2016, l’explosion des fake news… qui ne doit pas nous faire oublier les informations biaisées présentes dans tous les médias "sérieux"
Même si les fake news sont omniprésentes à l'ère de l'information sur les réseaux sociaux, il ne faut pas pour autant oublier les travers des médias traditionnels. Ces derniers se révèlent ainsi souvent dans l'incapacité de penser contre eux-même et sont régulièrement les inconscientes victimes d'idéologies sous-jacentes.
On est tous le propagandiste de quelqu'un...
Publié le 24 Décembre 2016
Atlantico : Plusieurs articles de la presse américaine ont attribué aux services russes un rôle-clé dans la dissémination de fausses informations sur les réseaux sociaux pendant l'élection présidentielle américaine (lire ici en anglais). En guise de réponse, un membre du parti démocrate allemand a récemment proposé une loi qui, si elle était adoptée, obligerait les entreprises comme Facebook à mieux les identifier. Pour autant, beaucoup de choses qu'on lit ou entend dans les médias traditionnels adoptent parfois des points de vue biaisés de la réalité. Comment selon vous cette propagande inconsciente des médias se matérialise-t-elle en France ?
Romain Mielcarek : La "propagande inconsciente", ça n'existe pas. La propagande est un acte politique volontaire et réfléchi. On peut y participer parce qu'on croit à ces idées. Des individus ou des organismes peuvent aussi se retrouver à relayer cette propagande de bonne foi et sont alors eux aussi des victimes de la manipulation que représente la propagande. Vous évoquez ici deux situations bien différentes. Si les services de renseignement russes ont disséminé des informations pour influencer l'élection américaine, il s'agit de ce que l'on appelle une "opération d'information" ou une "opération psychologique". Il s'agit de pousser une audience cible, grâce à une information ou un message, à adopter un comportement ou une attitude spécifique. Par exemple, si l'on souhaite faire élire Trump contre Clinton, on va chercher à pousser la population américaine à se méfier de Clinton. Pour cela, on va pouvoir révéler des informations sur les relations entre l'une de ses conseillères et le pouvoir saoudien. Si cette information est fausse, c'est une action de "désinformation". Si cette information est vraie, c'est une action de "propagande". Si le message vient des médias publics russes et sort de la bouche d'un diplomate, par exemple, il s'agit de propagande ou de désinformation "blanche" : on connaît l'émetteur. Si le message vient d'une source inconnue, à travers les réseaux sociaux par exemple, on parlera de propagande ou de désinformation "noire" : on ne connaît pas l'émetteur.
Les accusations concernant une influence russe dans l'élection américaine sont elles vraies ? Moi, je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que les services de renseignement américains le disent. Je sais également que l'Union européenne et plusieurs services de renseignement européens, dont les Français, ont exprimé des inquiétudes similaires ces derniers mois.
L'autre sujet que vous évoquez est celui d'un éventuel biais dans les médias. Je ne sais pas ce que sont les "médias traditionnels" et je ne vois pas ce qui permet d'affirmer que leurs points de vue sont plus "biaisés" que ceux des autres. Entre Arte, BFMTV, France 2, Libération, Le Monde Diplomatique, France Inter, RMC, Mediapart... Il me semble qu'il y a suffisamment de diversité d'opinion et d'information pour que l'on puisse avoir un panorama assez large. Il y a bien souvent des points de vue caricaturaux infligés par des personnes, journalistes ou citoyens, pour réduire la pensée et le contenu informationnel. Prenons un exemple : les insurgés syriens sont-ils des terroristes djihadistes ou des rebelles démocrates ? On trouve facilement tout un tas de débats vides de sens entre des partisans de l'une ou l'autre thèse. Pourtant, en cherchant un tout petit peu, on trouve un monceau d'enquêtes, d'études, de reportages précis sur le sujet. Il n'est pas difficile de découvrir qu'il existe une multitude de groupes armés combattant en Syrie, certains étant djihadistes, d'autres non, certains étant ouverts à la démocratie, d'autres non. Dire que les rebelles syriens sont des terroristes ou qu'ils sont des démocrates n'est pas un fait. C'est une opinion. Des médias défendent les deux hypothèses. Sont-ils biaisés ? Peut-être. Ils sont en tout cas convaincus. Ils croient à cette hypothèse. Qui est en réalité indémontrable : les faits montrent bien qu'il n'y a pas de réponse manichéenne à cette question et que la multitude d'acteurs présents dans cette guerre a des motivations, des convictions et des méthodes très différentes.
Qu'en est-il des sujets d'ordre économique, notamment sur le libre-échange ? Sur quelles idéologies se basent-elles le plus souvent ?
Christophe Bouillaud : Il n’est pas très difficile de constater que l’immense majorité des journalistes qui traitent des sujets économiques en France et ailleurs en Europe adoptent une vision platement néo-libérale des sujets économiques. Cette tendance se nourrit d’abord de la formation reçue dans les universités et parfois dans les écoles de journalisme, et ensuite d’un certain conformisme institutionnel des journalistes. Ces derniers tendent à répéter ce que leur affirment les autorités auprès desquels ils s’informent. Le correspondant permanent de France Inter auprès des institutions européennes quand il parle d’économie européenne constitue un bon exemple de ce conformisme au demeurant sans doute bien intentionné. Il ne s’agit donc pas tant d’idéologie – au sens d’un choix conscient et affirmé pour une option politique – que d’une suite de mécanismes de pensée induits par un environnement où les mêmes banalités sont répétées jusqu’à devenir des évidences. Par exemple, la confusion entre le budget d’un ménage et celui d’un Etat – qu’on retrouve aussi chez de nombreux politiciens de droite comme de gauche – finit par être devenue une évidence à force d’être répétée. Ces visions erronées sont cependant moins présentes dans les pages des meilleurs journaux économiques du continent, comme le Financial Times par exemple. L'une des vraies difficultés pour avoir une information correcte en la matière réside sans doute dans la disparition des journalistes formés par la pratique sur un sujet particulier et réfléchissant par eux-mêmes. La mort du "rubricard" à l’ancienne formé sur le tas constitue sans doute l’un des drames inaperçus de l’information contemporaine.
Sur le libre-échange, les médias les plus diffusés ont eu tendance dans leurs rubriques économiques à ne souligner que les aspects positifs de ce dernier. L’oubli des aspects négatifs a été lié à une vision optimiste des choses inspirée par une vision tout à fait classique de l’échange international : les gains sont censés être tels que de toute façon il y aura toujours de quoi indemniser les perdants éventuels de ces échanges accrus qui font beaucoup d’heureux et peu de malheureux. C’est exactement le discours de justification du CETA, le traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Cette vision classique s’avère largement fausse : il y a plus de perdants que prévu, et des gains moindres que prévu.
Source: atlantico.fr
Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis. Voir la bio en entier
Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant , formateur et consultant. Il est membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Voir la bio en entier
Pascal Engel est philosophe. Il est spécialisé dans la philosophie de l'esprit, de la connaissance, ainsi que dans celles de la logique et du langage. Voir la bio en entier