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Faut-il mettre en place un revenu de base ?

Réponse en trois points par Alternatives Economiques

1. Une idée ancienne remise au goût du jour

En cet automne, la question d'un revenu de base (ou d'existence, ou encore universel, selon les préférences sémantiques) est au coeur du débat public. L'ex-ministre Benoît Hamon en a fait la mesure phare de sa candidature à la primaire socialiste, tandis qu'en face, Nathalie Kosciusko-Morizet l'a choisi elle aussi comme marqueur dans la primaire de la droite. Les sénateurs de droite Jean-Marie Vanlerenberghe (UDI) et de gauche Daniel Percheron (socialiste) viennent de présenter ensemble un rapport sur le sujet. Plus concrètement encore, le département de la Gironde veut l'expérimenter en 2018, tandis que le Premier ministre Manuel Valls s'est lui aussi emparé de l'idée en septembre dernier, suite à un rapport remis par Christophe Sirugue au printemps. Et on ne compte plus les débats et les écrits sur ce sujet tant dans la sphère citoyenne que chez les universitaires, comme par exemple la journée de travail que l'OFCE y a consacré le 13 octobre dernier.

Mais de quoi s'agit-il au juste ? Pour la plupart de ceux qui le défendent, il s'agit d'un revenu qui doit être universel, individuel et inconditionnel. Universel, c'est-à-dire versé à tous, sans distinctions. Individuel, car il ne doit pas tenir compte de la situation de famille des personnes, contrairement à la plupart des minima sociaux actuels. Et inconditionnel, parce que l'Etat ne doit rien exiger en contrepartie de son versement.

L'idée est ancienne. On en situe généralement l'origine chez Thomas More, l'inventeur de l'utopie au XVIe siècle. Elle est reprise ensuite par le grand révolutionnaire franco-américain Thomas Paine au XVIIIe siècle ou encore, plus près de nous, par des gens aussi divers que le philosophe John Rawls, le pasteur Martin Luther King ou l'économiste ultralibéral Milton Friedman.

Ce qui donne autant d'attrait aujourd'hui à cette idée, c'est évidemment la profondeur de la crise que traversent nos économies depuis plus de quarante ans maintenant. Mais comme souvent avec les idées qui soulèvent un enthousiasme quasi unanime, il faut y regarder de plus près…

2. Un diagnostic erroné

Beaucoup de ceux qui défendent le revenu universel le font au nom de l'idée que le plein-emploi serait devenu un objectif inatteignable. Ils considèrent notamment que les technologies numériques vont aggraver encore le chômage à l'avenir. Le revenu universel serait donc un moyen de s'adapter à une situation durable, où seule une fraction de la population en âge de travailler produirait des richesses et occuperait un emploi rémunéré.

Ce n'est pourtant pas le rouleau compresseur de l'automatisation qui est à l'origine de nos difficultés actuelles : au contraire, dans toutes les économies développées, les gains de productivité (*) n'ont jamais été aussi limités que ces dernières années depuis la Seconde Guerre mondiale. Et pour l'avenir, si le numérique va, à n'en pas douter, bouleverser la plupart des activités et faire disparaître de nombreux emplois, il n'y a guère de raisons de considérer que cela devrait nécessairement aggraver le chômage global. Pas plus que ne l'avaient fait l'introduction des métiers à tisser mécaniques au XIXe siècle ou des chaînes de production au XXe.

L'idée que les machines seraient capables de produire des richesses à notre place, richesses qu'on pourrait donc prélever et répartir sans difficulté, est une illusion : seul le travail humain est capable de générer des richesses monétaires supplémentaires. Une machine ne fait que restituer dans les services et les produits qu'elle contribue à produire le travail humain qui a été nécessaire pour la fabriquer. L'emploi rémunéré n'est donc pas près de perdre sa centralité dans une économie monétaire…

3. Des avantages et des inconvénients

Malgré cela, le revenu universel offre de nombreux avantages. Il permettrait, tout d'abord, de simplifier la tâche de l'Etat, qui n'aurait plus besoin de s'assurer que les personnes répondent bien à tel ou tel critère pour recevoir tel ou tel minimum social. Avec surtout, en contrepartie, beaucoup moins de stigmatisation et de contrôle bureaucratique pour les pauvres. Pour que la protection sociale soit généreuse et efficace, il faut en effet toujours qu'elle soit universelle. Si les riches n'en bénéficient pas eux aussi, ils font pression pour que les pauvres reçoivent moins et soient davantage contrôlés… Et ils obtiennent gain de cause !

Un revenu universel exercerait aussi une pression positive sur la qualité des emplois proposés : puisqu'il dispose d'un revenu de base inconditionnel, un individu n'est plus contraint d'accepter n'importe quel boulot mal payé avec des conditions de travail dégradantes. Cela oblige donc un pays à se positionner dans la division internationale du travail autrement que dans le low cost. Avec des limites évidentes dans le contexte actuel : si cette pression amène trop d'emplois à disparaître pour se localiser ailleurs, il n'y aura plus suffisamment de richesses à répartir pour se payer le luxe d'un revenu universel.

C'est là que l'on rejoint la question délicate du niveau de ce revenu et de son financement. Un revenu universel à 500 euros par mois (le RSA est actuellement de 535 euros mensuels pour une personne seule sans enfant) représenterait en France 400 milliards d'euros par an, soit 18 % du produit intérieur brut (PIB) [1]. Si on veut placer la barre à 1 000 euros, on double la mise et il faudrait mobiliser pour cela 36 % du PIB.

Cette allocation pourrait remplacer plusieurs prestations sociales existantes même si une telle simplification pose aussi des problèmes difficiles. C'est l'objet du rapport Sirugue et des projets de Manuel Valls qui visent en réalité davantage à fusionner les minima sociaux qu'à créer un véritable revenu universel. Mais l'ensemble de ces minima n'a jamais représenté que 23 milliards d'euros en 2013, soit 1,1 % du PIB…

On pourrait aussi amputer les indemnités chômage ou les retraites d'un montant correspondant. Mais on resterait encore loin du compte : il manquerait toujours de l'ordre de 10 points de PIB pour financer un revenu universel à 500 euros et de 20 points à 1 000 euros. Quid en effet des 28 millions de Français qui occupent un emploi rémunéré et reçoivent très peu de prestations sociales ?

Il n'y a guère que deux possibilités. La première consiste en une réduction drastique des autres dépenses publiques. Dans l'optique libérale d'un Milton Friedman, le revenu universel devait se substituer quasiment à l'ensemble de l'action publique : on verse un montant à chacun et chacun se débrouille ensuite pour acheter sur le marché des services d'éducation, de santé, de transport, de logement, etc.

La seconde consiste à accroître fortement les prélèvements et donc, si on ne veut pas alourdir le coût du travail, à réduire d'autant les salaires nets. Autrement dit, l'Etat verserait désormais une bonne partie des salaires à la place des entreprises. Le large consensus actuel autour du revenu de base risque fort de ne pas résister à un examen plus précis des conditions de sa mise en oeuvre…

* Gains de productivité : hausse de la quantité de richesse produite en un temps de travail donné.

En savoir plus

"Faut-il défendre le revenu de base ?", L'Economie politique n° 67, juin 2015 (www.leconomiepolitique.fr/faut-il-defendre-le-revenu-de-base-_fr_pub_1385.html).
"Repenser les minima sociaux, vers une couverture socle commune", rapport présenté par Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, avril 2016 (https://lc.cx/op2d).
"Le revenu de base en France : de l'utopie à l'expérimentation", Note de synthèse du Sénat, octobre 2016 (www.senat.fr/rap/r16-035/r16-035-syn.pdf).
"Le revenu de base, de l'utopie à la réalité ?", Fondation Jean Jaurès, mai 2016 (https://jean-jaures.org/nos-productions/le-revenu-de-base-de-l-utopie-a-la-realite).
"Comment peut-on défendre le revenu de base ?", par Guillaume Allègre, Les notes de l'OFCE, décembre 2013 (www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2013/note39.pdf).
"LIBER, un revenu de liberté pour tous", par Gaspard Koenig et Marc de Basquiat, Génération libre, avril 2014 (www.generationlibre.eu/dossiers/liber-un-revenu-de-liberte-pour-tous-2).
Mouvement français pour un revenu de base : www.revenudebase.info
Journée d'études de l'OFCE sur le revenu d'existence : www.ofce.sciences-po.fr/seminaires/event.php

Guillaume Duval
Alternatives Economiques n° 362 - novembre 2016

 Notes

  • (1) Les tenants du revenu universel envisagent cependant le plus souvent une allocation réduite pour les enfants.