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Comment l’eau est venue à la Terre

D’où vient l’eau de la Terre ? Pendant longtemps, on a supposé qu’elle était arrivée grâce à des météorites chargées en eau, qui se seraient écrasées sur notre planète il y a plusieurs milliards d’années. Mais de nouvelles hypothèses voient le jour.

Evrard-Ouicem Eljaouhari

28 décembre 2024 à 17h54

 

 

 

AvecAvec cinq immenses océans, plus de cinquante mers et une surface à 70 % faite d’eau, difficile d’imaginer que la Terre se soit formée sèche. Et pourtant, les scientifiques pensent que notre planète n’a pas toujours été bleue. L’eau aurait été apportée des dizaines de millions d’années après sa formation, lorsque des météorites et comètes chargées en eau ont bombardé la Terre, l’abreuvant par la même occasion.

 

Toutefois, cette hypothèse d’une eau tombée du ciel n’est peut-être pas la réponse définitive. D’autres propositions, plus récentes, viennent la compléter. L’une d’elles, tout juste publiée dans la revue Astronomy & Astrophysics, par Quentin Kral, astrophysicien à l’observatoire de Paris-PSL, et ses collaborateurs, avance que l’eau proviendrait bien d’autres corps célestes, mais que ceux-ci ne se sont jamais écrasés sur la Terre.

 

Pour comprendre pourquoi on suppose que la Terre s’est formée sans eau, revenons près de 5 milliards d’années en arrière. À cette époque, notre système solaire n’existe pas encore. À la place se trouve un immense nuage interstellaire, appelé nébuleuse solaire, fait de gaz et de poussières.

 

Puis, il y a environ 4,6 milliards d’années, ce nuage s’effondre sous son propre poids. En son centre, la matière se retrouve si comprimée qu’un astre se forme : une protoétoile, qui deviendra notre soleil. À force de tourner autour de cette protoétoile, le nuage de gaz et de poussières s’aplatit et s’allonge jusqu’à former une sorte de disque dit protoplanétaire, duquel naîtront tous les corps constitutifs du système solaire.

 

« Ces corps, qu’ils soient des planètes, des comètes ou des astéroïdes se forment par accrétion [processus d’agglomération d’éléments inorganiques – ndlr] », précise Laurette Piani, cosmochimiste au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy. Autrement dit, les poussières s’agglomèrent petit à petit pour former des structures plus grandes. Les composés chimiques qui rentreront dans la constitution des corps ainsi formés sont donc seulement ceux présents dans les grains de poussière. Or, cette composition diffère selon la distance de la protoétoile.

 

Plus on est proche de l’astre central, plus la température est élevée. Et certains composés, comme l’eau, s’évaporent. Ainsi, on estime qu’entre la protoétoile et deux unités astronomiques (une unité astronomique, ou UA, correspond à la distance Soleil-Terre, soit environ 150 millions de kilomètres), l’eau dans le disque ne pouvait pas exister sous forme de glace, seulement sous forme gazeuse.

 

« Or, cette eau sous forme gazeuse ne peut pas être retenue dans les poussières solides, poursuit la cosmochimiste. Seule l’eau sous forme solide, donc sous forme de glace, peut l’être. » Conclusion : entre l’étoile centrale et jusqu’à deux UA, les poussières à partir desquelles les corps solides se sont formés ne contenaient pas d’eau. Pourtant, c’est précisément dans cette région du disque protoplanétaire que sont nées les planètes telluriques que sont Mercure, Vénus, la Terre et Mars.

 

« C’est de là que vient toute la discussion sur l’origine de l’eau terrestre : si elle n’était pas présente au départ, alors d’où vient-elle ? », interroge Laurette Piani. En tentant de répondre à cette question est née l’hypothèse du bombardement de la Terre par des corps chargés en eau.

 

L’eau tombée du ciel

En effet, les astéroïdes, comme les comètes, se sont formés dans une région plus froide du disque protoplanétaire, où la température était suffisamment basse pour que l’eau puisse exister sous forme de glace. 

 

Cette glace d’eau était donc piégée dans leur constitution même. Puis, en raison de la dynamique du système solaire, principalement dictée par les mouvements des planètes géantes, certains corps de la ceinture d’astéroïdes, située au-delà de Mars, se sont « décrochés » et ont quitté cette zone.

 

Au hasard de leur voyage interplanétaire, une partie de ces astéroïdes sont venus frapper notre planète. En entrant dans son atmosphère, leur glace d’eau s’est échauffée, se transformant en vapeur d’eau qui, petit à petit, est retombée sur la Terre. La transformant en cette planète bleue que l’on connaît aujourd’hui.

 

Un argument solide en faveur de ce scénario est celui dit du « rapport D/H ». Selon son origine, l’eau a une signature différente. Si l’eau « normale » (H2O) est constituée de deux atomes d’hydrogène (H) et d’un atome d’oxygène (O), il existe une version plus lourde de l’eau (HDO) où l’un des atomes d’hydrogène est remplacé par du deutérium (D). Le deutérium est un isotope de l’hydrogène, c’est-à-dire que son noyau possède le même nombre de protons (en l’occurrence un) mais a un nombre de neutrons différent : le deutérium a un neutron quand l’hydrogène n’en a pas. Puisque son noyau est constitué d’une particule de plus, le deutérium est plus lourd que l’hydrogène.

 

Or, plus la température à laquelle l’eau s’est formée est basse, plus elle est enrichie en deutérium. Puisque les corps du système solaire se sont formés dans différentes régions, le rapport entre leur quantité de deutérium et celle d’hydrogène (le « rapport D/H ») est différent. En le mesurant, on peut donc remonter à son origine. Sur Terre, le rapport D/H est de 1,5 × 10−4. « Et dans les astéroïdes aussi », révèle Quentin Kral.

 

La Terre s’est formée sèche et l’eau qui constitue aujourd’hui ses océans a la même constitution chimique que celle que l’on retrouve au sein des astéroïdes. La théorie est née : l’eau terrestre aurait été apportée par des astéroïdes. Facile ? pas pour Quentin Kral. « Cette hypothèse est quand même assez hasardeuse, puisque ce n’est pas si facile d’imaginer un processus qui explique à la fois comment le système solaire s’est formé, et comment un grand nombre de corps a été éjecté de la ceinture d’astéroïdes pour finalement impacter la Terre. »

 

Un bain interplanétaire

Pour y parvenir, des arguments dynamiques complexes – comme certains mouvements de planètes – doivent être ajoutés aux modèles qui reproduisent la formation du système solaire. Ce qui ne convainc pas l’astrophysicien : « Ça manque d’universalité, rapporte-t-il. Dans l’univers, il existe beaucoup de systèmes planétaires organisés comme le système solaire, il est difficile d’imaginer que ces ajustements dynamiques ne soient arrivés que chez nous. » Avec ses collaborateurs, le chercheur est donc parvenu à une hypothèse alternative qui permet d’expliquer comment l’eau des astéroïdes a pu arriver sur Terre, sans que des astéroïdes ne soient venus s’y écraser.

 

Car si une chose ne change pas pour Quentin Kral, c’est que l’eau provient bien des astéroïdes. Déjà parce que le rapport D/H semble le montrer, mais aussi parce que si les astéroïdes de la ceinture ne contiennent plus d’eau aujourd’hui, on peut voir qu’ils en ont eu par le passé. Il faut donc pouvoir expliquer où est passée cette eau.

 

La nouvelle hypothèse avancée par l’astrophysicien est donc la suivante. Quelques millions d’années après la formation de la protoétoile, le disque protoplanétaire s’évapore. Ce faisant, la lumière émise par l’astre central, qui était initialement bloquée par le disque, s’aventure de plus en plus loin. Puis, entre 5 et 10 millions d’années plus tard, la lumière du Soleil peut se propager suffisamment pour atteindre la ceinture d’astéroïdes. Sous cette chaleur nouvelle, les astéroïdes se subliment : les glaces qui les composent, et notamment les glaces d’eau, passent directement à l’état gazeux. « Ça crée alors un disque de vapeur d’eau localisé au niveau de la ceinture d’astéroïdes », détaille Quentin Kral.

 

Ensuite, à mesure que le temps passe, ce disque de vapeur s’étale à travers le système solaire. Rapidement, entre 1 000 et 10 000 ans, il atteint l’orbite des planètes internes, dont la Terre fait partie. Lors de ce « grand bain », qui dure 10 à 20 millions d’années, l’attraction gravitationnelle des planètes piège cette vapeur d’eau dans leur atmosphère. Une fois capturée, cette vapeur d’eau peut alors se condenser et tomber sur la planète sous forme d’eau liquide. « Avec ce modèle, on peut expliquer l’entièreté de l’eau sur la Terre, aussi bien l’eau contenue dans l’atmosphère et les océans, que l’eau présente dans les roches du manteau terrestre », avance Quentin Kral.

 

« C’est un travail très robuste, complimente Hervé Cottin, astrochimiste à l’université Paris-Est-Créteil, qui n’a pas participé à l’étude. L’avantage avec cette hypothèse, c’est qu’elle peut être testée sur d’autres systèmes planétaires. » C’est précisément ce qu’espèrent Quentin Kral et ses collègues, qui mènent actuellement des observations avec le radiotélescope Alma, installé dans le désert d’Atacama, au Chili, avec l’espoir de trouver dans des systèmes planétaires plus jeunes que le nôtre ce fameux disque de vapeur d’eau.

 

« C’est vraiment une piste intéressante », salue également Laurette Piani. En 2020, cette chercheuse avait quant à elle proposé une autre hypothèse : la Terre ne se serait pas formée sèche. Du moins, les éléments nécessaires pour former de l’eau, à savoir l’hydrogène et l’oxygène, étaient déjà présents dans les roches terrestres.

 

Une jeune Terre pas si sèche

Pour parvenir à cette conclusion, Laurette Piani et son équipe ont étudié des chondrites à enstatite, un type de météorites qui se seraient formées au même endroit que les roches qui constituent la Terre. « Elles sont donc de bons analogues aux roches terrestres, d’autant qu’elles n’ont presque pas évolué géologiquement depuis leur formation. » Or, les chercheurs y ont découvert non seulement de l’oxygène, ce qui était attendu, mais aussi de l’hydrogène. « Cet élément est très volatil et donc difficile à maintenir dans les roches », poursuit la cosmochimiste.

 

La présence d’hydrogène dans ces chondrites suggère donc que les roches terrestres en étaient également pourvues. Reste à trouver un mécanisme qui aurait permis à cet hydrogène piégé dans le manteau de se lier aux atomes d’oxygène puis de former des océans en surface. « Il aurait pu être dégazé dans des zones de volcanisme de point de chaud, comme à Hawaï », propose Laurette Piani.

 

Terre sèche bombardée par des météorites, abreuvée par un bain de vapeur ou eau déjà présente sur Terre. Pour l’heure, impossible de trancher. La vérité se cache d’ailleurs sûrement probablement dans toutes ces hypothèses à la fois. L’eau sur Terre serait donc venue par de multiples chemins pour façonner nos rivières et remplir nos océans.