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Encore un effort, François, et tu auras ta crise de régime | Eric Verhaeghe

Cher François! On t’avait bien dit, l’an dernier, que l’organisation d’une primaire à gauche rendait difficile la préservation du prestige présidentiel.

Ce n’était pas nouveau, et c’était tout à fait prévisible: le matin, tu es président à l’Elysée, tu reçois des chefs d’Etat, Merkel t’appelle pour te remonter les bretelles, tu appelles Trump pour lui mettre un bonnet d’âme. L’après-midi, tu fais des réunions où tu décides de faire la guerre dans des endroits ou des déserts dont on n’a jamais entendu parler. Et le soir, tu te retrouves à un débat télévisé avec Marie-Noëlle Lienemann et Gérard Filoche où tu te fais traîner dans la boue parce que tu ne donnes pas assez d’argent aux pauvres. Et le lendemain, Angela te rappelle pour te demander si tu as bien dormi et si tu ne regrettes pas d’être allé tirer ton coup rue du Cirque avec un ridicule casque de Vespa sur la tête, un de ces casques que même les Napolitains ne portent plus. Parce qu’avec la déculottée que tu t’es prise la veille au soir devant plusieurs millions de Français sur tes frasques, les autres chefs d’Etat (et même les dirigeants d’autres planètes, ceux qui à Jean-Claude Juncker parle) commencent à te prendre encore moins au sérieux qu’avant.

Tout cela, on le savait. Tu le savais, il y a quelques mois, quand tu as donné ta bénédiction à l’organisation d’une primaire à gauche.

Mais il est vrai qu’à ce moment-là, tu as été pris d’une quinte de ta toux régressive habituelle: tu as confondu gouverner la France avec diriger le Parti Socialiste. Et tu t’es lancé dans un calcul à la con comme seul un premier secrétaire de la rue de Solférino peut en bâtir. Et vas-y que je disserte pendant des heures des avantages et des inconvénients du choix, et qu’au terme d’un labyrinthe de déductions improbables, tu as renversé la table en te convainquant qu’une primaire, c’était mieux qu’une absence de primaire. Mais oui! tu allais la gagner haut la min, cette primaire, entouré d’une dizaine de candidats à trois balles qui parlent sans cesse de solidarité, adorent dénigrer la capitalisme et son horrible cortège d’individualisme, et le dénoncent d’autant plus souvent (suivez mon regard) qu’ils se prennent pour le nombril du monde et ne pensent qu’à leur gloriole personnelle.

Tous les gens malins savaient que tu te trompais en acceptant la primaire. Mais, toujours dans ta phase d’apprentissage, tu as oublié que, sur certains sujets, un Président ne peut pas revenir en arrière. Une parole d’Etat est une parole d’Etat. Ou alors, ce n’est plus l’Etat, et ce n’est plus un fauteuil de Président que tu occupes. C’est la différence entre l’Elysée et la rue de Solférino: dans l’un, le mensonge est roi, dans l’autre, il est exécré. Demande à Sarkozy, il a quelques souvenirs là-dessus.

Entretemps, tu as décidé de suicider ouvertement ta candidature. Tu as laissé des journalistes révéler la vérité profonde de ton quinquennat: pendant quatre ans, tu as gouverné seul, tu as méprisé tout le monde, et tu n’as pas eu un seul projet pour la France. Je veux dire un seul projet conçu pour le destin de ce pays trop grand pour toi, avec un peuple trop digne pour toi, un seul projet qui ne visait pas à préparer ta réélection.

On sait tous, aujourd’hui, que tu appartiens à cette caste détestable de gens qui ne comprennent pas ce qu’est la France et qui n’ont aucune ambition pour elle. Tout juste peut-elle leur servir de marchepied pour réaliser des ambitions personnelles. Plus aucun Français n’a la moindre illusion sur ce que tu es, sur qui tu es, pour une raison simple: avec une naïveté confondante, tu as fait le choix de le leur dire par confidences à des journalistes interposées. Le roi est nu, et c’est le roi qui l’a dit.

Dans ce grand désordre que tu as toi-même organisé, instillé, instauré, mon cher François, tu pousses le déni jusqu’au bout (nous prouvant une fois de plus que ceux qui prennent les autres pour des idiots absolus gagneraient à s’acheter un miroir) et tu convoites de te présenter à la prochaine présidentielle. Et comme tu comprends que tu vas subir le même sort que Sarkozy, avec la dignité en moins, tu proposes de ne plus faire la primaire que tu as acceptée il y a quelques mois en pensant qu’elle te servirait.

Je te suggère de tenter cette manoeuvre de dernière minute. Elle prouvera ton attachement profond à l’Etat de droit, et à la dignité de ta fonction. Elle sera comme le bouchon poussé, cette fois, définitivement trop loin.

Je me réjouis par avance de cette très belle crise de régime que tu nous prépares!

 

Source:  Éric Verhaeghe