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Fillon président: ce que les patrons gagneraient, ce que les salariés perdraient

 

"Il faut lancer une véritable politique de l'entreprise, à la fois culturelle, éducationnelle, fiscale et sociale", martèle depuis de longs moins François Fillon, en face d'entrepreneurs souvent acquis à sa cause. Salué par Pierre Gattaz pour son "réformisme" et son "pragmatisme", le candidat désigné par les primaires de la droite et du centre pour incarner ce camp politique à la présidentielle 2017, reprend à son compte nombre de revendications des patrons. Revue de détails.  

1. Temps de travail à la carte

François Fillon veut "lever le verrou des 35 heures par le biais d'accords d'entreprise qui définiront le seuil effectif de déclenchement des heures supplémentaires, l'annualisation ou la modulation du temps de travail et la compensation salariale éventuelle". La loi ne fixerait pas de durée légale, elle rappellera seulement le seuil maximal européen de 48 heures de travail par semaine.  

Aujourd'hui, l'employeur dispose déjà d'un éventail d'outils pour que ses salariés travaillent davantage que 35 heures par semaine. La loi Travail autorise par ailleurs les accords d'entreprise fixant un taux de majoration de la rémunération des heures supplémentaires inférieur à ce qui est fixé par branche, sans aller en deçà de 10%. Il est donc exagéré de dire que les 35 heures sont un "verrou". 

Reste que François Fillon veut aller au bout de la logique qui consiste à dire que chaque entreprise est capable de définir quel temps de travail est le plus approprié pour elle. Une fois le principe fixé, l'application concrète reste floue. En cas de blocage de la négociation syndicale ou de "non" à un éventuel référendum d'entreprise, on ne sait pas si l'employeur aura le pouvoir unilatéral de décider. Or des blocages, il risque d'y en avoir, si aucune compensation salariale à une hausse du temps de travail est prévue. 

2. Licenciement grandement facilité

Le candidat à la présidentielle prône un "contrat de travail à droits progressifs, avec des modalités de rupture prédéfinies". On est tout à fait, ici, dans l'idée d'un "CDI sécurisé" défendue par le patronat. La sécurité serait évidemment du côté de l'employeur, qui ne serait pas pieds et poings liés à son salarié une fois son recrutement en CDI opéré. Il pourrait le licencier pour des causes déterminées à l'avance dans le contrat. Par exemple : la non réalisation du chiffre d'affaires espéré par l'activité développée par le salarié recruté.  

Concernant les licenciements collectifs, déjà réformés par la loi Travail, François Fillon souhaite en briser les derniers remparts, en introduisant, parmi les motifs légitimes d'y recourir, la "réorganisation de l'entreprise". Nul besoin de prouver une baisse significative de chiffre d'affaires ou des problèmes de trésorerie. Nul besoin non plus de justifier de la nécessaire sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. Une réorganisation décidée unilatéralement par l'employeur, sans difficulté économique particulière, pourrait suffire.Un rêve qui deviendrait réalité pour les patrons.  

3. Fiscalité et charges sociales amoindries

François Fillon propose de baisser les charges qui pèsent sur le travail dès juillet 2017, ceci sur tous les salaires, pas seulement pour ceux autour du Smic. Il veut aussi réduire le taux d'impôt sur les sociétés - dont la baisse a déjà été décidée par le gouvernement actuel - pour "l'aligner sur les pays européens comparables" et "supprimer diverses taxes pesant sur les entreprises". Le Medef estime que les prélèvements obligatoires auront augmenté de 16 milliards d'euros entre 2011 et 2017, du fait de l'inflation d'une multitude de taxes sectorielles.  

François Fillon défend également la stabilité fiscale et la non-rétroactivité de la loi fiscale, afin que les entrepreneurs aient davantage de visibilité pour prendre des décisions.  

Concernant les demandeurs d'emploi créateurs d'entreprise, ils seraient exonérés de charges durant leur première année d'activité rémunérée, "ainsi que les demandeurs d'emplois qu'ils recrutent". Pour rappel, il existe déjà le dispositif Accre, qui concerne les chômeurs créateurs et qui consiste en des exonérations de charge.  

4. Code du travail allégé

Le code du travail est trop lourd, il faut en conserver 200 pages (ce qui relève des normes sociales fondamentales) et renvoyer le reste des dispositions à la négociation collective. Telle est l'ambition de François Fillon, qui répond là à une préoccupation majeure des dirigeants de TPE et PME, toujours prompts à faire de ce pavé leur épouvantail.  

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En pratique, le chantier de refonte, entamé par la loi Travail, est d'une complexité sans nom. Il faut d'abord se mettre d'accord sur ce que sont ces fameuses normes fondamentales. Mais surtout, la réécriture du volet temps de travail du code par la loi Travail a prouvé qu'apporter plus de souplesse à l'entreprise pour négocier n'est pas forcément synonyme d'un allègement du code: dire ce qui relève de la norme fondamentale ou de la négociation prend de la place ! Par ailleurs, quand bien même le régime minceur fonctionnerait, nombre de juristes pointent du doigt le mirage d'une plus grande sécurité et clarté pour l'employeur. Lors d'un procès aux prud'hommes, le juge aurait encore plus de latitude pour se prononcer. Les accords issus de la négociation collective seraient également examinés de près.  

A noter aussi qu'une commission de refondation du code, instituée par la loi El Khomri, est censée justement plancher sur la réécriture du code à compter de début 2017. Elle devrait comporter des juristes bien sûr, mais aussi des dirigeants de petites entreprises. 

5. Dialogue social direct et seuils sociaux relevés

Le gouvernement actuel n'a pas voulu infléchir sa position sur la nécessité de recourir au mandatement syndical pour les petites entreprises souhaitant passer des accords, même si celui-ci est boudé par les entrepreneurs. François Fillon devrait pour sa part encourager le référendum dans les petites entreprises, où il y aurait encore moins d'institutions représentatives du personnel susceptibles de négocier par la voie du mandatement, l'élu de la primaire comptant relever les seuils sociaux de 10 à 50 salariés et de 50 à 100 salariés. Les accords d'entreprise pourraient fixer l'architecture et les modalités de consultation des instances (ou comment déconstruire la loi Rebsamen sur le dialogue social de 2015).  

L'ex-concurrent d'Alain Juppé milite aussi pour le référendum d'entreprise en cas de blocage du dialogue social. Il devrait sans nul doute balayer les règles instaurées par la loi Travail, réservant la consultation des salariés à une initiative syndicale et sous certaines conditions.  

L'homme n'est globalement pas tendre avec les syndicats. Il veut instituer la liberté de candidature au premier tour des élections professionnelles pour mettre fin au monopole des organisations syndicales. En clair, tout le monde pourrait se présenter. Il souhaite aussi limiter à 50% du temps de travail le temps consacré à l'exercice du mandat de chaque représentant du personnel "pour assurer son ancrage dans la réalité de l'entreprise".  

6. Requalification en contrat de travail évitée

Les employeurs faisant appel à des auto-entrepreneurs craignent les risques de requalification en contrat de travail. François Fillon a la solution: une sorte de bouclier protecteur pour l'employeur, prenant la forme d'un statut juridique de prestataire indépendant dont l'auto-entrepreneur lui-même demanderait l'obtention, et qui serait irrévocable pendant trois ans (sauf pour des cas de sorties limitatives, comme la signature d'un contrat de travail). "En revanche une entreprise ne pourra pas passer de contrat de prestation avec un auto-entrepreneur qui serait un ancien salarié qu'elle aurait licencié, dans les deux ans qui suivront son licenciement", explique le candidat. Brillante idée ou nouvelle façon d'encourager les abus? La question est posée. 

7. Régime de l'auto-entrepreneurs étendu

Une refonte des seuils de chiffre d'affaires, un temps au programme de la loi Sapin 2, est prévue. Ils passeraient à 50 000 euros pour les services et à 120 000 euros pour l'achat-revente, contre respectivement 33100 euros et 82 800 euros tels que prévus pour 2017. Des plafonds plutôt bien pensés car, comme le rappelle la Fédération des auto-entrepreneurs régulièrement, "avec un chiffre d'affaires de 40 000 euros, vous gagnez aujourd'hui trop pour être auto-entrepreneur, mais pas assez pour vous en sortir au régime réel". L'idée serait toutefois d'inciter les auto-entrepreneurs à passer à ce fameux régime réel, en plafonnant à 7 500 euros l'abattement fiscal forfaitaire pour frais professionnels. 

A noter que l'auto-entrepreneuriat serait ouvert aux jeunes de 16 ans, sans qu'ils aient besoin d'être émancipés. Les fonctionnaires pourraient également accéder au statut plus facilement, comme cela était le cas au moment de la création du régime, en 2008. 

8. Commerçants et artisans moins concurrencés

François Fillon veut mettre un terme à la concurrence déloyale entre auto-entrepreneurs et artisans et commerçants "classiques". Ces derniers, dont le régime comptable serait simplifié, seraient "assujettis à la même fiscalité sur le chiffre d'affaires que les auto-entrepreneurs jusqu'aux nouveaux plafonds. Ils bénéficieraient d'une franchise de TVA jusqu'à ces plafonds." 

Risquant de s'attirer les foudres des artisans, François Fillon souhaite également transformer les "niveaux de qualification nécessaires pour exercer une profession en niveaux de compétence, quand cela ne met pas en danger le prestataire ou le consommateur". Une ambition qui rappelle celle d'Emmanuel Macron, fervent défenseur de la suppression des exigences de qualification pour certains métiers artisanaux, avant que cet élan ne subisse un camouflet dans la loi Sapin 2.  

9. Régime social des indépendants revisité

Alors que la mue du RSI est entamée, à travers diverses mesures du PLFSS 2017 qui pourraient arranger les dysfonctionnements dénoncés régulièrement par des entrepreneurs en colère, François Fillon prône, sans surprise, une refonte complète du système. Symboliquement, il n'y aura plus de RSI mais une "Caisse de Protection des Indépendants". Elle se chargera de l'affiliation des cotisants, du calcul en temps réel des cotisations, de leur collecte et du versement des prestations. Bref, un RSI "en mieux". Sur le papier. 

Toujours sur le volet protection des indépendants, le candidat souhaite créer une assurance des entrepreneurs individuels en cas de perte d'activité. En bref une assurance chômage. Reste à voir comment elle serait financée, sachant que les dirigeants pestent déjà contre le poids des cotisations. A noter qu'il existe déjà aujourd'hui des assurances chômage pour dirigeants, mais elles sont facultatives. François Fillon souhaite également rendre totalement déductibles de l'assiette des cotisations sociales les cotisations Madelin, afin d'encourager le système de retraite complémentaire auprès des patrons.  

10. Les PME prises au sérieux

Réduire l'impôt sur le revenu de 30% du montant investi dans une PME, jusqu'à un plafond de 1,2 million d'euros. C'est par cette mesure incitative entre autres que François Fillon compte doper le financement des PME. Côté trésorerie, le candidat veut diminuer la tolérance pour les délais de paiement à 30 jours après facturation, au lieu des 60 jours actuels. Réaliste ? Les entreprises ont en moyenne douze jours de retard sur ce délai. C'est-à-dire qu'elles paient en fait à 72 jours de l'émission de la facture....  

A noter que François Fillon veut également instaurer un sursis d'imposition lors de la transmission d'un entrepreneur de sa PME familiale à ses descendants.  

Pour doper les commandes des PME, le représentant de la droite veut leur consacrer 50% de la commande publique. Le gouvernement actuel n'a pas été inactif sur le sujet, avec sa réforme des marchés publics.  

11. L'alternance encouragée

François Fillon développe un programme de refonte de l'alternance qui passe notamment par une transformation de la gouvernance de l'enseignement professionnel (la gestion des lycées profesionnels serait par exemple confiée aux régions et aux branches professionnelles qui gèrent déjà les centres de formation des apprentis) et une meilleure orientation des jeunes vers ce système. Mais il veut aussi rendre l'alternance plus attractive et plus facile à gérer pour les entreprises.  

Le rythme enseignement théorique/ pratique serait ainsi défini par chaque branche professionnelle (branches dont la loi Travail a lancé le toilettage, rappelons-le). L'ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy souhaite par ailleurs supprimer les blocages au recrutement d'apprentis en "alignant les conditions de sécurité et les restrictions pesant sur les jeunes en alternance sur celles exigées pour les salariés". Ira-t-il jusqu'à leur autoriser par exemple, des postes où ils pourraient être exposés à l'amiante ou à des agents biologiques? Depuis 2015, des mineurs peuvent déjà réaliser des travaux réglementés ou en hauteur, sur simple déclaration à l'inspection du travail. Insuffisant, à ses yeux.  

12. Economie collaborative

François Fillon n'indique pas s'il obligera les utilisateurs de l'économie collaborative en tirant des revenus substantiels à s'inscrire à sa "Caisse de protection des indépendants", comme l'Assemblée avait voulu les contraindre à l'affiliation au RSI dernièrement. Mais on peut lire dans son programme qu'il imposera aux plateformes de l'économie collaborative à transmettre automatiquement les revenus de leurs utilisateurs au fisc et aux organismes de recouvrement.