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Burkini suite... mais pas fin par Corinne Lepage

 

Chanel, Courrèges, Saint Laurent, Rykiel... ont révolutionné la mode pour faire évoluer les sociétés et accompagner les femmes dans leur libération. Le burkini aujourd'hui symbolise l'inverse.

De la marginalité d'une situation, on trouve des questions fondamentales sur ce qui fait société. Il serait plus intéressant aujourd'hui de se poser la question des pressions faites dans certains espaces de notre pays sur les questions vestimentaires en général, plutôt que de faire un cas particulier de cet anachronique burkini. Le harcèlement de rue est une réalité vécue par de nombreuses femmes, pourtant c'est du burkini que l'on parle.

L'ordonnance de référé rendue aujourd'hui à propos de l'arrêté du maire de Villeneuve-Loubet s'inscrit dans une jurisprudence constante du Conseil d'État depuis l'arrêt Benjamin de 1933 de contrôle de la proportionnalité d'une mesure de police municipale à la menace d'ordre public qu'elle est censée prévenir.
Le malheur veut que l'arrêté du maire de Villeneuve-Loubet ait été particulièrement mal rédigé et que son avocat lui-même ait été contraint de plaider devant le Conseil d'État qu'un des deux motifs, l'atteinte à la laïcité, n'avait pas de fondement. La bonne solution sur un plan général eut été d'éviter que la jurisprudence se fasse sur un arrêté aussi mal rédigé, le maire de Villeneuve-Loubet le retire, quitte à en reprendre un autre convenablement motivé. Cela aurait obligatoirement conduit le Conseil d'État à rendre une ordonnance de non-lieu. Et si la jurisprudence s'était faite sur l'arrêté du maire de Sisco, intervenu après la rixe, il est probable que le même principe eut abouti à une décision en sens contraire.

Mais, la question a été très mal posée et les conséquences de l'ordonnance rendue par le Conseil d'État risquent de se révéler gravissimes.

La question n'est pas celle de la liberté d'aller et de venir, dont on voit mal du reste en quoi elle est concernée, ni même celle de se vêtir comme on le souhaite. Sur ce point, le Conseil d'État a entièrement raison et chacun peut se vêtir à son gré dans la limite de l'article 222-32 du code pénal. Ce n'est pas davantage la question d'une liberté religieuse et à cet égard, le fait d'apostropher une femme qui porte un foulard sur la plage est inacceptable.

La vraie question d'ordre public qui est posée est celle du droit de faire du prosélytisme politique, car le vêtement dont il s'agit est l'adaptation d'un vêtement d'un islam militant, sur une plage. La question posée est celle de savoir si le symbole d'inégalité et de soumission de la femme que représentent le burkini comme la burka (même si le fondement de la loi est celui d'un risque sécuritaire et de l'interdiction de visage masqué) constitue ou non une atteinte à l'ordre public d'une République qui se dit égalitaire et laïque. La question aurait pu être enfin celle de l'appréciation de l'atteinte à une liberté publique dans un contexte d'état d'urgence.

Cette question n'a pas été débattue car elle n'a pas été posée. En revanche, en faisant abstraction des conséquences de sa décision, comme il l'avait fait en 1989 à propos du voile de Creil, le Conseil d'État crée beaucoup plus de difficultés qu'il n'en résout. Rappelons pour mémoire qu'en 1989 lui avait été posée par Lionel Jospin la question de la licéité du voile à l'école. Le Conseil d'État avait une réponse "libérale" qui laissait cependant la porte ouverte à l'interdiction en cas de signes religieux ostentatoires. La conséquence en a été une banalisation du voile dans les établissements scolaires, suivie du refus de suivre les cours de gymnastique pour les filles puis une remise en cause des cours d'histoire dans certains établissements. La paix n'est revenue qu'avec la loi de 2004 qui interdit clairement le port du voile à l'école. Si le conseil d'État avait en 1989 pris une position plus claire, nous aurions évité bien des tracas. (Il s'agit d'un avis concernant un établissement public et non sur un espace public et concernant des mineurs).

La décision prise aujourd'hui est interprétée comme un feu vert donné à l'usage du burkini sur les plages et donc à sa banalisation, ne serait-ce que par souci de provocation. Il est donc clair que des troubles à l'ordre public peuvent se manifester, justifiant, en vertu de la jurisprudence qui vient d'être rendue, la prise d'arrêtés interdisant le port du burkini en tant qu'il provoque des troubles à l'ordre public. Nous risquons donc d'entrer dans une forme de spirale de violence particulièrement inopportune en période de risque maximum comme aujourd'hui.

En second lieu, et comme en 1989, la décision du Conseil d'État va conduire à poser la question de l'intervention du législateur. Puisqu'un maire ne peut pas, dès lors qu'il n'y a pas de troubles à l'ordre public établis, prendre une mesure d'interdiction du burkini dans sa commune, la tentation va être grande de légiférer avec les surenchères que l'on peut imaginer en période de campagne présidentielle.

En troisième lieu, cette position du Conseil d'État est du pain béni pour l'extrême droite au sens large du terme. En refusant de comprendre la logique qui est à l'origine de l'introduction du burkini et qui s'intègre dans une conquête de l'espace public par un islam radical, le Conseil d'État ouvre un boulevard aux propositions les plus extrémistes au lieu de calmer le jeu. Alors que 6% des Français seulement sont favorables au burkini à la plage et 64% opposés, ce sujet qui aurait dû rester totalement mineur, afin précisément de ne pas faire le jeu des extrémistes, peut devenir un incendie.

Rappelons pour mémoire que la France avait été très critiquée pour avoir interdit la burka dans un texte œcuménique visant le fait de cacher le visage. Aujourd'hui, l'Allemagne, pourtant considérée comme extrêmement libérale, envisage de prendre une disposition comparable.

Le devoir que nous avons à l'égard de tous nos compatriotes de confession musulmane est de leur assurer les mêmes droits que ceux qui sont d'une autre confession. C'est particulièrement vrai pour les femmes, et même si certaines d'entre elles prétendent exercer leur liberté en assumant une forme d'asservissement. Et, il suffit de voir la manière dont les femmes libérées de l'esclavage de Daech brûlent leur burka pour comprendre le symbole que représente ce vêtement.

Sans doute, l'arrêté du maire de Villeneuve-Loubet dans la rédaction choisie ne laissait-il pas de grande liberté au Conseil d'État, mais nous savons tous l'imagination fertile de la Haute assemblée pour trouver l'habillage juridique au sens de la décision qu'elle souhaite rendre. Cette ordonnance du 26 août 2016 risque malheureusement de peser dans la suite de notre histoire.

Heureusement, ce sera bientôt la fin de l'été, on pourra arrêter cette polémique sur le burkini pour reprendre des sujets importants: les menus halal, les crèches de Noël dans les mairies...

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Source: huffingtonpost.fr