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Le bail rural, un carcan pour le propriétaire - Location

 

En période de crise, la terre est une valeur refuge. Elle résisterait même mieux que ­l’immobilier traditionnel. Les prix du foncier rural sont restés fermes et réguliers et, si l’on en croit les spécialistes, il ne fait pas de doute qu’ils devraient continuer à croître. D’autant que les terres en France se situent encore bien en dessous de leur équivalent chez nos voisins européens.


Dans une large majorité des cas, ces terres sont vendues « occupées », c’est-à-dire qu’un (ou plusieurs) agriculteur(s) en est locataire et les exploite. Si elles sont vendues libres, et que l’investisseur désire en tirer un revenu, elles devront être louées à un agriculteur. Or, en droit français, la location d’une terre, dès lors qu’elle fait l’objet d’une contrepartie onéreuse quelle qu’elle soit, tombe sous le statut du fermage, réglementé par les articles L. 411-1 et suivants du Code rural et prend alors la dénomination de « bail rural ».


Ce que les investisseurs ne savent pas toujours, c’est que le bail rural – quasi incontournable pour qui souhaite percevoir un revenu de sa terre – est un véritable carcan juridique pour le propriétaire. Le statut du fermage, établi en 1946 est, comme la loi de 1948 en matière d’habitation, empreint d’une volonté très affirmée des pouvoirs publics de limiter le pouvoir du propriétaire bailleur. En conséquent, il institue un régime ultra-protecteur du locataire, au détriment du droit de propriété du bailleur et ce, à bien des égards. Dans un tel contexte, les relations entre les deux parties sont très conflictuelles et finissent, dans bien des cas, devant le tribunal. D’autant que le locataire n’est pas, en général, le moins bien informé des deux quant à la connaissance de ses droits.


Par ailleurs, la majorité des dispositions du Code rural relatives au statut du fermage, et plus précisément celles relatives à la conclusion d’un bail rural, sont d’ordre public. Ce qui signifie que toute clause tendant à passer outre ces dispositions sera réputée non écrite. La liberté des parties au contrat est donc très limitée.

Des loyers fixés par l’État

Héritage de la politique de contrôle des pouvoirs publics sur l’organisation du monde agricole de l’après-guerre, les loyers de la terre sont fixés par l’État. Dans chaque département, un arrêté préfectoral fixe en monnaie (et non plus en denrées) les minima et maxima des valeurs locatives des biens loués à usage d’exploitation agricole, révisés au plus tous les six ans. Ce texte fixe le loyer annuel par hectare loué des terres nues et des bâtiments d’exploitation, en distinguant toutefois plusieurs catégories de terres, en fonction de leur qualité et de leur rendement. Les prix diffèrent selon les départements et les régions naturelles. Mais, force est de constater que les loyers autorisés sont peu élevés. En Charente, par exemple, les meilleures terres doivent se louer entre 92,95 et 140,78 €/ha par an. Les moins bonnes entre 20,31 et 52,04 €/ha par an… et même dans le Nord-Pas-de-Calais, où les terres sont plus cotées, de bonnes terres peuvent se louer entre 180,38 €/ha par an et 204,98 €/ha par an, dans le secteur de Béthune. La négociation ne peut se faire que dans cette fourchette, et si le loyer s’avère non conforme à l’arrêté préfectoral, il peut être remis en cause en cours de bail, après une période de trois ans. Toutefois, pour les baux ruraux à long terme – dix-huit ou vingt-cinq ans –, les arrêtés préfectoraux peuvent prévoir, ce qui est généralement le cas, une majoration de 15 % à 20 %. Le fermage fixé par arrêté est actualisé chaque année selon la variation de l’indice départemental des fermages arrêté par le préfet.
L’arrêté préfectoral fixe également les loyers des bâtiments d’habitation. Ils sont eux aussi très faibles, révisables chaque année en fonction des références de loyers publiées par l’Insee.


À ce fermage, aucune autre contribution financière ne peut s’ajouter. À l’exception, toutefois, du remboursement par le locataire d’une partie des impôts fonciers (à défaut d’accord, il est fixé au 1/5e du montant global de l’impôt, selon l’article L. 415-3 du Code rural). Qui plus est, à tout moment, le loyer peut, malgré son faible montant, faire l’objet d’une remise au profit du locataire ayant subi une perte de récolte par la survenance d’un cas fortuit. Si la conclusion d’un bail rural permet au propriétaire de percevoir un revenu foncier, ce revenu est donc très faible et la rentabilité en est d’autant plus relative (voir encadré, p. 56). C’est la raison pour laquelle la révision des loyers suscite un contentieux non négligeable.


La faiblesse de son fermage ne dédouane pas pour autant le propriétaire de l’entretien des biens loués, tout au long du bail. Il se doit d’entretenir la chose louée pour que son locataire puisse en user selon l’usage pour lequel il a été loué et il doit lui garantir une jouissance paisible du lieu. Il a également l’obligation d’assurer la permanence et la qualité des plantations sur ce bien loué. Les travaux qui lui incombent peuvent vite représenter des charges énormes, insurmontables, compte tenu de la taille des locaux d’exploitation, voire d’habitation. Les bâtiments ruraux sont, en effet, souvent en mauvais état de conservation, non conformes aux normes. Le propriétaire prend alors le risque, comme tout autre propriétaire immobilier, de se retrouver face à un locataire qui demande la réalisation de travaux de manière récurrente, mais compte tenu de la particularité physique des bâtiments d’exploitation ou d’habitation, ce risque est amplifié. Cela est particulièrement vrai quand des bâtiments d’élevage sont donnés en location, car les règles sanitaires européennes sont très strictes et imposent beaucoup de travaux de mise aux normes.


Pour limiter ce risque, le bailleur a donc intérêt à faire figurer dans le bail une clause selon laquelle le preneur prend les biens en l’état. Dès lors, le non-respect de l’obligation de délivrance du propriétaire bailleur, imposée à l’article 1719 du Code civil, ne pourra lui être reproché par le preneur.

Un droit au renouvellement, presque sans fin

À propos du bail rural, les juristes ont l’habitude de dire : « On sait quand ça commence, on ne sait pas quand ça s’arrête. » La plaisanterie n’est pas très loin de la vérité.


Le bail rural classique est normalement conclu pour neuf ans. Il peut être également d’une durée de dix-huit, voire de vingt-cinq ans, dans sa version à long terme. Des durées importantes qui s’expliquent aisément par la nécessité d’assurer à l’agriculteur en place la pérennité de son exploitation. Le problème, pour le bailleur, est que son locataire dispose, lorsque le bail arrive à échéance, d’un droit au renouvellement qui, de fait, peut se poursuivre à l’infini.


Qu’il soit de neuf ans ou de dix-huit ans, le bail rural arrivé à son terme se renouvelle, en effet, pour neuf ans, aux clauses et conditions du bail précédent. Le bailleur ne peut refuser au locataire ce droit au renouvellement que pour des motifs strictement énumérés par la loi, à savoir : un motif grave et légitime, comme le défaut de paiement des fermages ; lorsqu’il désire reprendre l’exploitation agricole pour lui-même, son conjoint, son partenaire de pacs ou l’un de ses enfants, mineur ou majeur ; lorsqu’il souhaite construire une maison d’habitation sur une partie des terres louées, au profit de lui-même ou de l’un des membres de sa famille jusqu’au 3e degré (ce qui suppose qu’un changement des règles d’urbanisme soit intervenu, les terres agricoles étant devenues constructibles) ; lorsque le locataire a atteint l’âge de la retraite à l’échéance du bail.


Pris à l’envers, le propriétaire ne peut récupérer ses terres louées que pour l’un de ces motifs. Attention : contrairement au bailleur d’un logement, il n’est pas autorisé à reprendre son bien lorsqu’il veut le revendre.

Un congé longue durée

Lorsque le bailleur se trouve dans l’une des situations visées par la loi, il est donc autorisé à délivrer un congé à son locataire. Ce congé doit être donné dix-huit mois à l’avance et répondre à des normes précises, sous peine de nullité de l’acte. Le délai est strict. Si le bailleur manque le rendez-vous fixé par la loi, le bail sera renouvelé automatiquement pour neuf ans, sans autre possibilité.


Ainsi, pour pouvoir invoquer son désir de reprendre l’exploitation agricole pour lui-même, le propriétaire doit répondre aux conditions posées par les articles L. 411-58 et 59 du Code rural. Autrement dit, il doit être titulaire d’un diplôme agricole ou disposer d’une expérience agricole validée et avoir reçu une autorisation d’exploitation de sa terre. Il doit en outre s’engager à occuper les bâtiments d’habitation du bien repris – ou tout au moins une habitation située à proximité. Il doit aussi posséder le cheptel et le matériel nécessaires à l’exploitation du bien ou, à défaut, justifier des moyens de les acquérir. Enfin, il doit s’engager à exploiter les terres reprises au minimum neuf ans. Autant de conditions très strictes et difficiles à remplir. Par ailleurs, il faut savoir que le preneur a le droit de s’opposer à la reprise pour exploitation lorsque lui-même se trouve à moins de cinq ans de l’âge de la retraite… Dans ce cas, le bail est prorogé de plein droit pour une durée égale à celle qui doit permettre au preneur d’atteindre cet âge… Le propriétaire devra de nouveau envoyer un congé de dix-huit mois avant l’expiration de la période de prorogation.


Autre exemple : quand le locataire a atteint l’âge de la retraite à la fin du bail, le bailleur est loin d’avoir la certitude de récupérer la libre disposition de ses terres. Car l’article L. 411-64 du Code rural précise que le preneur évincé en raison de son âge peut céder son bail à son conjoint (ou à son partenaire pacsé), ou à l’un de ses descendants. Or, le bénéficiaire de la cession a lui aussi droit au renouvellement du bail… et bien souvent encore aujourd’hui, les exploitations agricoles se transmettent ainsi de père en fils…

Le droit de contester le prix

Le propriétaire qui loue ses terres à un agriculteur peut revendre son bien en cours de bail mais, comme dans le cadre d’un bail d’habitation, le locataire en place bénéficie d’un droit de préemption. Ce qui donne lieu à l’accomplissement de certaines formalités.


Sous peine de nullité de la vente, le notaire doit notifier le projet de vente au locataire, en lui indiquant une série d’informations relatives au prix, aux conditions de vente et à l’identité de ­l’acquéreur pressenti. Cette notification vaut offre de vente aux conditions et prix qui y sont contenus et le locataire dispose d’un délai de deux mois pour accepter ou refuser la vente. S’il accepte la proposition, il dispose d’un délai de deux mois pour la formaliser. S’il renonce à ­acheter, le propriétaire est alors libre de vendre son bien à l’acquéreur initialement choisi. La vente devra être notifiée dans les dix jours au locataire afin que celui-ci puisse connaître l’identité de son nouveau bailleur. Le problème est que, dans le cadre d’un bail rural, l’exercice du droit de préemption par le locataire s’accompagne de la possibilité pour lui de tenter de faire réviser le prix de vente, s’il ­considère qu’il est « exagéré » selon les termes du Code rural. Il saisit alors le tribunal paritaire compétent pour qu’un expert soit désigné, afin d’établir la valeur vénale des terres vendues. Or, cette procédure n’est pas un simple outil juridique peu usité. Bien au contraire. « Force est de constater que neuf fois sur dix, l’agriculteur en place finit par acquérir les biens dont il est locataire en usant et abusant de son droit de préemption », note Jean-Philippe Catteau, agent immobilier rural, implanté à Houplines dans le Nord. Un hectare évalué à 6 000 euros pourra ainsi finir vendu à 5 000 euros. Sur une exploitation d’une centaine d’hectares, cette ristourne est loin de passer inaperçue. « On conçoit qu’une telle procédure puisse véritablement dissuader le propriétaire vendeur, qui se trouve engagé dans des frais qu’il n’avait pas imaginés, de poursuivre dans son intention de vente », souligne Me Bernard Mandeville, avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit rural. Et de poursuivre : « Ces handicaps, nombreux pour la vente de terres occupées, ont une répercussion directe sur le prix. La valeur de la terre dite occupée est ainsi sujette à une décote d’au moins 30 % et souvent de plus de 50 % par rapport à la valeur des terres libres. Cette décote permet de mesurer les sujétions et servitudes qui vont de pair avec la conclusion d’un bail rural. »

Préférer le bail à long terme, voire à très long terme

Face à ces contraintes énormes, rien d’étonnant à ce que les propriétaires se montrent réticents à s’engager sur de longues durées. Le fait est que la plupart des baux ruraux sont des baux de neuf ans. Ces baux de « courte durée » sont en outre les seuls à pouvoir être conclus sans l’intervention d’un notaire.


Pourtant, conclure un bail de neuf ans dans le but de ne pas trop s’engager n’est pas la meilleure idée qui soit. Par le jeu du renouvellement du bail, on l’a vu, le bailleur s’engage en réalité pour beaucoup plus longtemps. Il ne peut, par ailleurs, profiter de la fiscalité avantageuse liée au bail à long terme – fiscalité qui peut venir compenser en partie les inconvénients du bail rural liés aux difficultés de reprise et à la décote en cas de revente en cours de bail (sur les avantages, voir encadré p. 53). Ne serait-ce que pour des raisons fiscales, le propriétaire a tout intérêt à conclure un bail à long terme, de dix-huit ans au minimum. Il lui est même recommandé, pour éviter le renouvellement sans fin du bail, de conclure un bail de vingt-cinq ans. En effet, depuis l’ordonnance du 13 juillet 2006, en l’absence de clause de tacite reconduction, le bail de vingt-cinq ans prend fin au terme stipulé, sans que le bailleur soit tenu de délivrer congé. Autrement dit, le bailleur qui a veillé à ce qu’aucune clause de tacite reconduction ne figure dans le bail est sûr de récupérer ses terres au bout de vingt-cinq ans. Et ce, sans même avoir besoin de prévenir son locataire. À la différence d’un bail rural classique ou à long terme classique (dix-huit ans), le bailleur est donc certain que le bail prendra fin – ce qui permet, dans certains cas, de s’assurer plus facilement de la disponibilité du bien pour la génération suivante.
D’un commun accord, un bail ordinaire de neuf ans peut toujours être transformé en bail à long terme, même en cours d’exécution. Dans la mesure où le bailleur ne modifie aucune modalité du bail, et n’augmente pas le loyer notamment, le preneur est presque obligé d’accepter cette transformation.

Détourner la contrainte

Il faut savoir que, lorsque le bail est conclu à long terme, le bailleur a la possibilité de prévoir une clause privant le locataire de la faculté de cession à un descendant. Mais encore faut-il que le preneur accepte une telle clause, ce qu’il fait rarement puisqu’elle compromet la pérennité de l’exploitation agricole.


Malgré ces précautions, le bail rural reste, pour certains spécialistes des investissements en biens ruraux, trop contraignant. Certains montages existent, qui permettent de contourner la contrainte de la sortie de bail. L’investisseur peut par exemple s’associer avec son locataire dans une société d’exploitation, telle une société civile d’exploitation agricole (SCEA). La loi permet en effet à des non-agriculteurs d’être associés, et même majoritaires, dans ce type de société, par le biais d’une prise de participation purement financière, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une autorisation administrative préalable. L’investisseur est alors propriétaire de 50 % à 100 % de la société d’exploitation. En parallèle, il devient associé majoritaire d’une société foncière qui concède un bail rural à la société d’exploitation. Dans un tel contexte, le propriétaire est à la fois bailleur et associé de la structure d’exploitation. Il conserve un certain pouvoir dans l’exploitation de son bien – ce qui lui permettra, par la même occasion, de garder le contrôle de la sortie du bail. Mais en contrepartie, le propriétaire investisseur supporte les risques de l’exploitation au même titre que l’agriculteur exploitant. Ce type de montage, qui demande une certaine implication personnelle de l’acheteur, est réservé à des investissements importants – de l’ordre du million d’euros. Il n’est cependant pas sans risque, ainsi que le souligne Me Mandeville, ­l’administration agricole (la Direction départementale des ­territoires) pouvant être tentée de soumettre l’opération à autorisation préalable*, sous peine de pénalités très dissuasives.

La mise à disposition monte en puissance

Il est possible, pour le propriétaire qui ne souhaite pas s’engager dans un bail rural, de conclure une convention à titre gratuit, également appelée « commodat ». La solution est d’ailleurs de plus en plus fréquente. Du fait de la gratuité de cette mise à disposition, le bailleur échappe au statut d’ordre public du bail rural. Le commodat confère donc au bailleur une grande liberté : notamment celle de pouvoir reprendre son bien à l’issue de chaque année de prêt. En contrepartie, il ne tire aucun revenu de son bien. Toute contrepartie au profit du bailleur aurait pour effet la requalification de la convention en bail rural soumis au statut du fermage.


En revanche, s’il tient à percevoir un revenu de sa terre, le propriétaire a encore la possibilité de conclure une Convention de mise à disposition (CMD) avec une Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). La mise à disposition n’est pas gratuite, mais la convention déroge pourtant au statut du fermage par une disposition expresse du Code rural (article L. 142-6). La Safer devient le locataire de la terre et rétrocède son usage à un fermier qu’elle choisit et qui en assurera l’exploitation. Le loyer est donc garanti. Selon la surface des biens mis à disposition, la durée de la convention est de trois ans, ou six ans, renouvelable une fois. Au terme du bail, le propriétaire peut donner sa terre à bail au fermier que la Safer avait installé dessus ou reprendre son bien pour le revendre. Il devra le faire savoir deux ans avant la fin de la CMD. À tout moment au cours de la convention, le propriétaire peut cependant se mettre d’accord avec le fermier et lui accorder un bail. « La convention de mise à disposition est une solution pour encourager les propriétaires de terres agricoles à les louer plutôt qu’à les laisser en friches, en attendant qu’ils décident de ce qu’ils veulent faire. C’est une solution d’attente  », indique André Barbaroux, directeur général de la Fédération nationale des Safer. Les conventions de mise à disposition portent sur 89 000 hectares.

Laurence Roy

* En application de l’article L.331-2 du Code rural relatif au contrôle des structures des exploitations agricoles, s’il s’avérait que l’opération constitue une installation ou un agrandissement au-delà des seuils de surface départementaux.

 

Source: leparticulier.fr