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Le transfert du savoir arabo-musulman en Occident

Safari, alambic, zéro, douanes, artichauts, toubib, aubergines, algèbre : Alors qu'est-ce qui peut y avoir de commun entre tous ces mots ? Eh bien, tous nous ont été transmis par la langue arabe et montrent bien l'influence sur notre propre culture de cette civilisation musulmane. Voilà pourquoi aujourd'hui j'ai eu envie d'aller me promener dans l'histoire des arts, des sciences, tout simplement de la connaissance en terre d'Islam, histoire de nous faire mesurer tout ce que notre culture doit à cette civilisation.

Alors pour bien comprendre regardons bien sûr quelques cartes.

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C'est ici en Arabie autour de la ville caravanière de la Mecque que naît au 7ème siècle une nouvelle religion, l'Islam. A partir de cette péninsule, les troupes musulmanes conquièrent en moins d'un siècle le Moyen-Orient, la Perse des Sassanides à l'est et, à l'ouest, l'Egypte byzantine et les côtes nord-africaines. Avec l'arrivée en 661 de la dynastie des Umayyades, les conquêtes reprennent et le détroit de Gibraltar est franchi en 711. Ainsi partie de la Mecque la nouvelle religion s'impose désormais sur un immense territoire, qui va de l'Atlantique jusqu'au fleuve Indus, dans le sous-continent indien.

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Et bien, c'est dans ce creuset, déjà riche de l'héritage grec, romain, perse, byzantin, que va s'élaborer l'art, l'architecture et la culture arabo-musulmane. Et bien, c'est cette histoire que je voudrais vous raconter aujourd'hui. Car, c'est à partir de ce même territoire que des savants musulmans, juifs, zoroastriens, chrétiens vont collecter, traduire, améliorer les savoirs de l'antiquité avant de les transmettre quelques siècles plus tard à ce que l'on appelle l'Occident.

Les califes Umayyades font de Damas leur capitale, puis ils fondent Kairouan, souvent considérée comme la quatrième ville sainte de l'islam après Jérusalem, Médine et la Mecque.

A Jérusalem les Umayyades édifient le dôme du Rocher sur l'emplacement du temple de Salomon. C'est l'un des premiers exemples de l'architecture musulmane, puis à Damas, ils construisent la grande mosquée des Umayyades, dont le plan va servir de modèle à toutes les mosquées arabes

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Sur le plan politique ou religieux, le Coran est désormais écrit. L'arabe est la langue officielle de tout l'empire. Le dinar remplace les anciennes pièces, perses ou byzantines, et de nombreux fonctionnaires servent l'administration et prélèvent l'impôt. Et pourtant, ce monde Umayyade est loin d'être stable et unifié. De très nombreux conflits menacent de faire éclater cet ensemble politique et religieux. En janvier 750, près des rives du Grand Zab, les Umayyades affrontent une armée levée par une dynastie rivale, les Abbassides. Ce sont les Abbassides qui gagnent la bataille et massacrent la famille des Umayyades. Le seul rescapé, Abderrahmane, s'enfuit au Maghreb, puis il rejoint la péninsule ibérique, où il va fonder, en 756, la brillante civilisation arabo-andalouse. (1)

Les Abbassides, à peine installés à la tête de leur immense empire, entrent en conflit avec la Chine des Tran.

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Les chinois sont vaincus à Talas en 751 et de nombreux prisonniers chinois sont ramenés en terre d'islam et parmi eux, un certain nombre d'artisans détiennent un secret, celui de la fabrication du papier. Les Abassides comprennent très vite l'intérêt de ce nouveau matériau qui est plus pratique et plus léger que le parchemin. Son usage s'impose rapidement tant dans l'administration que pour la diffusion du Coran. Samarkand devient alors le premier centre de production du papier du monde musulman. Après en avoir amélioré la fabrication, en y incorporant des chiffons, le papier arabe finit par s'imposer en 0ccident. 0n le retrouve en Espagne au 11ème siècle, puis en Sicile au 12ème et en France au milieu du 13ème siècle. Et bien c'est là un premier exemple de la transmission d'un savoir de l'Orient vers l'Occident.

En 762, les Abbassides fondent, de toutes pièces, une nouvelle capitale, Bagdad. (2)

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Regardez cette carte. Bagdad, sur la rive droite du Tigre, était une ville parfaitement circulaire. Son modèle est inspiré des cités sassanides comme l'antique ville de Gur, dont les ruines se trouvent aujourd'hui en Iran. Bagdad capitale politique des Abbassides devient vite la capitale intellectuelle de l'époque. Le calife Al Mamoun y édifie la maison de la sagesse

Cette institution est à la fois un lieu de réunion, un centre de traduction, une bibliothèque et son organisation s'inspire des grands centres intellectuels antiques comme l'Académie de Gundichapur créée trois siècles plus tôt par les rois sassanides. Plus de 100 traducteurs, copistes, relieurs s'affairent à inventorier, traduire et compiler l'ensemble des connaissances grecques, syriaques ou indiennes. On entre alors dans l'âge d'or de la science en terre d'islam.

La maison de la sagesse abrite aussi une idée de peine dirigé par le plus grand astronome mathématicien de l'époque Al Khawarizmi. Ce savant est probablement originaire de la ville de Khiva située dans l'actuelle Ouzbékistan. Arrivé à Bagdad il entreprend de répertorier et d'améliorer les méthodes de résolution des équations. Il publie le résultat de ces travaux dans un ouvrage intitulé « Abrégé du calcul par la réduction et la comparaison ».

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Cette idée de réduction mathématique est exprimée par le mot arabe Al Jabr, ce qui nous donnera le mot algèbre. Al Khawarizmi est aussi à l'origine du mot algorithmique, qui n'est autre qu'une traduction de son nom latinisé et après l'algèbre et les algorithmes,  il va réintroduire dans le monde musulman les chiffres indiens de 1 à 9, ainsi que l'utilisation du zéro. (3)

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Vous voyez là les différentes graphies, depuis les premières formes indiennes jusqu'aux chiffres que nous connaissons aujourd'hui et c'est probablement par l'intermédiaire d'un moine français Gerbert d'Auriac, qui va devenir le futur pape sous le nom de Sylvestre II, que ces chiffres indo-arabes parviendront au monde chrétien via l'Espagne musulmane.

Al Khawarizmi est aussi l'auteur de l'une des premières tables astronomiques en langue arabe, car l'astronomie est une science importante en terre d'islam puisqu'elle permet de déterminer l'heure des prières, la direction de la Mecque, le début et la fin du mois du ramadan

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L'astronomie musulmane est d'abord l'héritière des savoirs des bédouins de la péninsule arabique, puis ce sont les traductions des textes issus des mondes grec et byzantin, perse et indien qui vont permettre l'amélioration des connaissances. Par exemple, le traité d'astronomie de Ptolémée, rédigé au deuxième siècle de notre ère, est immédiatement traduit et critiqué. L'astronome Al Tusi en donnera une version corrigée qui fera autorité et circulera d'Orient vers l'Occident, puisque l'exemplaire que vous voyez-là été ramené en France au 17ème siècle, à la demande de Colbert.

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L'intérêt pour l'astronomie s'accompagne de la création de dizaines d'observatoires dans l'ensemble du monde musulman. On y construit des instruments de plus en plus imposants car ils permettent une bien meilleure précision et les astronomes s'intéressent aussi aux instruments plus petits car on peut faire ainsi des relevés plus rapides et même sur les navires. Ainsi l'astrolabe, dont le principe était déjà connu des grecs, ne cessera de se perfectionner et son utilisation se généralisera en Europe à partir du 13ème siècle.

Reprenons notre carte de l'âge d'or des sciences musulmanes. Nous sommes sous le règne d'Haroun al-Rachid, le calife des mille et une nuits. Le prestige de l'empire abbasside est tel,  que bien loin de Bagdad, le roi anglais Offa de Mercie décide de frapper une monnaie bien étrange. On y voit son nom et sa titulature « Offa rex », autrement dit « Offa roi » et une inscription pseudo soufique, au centre et sur le pourtour de la pièce, à l'imitation des dinars qui circulent à l'époque dans le monde abasside.

En Europe, l'empereur Charlemagne est lui aussi en contact avec le calife de Bagdad. L'empire carolingien perçoit à l'époque deux menaces, celle des Omeyyades d'Espagne au sud et celle de l'empire byzantin. Et le pouvoir abbasside n'est évidemment pas hostile à l'affaiblissement de ces deux puissances. Donc, Carolingiens et Abassides échangent des ambassades, en vue d'une alliance. Les chroniques de l'époque témoignent de ces échanges et décrivent les somptueux cadeaux offerts à Charlemagne par le calife Haroun al-Rachid. Il y eut un éléphant, des tissus, un jeu d'échecs et une horloge automate dont le mécanisme hydraulique subjugua l'empereur Charlemagne. Machines hydrauliques et automates conçus par l'ingénieur kurde Al-Dazari, mise au point de l'alambic par Jaber Ibn Hayane, le père de la chimie moderne, traités vétérinaires, ce qui est logique avec l'importance du cheval dans la culture arabo-musulmane, les textes médicaux aussi, ils sont très nombreux de l'époque abasside.

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Il nous faut mentionner aussi Avicenne, un médecin persan,  traducteur des œuvres d'Hippocrate et de Galien, qui rédige son canon de la médecine. Il servira de référence dans les universités européennes jusqu'au 17ème siècle et si l'on regarde maintenant du côté de la cartographie, la production et les avancées scientifiques sont énormes et serviront de base à la cartographie médiévale occidentale. En 1154, le géographe Al Idrissi (4) entreprend, pour le compte du roi normand Roger 2 de Sicile, une mappemonde composée de 135 feuillets. Une fois assemblés, les cartes d'Al Idrissi nous donnent une image du monde tel qu'on se le représente à l'époque et c'est un monde qu'on ne reconnaît pas tout simplement parce que les codes de représentation cartographique ne sont pas ceux que nous pratiquons aujourd'hui.

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On repère maintenant la France, l'Espagne, le bassin méditerranéen et plus à l'Est, la péninsule arabique, jusqu'aux limites de la Chine.

Voilà, ce bref voyage vous a permis de mesurer l'apport de cette civilisation sur notre culture. Finalement, les livres d'école nous apprennent bien l'apport de la civilisation grecque, la civilisation romaine, mais assez peu sur ce que nous devons à la civilisation musulmane. Or c'est peut-être ainsi que naissent les erreurs de représentation chez les enfants, puis le sentiment de supériorité chez l'adulte, le préjugé sur l'autre et sur la culture de l'autre. Or je trouve que les préjugés sur cette religion, et donc les hommes et les femmes qui la pratiquent, ont eu tendance à grandir ces dernières années en France, alimentés par un pouvoir exécutif dont la mission devrait être au contraire de corriger ces préjugés et de les apaiser. Les amalgames sont toujours dangereux, ils fragilisent la cohésion nationale et leur usage, en fait, est en contradiction complète avec les valeurs que, nous français, sommes sensés porter.

Cette histoire  peut, peut-être, vous apprendre, à être une fois encore, un petit peu plus humble devant la culture des autres. (5)

Vous pouvez lire « L'âge d'or des sciences arabes », édité par Actes Sud et l'Institut du monde arabe et puis « Le jardin d'Hadji Baba » d'Isabelle Delloye aux éditions Héloïse d'Ormesson, un très joli livre sur la dimension poétique de l'Afghanistan.