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"Salut les amis, toujours vivants"

Rami Abou Jamous, journaliste : “Le vrai but, c’est de parler de Gaza tout le temps, surtout dans les médias français”

 

Rami Abou Jamous, journaliste : “Le vrai but, c’est de parler de Gaza tout le temps, surtout dans les médias français”
Il est né à Beyrouth et voulait être ingénieur. Il est devenu journaliste en Palestine, une source incontournable pour la presse francophone. Depuis plus d’un an, il raconte le quotidien dans la bande de Gaza, et à quel prix la vie s’y poursuit.

 

Dans ses posts et vidéos, Rami Abou Jamous évoque  sa vie de famille dans un campement à Deir el-Balah.

 

Par Richard Sénéjoux

 

Sa fuite de la ville de Gaza le 10 novembre 2023, filmée avec son téléphone portable, a fait le tour du monde. Les cris, les détonations, les images difficilement soutenables des blessés et des morts dans les rues, la tension permanente… Le document de Rami Abou Jamous, journaliste palestinien de 46 ans, a montré au plus près l’exode des Gazaouis pris sous le feu de l’armée israélienne. Déplacés à Rafah, à la frontière égyptienne, lui et sa famille ont de nouveau dû fuir en mai dernier et sont depuis installés à Deir el-Balah, au milieu de la bande de Gaza. Ils vivent sous une tente, à l’image de dizaines de milliers d’autres réfugiés. « Mais nous sommes des privilégiés, nous avons des matelas et des couvertures à l’heure où l’hiver commence à se faire sentir, assure Rami Abou Jamous, joint au téléphone début décembre. Les conditions de vie deviennent de plus en plus difficiles, on manque de tout. »

 

C’est aussi grâce à son téléphone, quand il y a du réseau et qu’il n’est pas obligé de fuir les avancées des forces israéliennes, qu’il alimente au quotidien une boucle WhatsApp aujourd’hui composée de cent quatre-vingts journalistes et humanitaires francophones. Baptisée Gaza.Vie, elle s’ouvre chaque matin par ces mêmes mots de Rami Abou Jamous, devenus rituels : « Salut les amis » et « Tjs vivants ». Il y poste des nouvelles souvent terribles, entre bombardements, vidéos et photos d’enfants mutilés. Mais aussi des communiqués du Hamas ou de l’armée israélienne, des commentaires ou de petits articles. Un travail des plus précieux dans un territoire toujours fermé à la presse internationale : depuis les attaques du Hamas du 7 Octobre et la réplique sans fin des Israéliens, plus de cent quarante-cinq journalistes palestiniens sont morts, selon Reporters sans frontières. Plusieurs fois par semaine, il nourrit aussi son « Journal de bord de Gaza », publié sur Orient XXI. « C’est mon épouse, elle aussi journaliste, qui a eu l’idée du journal en voyant tout ce que Rami postait sur WhatsApp, confie Pierre Prier, membre du comité de rédaction de ce site spécialisé sur le monde arabe, qui a connu Rami en 2012 alors qu’il était en reportage à Jérusalem. Il m’envoie des messages vocaux, que je transcris en touchant le moins possible à son style. Rami est un formidable journaliste, qui a le sens de l’humour et de l’humain. »

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Dans ses chroniques, il parle de tout. Des horreurs de la guerre, évidemment. Mais aussi du quotidien des Gazaouis, pour qui tout est compliqué. De cette femme qui n’arrive pas à trouver un médecin pour son accouchement. Du paquet de cigarettes passé à 1 000 shekels (250 euros), qui a entraîné un trafic de mégots. Du kilo de tomates ou de concombres à 400 shekels (100 euros) à Gaza-ville. De ces nouveaux « petits boulots » type rouleurs de cigarettes, réparateurs de billets de banque ou… de tongs (!), vendeurs de sacs plastique, loueurs d’espaces de frigo… Des histoires qui en disent long sur les conditions de vie à Gaza où, pour faire face par exemple à la pénurie de shampoing, beaucoup se rasent la tête (et celles de leurs enfants). Pour tout ce travail, Rami Abou Jamous a décroché trois récompenses en octobre dernier au prix Bayeux des correspondants de guerre, l’un des plus prestigieux de la profession. « C’est une victoire. Ça montre bien qu’on peut être palestinien ET journaliste », insiste-t-il, ému.

 

Pourtant, c’est bien le dernier métier qu’il voulait exercer. La faute à son père, proche du leader de l’OLP Yasser Arafat, qui avait fondé l’agence de presse palestinienne Wafa dans les années 1970. Pour mieux s’en affranchir, Rami Abou Jamous se serait plutôt vu… ingénieur. Grâce à une bourse du centre culturel français de Gaza, il avait même démarré des études à Aix-en-Provence – d’où son excellent français. Mais il a dû rentrer en 1999 à Gaza après la mort du paternel, qui avait accompagné le retour du leader du Fatah dans le territoire palestinien cinq ans plus tôt. Après quelques années à travailler comme fonctionnaire au sein de l’Autorité palestinienne, Rami Abou Jamous se retrouve sans emploi après la victoire du Hamas aux élections, fin 2006.

    Tous les journalistes francophones ont eu un jour affaire à Rami dans la région. Rami est quelqu’un d’étonnant : il n’est pas de Gaza mais a développé un amour incroyable pour cette ville.

Benjamin Barthe, chef adjoint du service international du Monde

« Après six mois sans salaire, j’ai donné un coup de main à un ami qui travaillait dans une boîte de production, explique-t-il. Il avait besoin d’un fixeur [traducteur et guide pour les journalistes en reportage, ndlr] pour un reporter de L’effet papillon de Canal+, Thomas Zribi. J’ai vraiment commencé par hasard dans le métier. » Ses compétences feront le reste, on s’échange activement son numéro entre reporters. « Tous les journalistes francophones ont eu un jour affaire à Rami dans la région, confirme Benjamin Barthe, chef adjoint du service international du Monde, correspondant à Ramallah en 2007. À chaque guerre, je l’appelle. Rami est quelqu’un d’étonnant : il n’est pas de Gaza [il est né à Beyrouth, ndlr] mais a développé un amour incroyable pour cette ville, qu’il a le talent de transmettre à ceux avec qui il bosse. » Il se souvient des nombreux repas partagés sur la plage, des soirées bédouines avec four aménagé dans le sable.

 

Aujourd’hui, Rami Abou Jamous travaille régulièrement pour France 24, TF1, Arte et Orient XXI, et ponctuellement pour (beaucoup) d’autres. « Le vrai but, c’est de parler de Gaza tout le temps, surtout dans les médias français », confie-t-il.  « Vu tout ce qu’il a traversé jusqu’ici, c’est un miraculé, souffle Cyril Payen, grand reporter à France 24, qui l’a rencontré en 2014. On a vraiment besoin de lui en vie. » Dans ses posts et ses vidéos, Rami Abou Jamous évoque aussi sa vie de famille, notamment la façon dont son fils Walid, aujourd’hui âgé de 3 ans, traverse la guerre. Souvent avec légèreté, comme lorsqu’il raconte les zigzags en voiture pour s’enfuir de Rafah ou comment il a fait jouer son fils au campeur en arrivant à Deir el-Balah. « C’est dur de faire le clown, de faire croire que tout va bien, lit-on dans son Journal de bord de Gaza (éd. Libertalia-Orient XXI, 18 euros), qui regroupe des chroniques parues entre le 21 février et le 29 octobre 2024. Les enfants d’aujourd’hui transmettront à leurs enfants l’angoisse et la violence qu’ils sont en train de vivre. »


Avec sa femme, Sabah, ils attendent un bébé pour mars. « Comme on est en train de nous effacer, c’est aussi notre façon de résister, de montrer que sous la tente, il y a de la vie. » Soixante mille femmes seraient enceintes dans la bande de Gaza. « Un jour, ces enfants-là déclareront l’État palestinien et vivront en paix avec les Israéliens », veut croire Rami Abou Jamous.

 

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