") : la crainte d’une contagion bolchévique en Amérique. Il fallait donc contrôler l’arrivée des immigrants, parmi lesquels se trouvaient évidemment des "agents étrangers provocateurs" anarchistes ou communistes. Sur fond d'antisémitisme, les Juifs des pays d’Europe centrale étaient les premiers visés par le soupçon.


Surtout, de nombreux commentateurs américains ont également fait le parallèle entre les poignantes scènes vues cette semaines dans les aéroports américains et les épisodes tragiques de 1939, lorsque des paquebots transportant des réfugiés juifs (le Saint-Louis, le Flandre, l’Orduna) avaient dû, après avoir traversé l’Atlantique, faire demi-tour face à l’intransigeance américaine. Une grande partie des passagers, fuyant les persécutions nazies, avaient fini exterminés dans les camps.

Même si la comparaison avec ces événements est pour le moins délicate, leur souvenir hante les mesures prises par Trump. L'affaire des paquebots "est une tache morale sur la conscience de la nation, et c’est ce qui a conduit les Etats-Unis et les autres pays, après la guerre, à offrir aux gens persécutés les moyens de demander et de trouver asile", écrit ainsi Dara Lind sur Vox.


"America First”, l’Amérique d’abord


Pour justifier sa dureté face au reste du monde, le président américain utilise volontiers l’expression "America First". Elle renvoie à l’expression la plus contestable de l’isolationnisme américain. En 1940, un comité "America First" (l’Amérique d’abord) avait été fondé, pour tenter d’éviter l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Allemagne nazie.

On y trouvait, parmi ses 800.000 membres, d’authentiques pacifistes, des élus républicains, démocrates, socialistes, diverses personnalités (le romancier Sinclair Lewis, le poète E. E. Cummings, Walt Disney, l’actrice Lillian Gish ou l’architecte Frank Lloyd Wright…) mais aussi des personnalités antisémites voire sensibles aux sirènes nazies comme l’aviateur Charles Lindbergh ou le constructeur automobile Henry Ford.

Le comité a été dissous après l’attaque de Pearl Harbor par l’aviation japonaise et le slogan "America First" reste depuis radioactif dans la vie politique américaine. Ce n’est pas ce qui arrête Donald Trump, qui l’a utilisé avec insistance dans son discours d’investiture :
"A partir de ce jour, ce sera America First. America First. Chaque décision sur le commerce, sur les impôts, sur l'immigration, sur les affaires étrangères sera prise dans le but de bénéficier aux ouvriers américains et aux familles américaines.”

En mars déjà, Trump avait déclaré au "New York Times" :
"Je ne suis pas isolationiste, mais je suis America First. Aussi j’aime bien l’expression. Je suis America First."

A ceux qui lui ont fait remarquer que la référence à ce slogan n’était pas très heureuse, il a répondu en haussant les épaules. Il n’ignore pourtant pas l'origine de l'expression. En 2000, au sein du Parti de la Réforme il avait traité son concurrent, Pat Buchanan, qui faisait campagne sous ce même mot d’ordre d'America First, "d’adorateur d’Hitler"...


Protectionnisme et mercantilisme

Un peu comme dans la bible, me disait déjà l’an dernier l’historien Robert Paxton, on trouve dans les discours de Donald Trump tout et son contraire. L’homme se dit "libre-échangiste" ("free trader") mais dans son discours d’investiture, il a clairement mis la "protection" au coeur de son action :
"Nous devons protéger nos frontières des ravages causés par d’autres pays faisant nos produits, volant nos entreprises, et détruisant nos emplois. La protection conduira à une grande prospérité et force."

Ce faisant, Trump renoue avec une ancienne tradition républicaine, qui semblait avoir disparu depuis la guerre. De George Washington à Abraham Lincoln, les Républicains ont cherché à bâtir un mur tarifaire protégeant l’industrie américaine naissante. Selon certains historiens, le protectionnisme ferait même partie des piliers fondateurs de l'idée d'Amérique, la guerre d’indépendance ayant pour racine le déficit commercial avec l’Angleterre.

A partir des années 1930, cependant, le protectionnisme va prendre du plomb dans l’aile. La loi Smooth-Hawley qui relève les tarifs douaniers sur ces centaines de produits, imposée par le Congrès républicain au président Hoover, a plongé le monde dans une spirale délétère, celle de la guerre commerciale. Aujourd'hui, quasiment tous les économistes jugent que cette loi a profondément aggravé la crise économique et financière d'alors.

Après la guerre, les Américains, républicains comme démocrates, sont donc convertis au libre-échange. L’industrie de leur principaux concurrents, il est vrai, est alors sérieusement diminuée par les bombardements, et donc peu menaçante. Commence l’époque des grands accords internationaux multilatéraux : GATT, Kennedy Round, Tokyo Round, Uruguay Round… jusqu’à la création de l’Organisation mondiale du commerce. Le parti républicain, jusqu’à Donald Trump, a soutenu le principe du multilatéralisme (selon lequel on cherche à accorder le même traitement à tous les partenaires "normaux") et n’a plus renoué avec ses démons protectionniste. Dans sa plateforme de 2008, il accusait même Barack Obama d’être trop mou dans la recherche d’accords commerciaux, que ce soit avec les pays du Pacifique ou avec l'Europe...

Mais l’opinion américaine a commencé à basculer vers la fin des années 2000, du fait notamment des dégâts de la concurrence chinoise sur certains bassins d’emplois industriels américains. Trump a eu le flair politique de profiter de cette évolution.

Il a décidé de clore l'ère du libre-échange, et de revenir à celle des protections et des accords bilatéraux. Ce faisant, il est davantage "mercantiliste" que "protectionniste". Le protectionnisme se borne à vouloir freiner les échanges en fermant les frontières. Le "mercantiliste" n’est pas contre le commerce international, à condition que ce dernier serve son pays. Il l’imagine comme un jeu à somme nulle avec des perdants et des gagnants. Il joue sa partie en défense, mais aussi à l'offensive, en misant sur un rapport de force favorable. Dans ses écrits, depuis le début des années 1980, Trump est assez constant sur le sujet : il considère le commerce sous cette lumière mercantiliste : si vous êtes en déficit par rapport à un autre pays, vous êtes perdant, point barre.

Trump se retire de l’accord TPP... Et la Chine se frotte les mains

Le président américain entend donc renégocier un par un les accords qu’il juge défavorables aux Etats-Unis, à commencer par l'ALENA qui lie Mexique, Canada et Etats-Unis. "L’américainisme, et non le globalisme sera notre credo", avait-il déclaré lors de sa nomination comme candidat par le parti républicain.


Bol de spaghettis

Le mercantilisme, qui dominait les échanges en Europe entre le XVIe siècle et le XVIIIe siècle, repose sur une série d’accords, de franchises, de subventions et d’autres réglementations. Un complexe "bol de spaghettis", (pour reprendre l’expression de l'économiste Jagdish Bhagwati) qui, à la différence des accords multilatéraux de libre échange, mobilise des armées d’avocats et favorise les discriminations en fonction des pays. Ainsi, le même produit importé de Thaïlande ou de Birmanie sera taxé différemment, selon les accords passés avec l’un et l’autre pays.

Trump est à l’aise avec le bol de spaghetti. Il se targue d'être un bon négociateur (il a écrit un livre sur "L’art du deal") et entend mettre ce talent au service des Etats-Unis.

Les mesures spectaculaires prises ces jours-ci (rejet du TPP, augmentation des droits de douanes, coups de griffes contre l’Union européenne…) peuvent se lire comme la première phase d’une nouvelle vague de négociations bilatérales engagées tous azimuts. Extrait de "L’art du deal" :


"Mon style, pour parvenir à un deal, est assez simple et direct. Je vise très haut, et puis je pousse et pousse et pousse pour obtenir ce que je recherche. Parfois, je me contente de moins que ce je cherchais, mais dans la plupart des cas, je finis toujours avec ce que je veux."

Non, la Chine n’est pas devenue le leader de la mondialisation libérale

Donald Trump a cependant trois gros problèmes à résoudre : la Chine, l’Union européenne et le Congrès. Les Etats-Unis sont certes un grand pays, mais l’UE est un grand marché intégré et la Chine une grande économie qui ne cesse de se développer. S’il se débrouille pour braquer l’une ou l’autre, ce qui n’est plus un scénario fantaisiste, le contrecoup sera sévère pour les industriels américains. Son "art du deal" risque d’en prendre un coup, en terme de crédibilité.

Enfin, le Congrès, qui reste dominé par des élus favorables au libre-échange et sensibles aux arguments des entreprises de leur circonscription, pourrait bien à un certain stade décider de mettre le holà.

Source: nouvelobs.com Pascal Riché

 

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