Ainsi donc, ce n’est pas François Hollande qui défendra le bilan du quinquennat lors de l’élection présidentielle. Ce bilan reste cependant au cœur des débats de la primaire organisée par le Parti socialiste tandis que la droite comme l’extrême droite ou la gauche de la gauche continuent de le dénigrer. Alors, la France et les Français se portent-ils mieux qu’il y a cinq ans ? Un petit peu, mais pas suffisamment, notamment sur le terrain du chômage et de l’emploi.
Pour comprendre où nous en sommes aujourd’hui, il faut remonter jusqu’à la crise de 2008. A ce moment-là, l’économie française avait mieux résisté que les autres : la récession a été quasiment deux fois moins marquée en France qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni. La résilience de l’économie française a aussi été remarquable en 2010, lors de la crise de la monnaie unique. L’économie allemande a, elle aussi, tenu le choc, mais si l’Hexagone avait à ce moment-là suivi la pente des économies grecque, espagnole, portugaise ou encore italienne, l’euro n’existerait sans doute plus depuis longtemps. En devenant le « consommateur en dernier ressort » de l’Europe, la France a sauvé l’Union.
En devenant le « consommateur en dernier ressort » de l’Europe après la crise de 2008, la France a sauvé l’Union
Cette résilience est due surtout au fait que les dépenses publiques et le coût du travail n’ont pas baissé dans l’Hexagone. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, a en effet résisté aux instances de François Fillon, son Premier ministre, qui le pressait d’engager au plus vite une sévère cure d’austérité. En fin de mandat, il a cependant fini par céder à cette pression ainsi qu’à celle d’Angela Merkel. En 2012, il a augmenté sensiblement les impôts sur les ménages tout en approuvant le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) voulu par le gouvernement allemand pour pérenniser l’austérité budgétaire.
Rigueur budgétaire
C’est dans ce contexte que François Hollande est devenu président de la République. Avec, sur le terrain économique, un double message contradictoire : il entendait réduire rapidement les déficits publics pour revenir sous la barre des 3 % du produit intérieur brut (PIB) dès 2013, mais aussi renégocier le TSCG et obtenir la mise en œuvre d’une politique de relance concertée européenne.
Le nouveau président a cependant très rapidement laissé tomber ses velléités d’inflexion des politiques européennes. Il a fait ratifier le TSCG sans changement par le Parlement, pour se concentrer sur le rétablissement des comptes publics français en enclenchant, dès la fin 2012, une forte hausse des impôts prélevés sur les ménages. Cette hausse a certes touché surtout les plus aisés et permis de rétablir la progressivité de notre système fiscal, mise à mal par les baisses d’impôts successives décidées depuis le début des années 2000. Mais sa vigueur, venant après la forte hausse déjà décidée par Nicolas Sarkozy pour 2012, a déclenché une polémique sur le thème du « ras-le-bol fiscal ». Parallèlement, cette politique budgétaire récessive a contribué à aggraver le chômage, tout en n’atteignant pas son objectif en termes de réduction des déficits, faute de rentrées fiscales suffisantes dans une économie qui tournait au ralenti.
La France a continué à importer alors que ses voisins n’absorbaient plus ses exportations
La bonne tenue de la demande intérieure française pendant la crise de la zone euro avait eu par ailleurs des contrecoups négatifs. La baisse du coût du travail menée chez la plupart de nos voisins a entraîné dans son sillage une diminution des prix industriels. Comme ce coût du travail n’a en revanche pas reculé en France, les marges des entreprises hexagonales ont sensiblement baissé. De plus, comme la demande intérieure s’est fortement contractée ailleurs en Europe, les comptes extérieurs du pays se sont, eux aussi, dégradés : la France continuait à importer alors que ses voisins n’absorbaient plus ses exportations. Ce constat d’une compétitivité en berne fut au cœur du rapport remis par Louis Gallois au gouvernement à l’automne 2012.
En route vers la déflation
Combiné au chômage supplémentaire engendré par la politique d’austérité de 2012-2013, ce rapport a poussé le gouvernement à se tourner vers une politique de l’offre. Ou plus exactement de baisse du coût du travail, à travers la mise en place du crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice), puis du pacte de responsabilité en 2014. Il s’agissait de diminuer de 40 milliards d’euros par an les « charges » pesant sur les entreprises. Et cela tout en continuant de réduire les déficits publics, ce qui impliquait de réduire parallèlement les dépenses publiques de 50 milliards d’euros par an. Ces objectifs ont été poursuivis avec une rare constance jusqu’à aujourd’hui : cette baisse du coût du travail constitue donc au final l’essentiel du bilan du quinquennat sur le plan économique, bien que ce sujet n’ait à aucun moment fait partie du programme du candidat Hollande…
La baisse du coût du travail constitue l’essentiel du bilan du président sur le plan économique, alors qu’elle n’a jamais fait partie de son programme
Le pacte de responsabilité consistait en pratique à engager à son tour l’économie française dans la spirale déflationniste dans laquelle le reste de l’Europe était entré avant nous. Cette politique n’a pas porté ses fruits. Les marges des entreprises se sont certes redressées significativement. Mais sous l’effet de l’austérité, la demande intérieure a stagné. Tandis que la demande extérieure est restée limitée, faute d’une part d’une offre adaptée — la compétitivité n’est pas seulement une affaire de coûts — mais aussi parce que nos voisins ont continué, eux aussi, à mener des politiques déflationnistes, limitant d’autant l’avantage concurrentiel dégagé par le pacte de responsabilité.
Du coup, les entreprises, qui disposaient encore de nombreuses capacités inutilisées, n’ont guère investi ni embauché. Comme cette politique déflationniste était toutefois plus accentuée chez nous que chez nos voisins, elle a contribué à faire décrocher l’économie française par rapport au reste de la zone. Elle n’a cependant pas empêché une timide reprise de l’activité et de l’emploi en fin de quinquennat, grâce à l’effet – massif – de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), à la baisse de l’euro et à la division par deux du prix du pétrole. La rigidité persistante des salaires français, dont la hausse a ralenti moins vite que celle des prix, a permis en effet de donner un peu de pouvoir d’achat supplémentaire aux salariés. Ces conditions externes extraordinairement favorables auraient cependant dû entraîner des niveaux de croissance nettement plus élevés.
Passage en force
L’inefficacité manifeste du pacte de responsabilité a poussé le gouvernement dans une fuite en avant pour libéraliser davantage l’économie française, et en particulier son marché du travail, avec notamment la loi dite « Macron » en 2015, puis la loi travail en 2016. Au début du quinquennat, le gouvernement avait recherché en priorité dans ces domaines un accord entre patronat et syndicats. En fin de mandat, engagé dans une course pour inverser coûte que coûte la courbe du chômage, l’exécutif a privilégié au contraire le passage en force.
L’inefficacité du pacte de responsabilité a poussé le gouvernement dans une fuite en avant pour libéraliser davantage l’économie française
Entre cette inefficacité et ce passage en force, le bilan économique et social du quinquennat a logiquement participé de façon décisive à l’impopularité de l’exécutif. Aurait-il pu en être autrement ? S’il n’était pas possible de modifier le cadre européen, le gouvernement français n’avait pas d’autre choix que de mener la politique déflationniste qu’il a menée pour compenser la perte de compétitivité-coût accumulée pendant la crise vis-à-vis de nos voisins. Tout en réduisant les déficits publics, non seulement pour satisfaire Angela Merkel, mais surtout pour éviter que la France devienne la cible des spéculateurs. François Hollande a échoué parce qu’il n’a pas essayé de changer la donne européenne, mais s’il l’avait voulu, l’aurait-il pu? « That is the question. »