JustPaste.it

Les sols sont largement pollués par les microplastiques

Les sols sont largement pollués par les microplastiques

Une étude de l’Ademe publiée le 26 décembre fait état d’une présence massive de microplastiques dans les sols, en particulier agricoles. Une pollution en grande partie due à un tri des déchets défaillant, d’après ces travaux inédits en France.

Amélie Poinssot

26 décembre 2024 à 18h20

 

C’estC’est une première du genre. Si jusqu’ici la contamination des eaux et des océans par les plastiques, objet de nombreuses recherches, était connue, celle des sols l’est beaucoup moins. Jeudi 26 décembre, l’Ademe est venue combler ce manque en publiant une étude sur la présence de microplastiques sous nos pieds. Le résultat n’est pas beau à voir : les trois quarts des sols examinés par l’Agence de la transition écologique sont contaminés par des produits issus de la dégradation de matières plastiques.

 

Pour arriver à ce résultat, l’Ademe a examiné 33 sols différents, parmi lesquels 29 sols agricoles (grandes cultures, prairies, vignes, vergers), et 4 sols forestiers. Elle y a détecté, pour 76 % d’entre eux, des microplastiques d’une taille comprise entre 0,3 et 5 mm. Autrement dit, certains sont invisibles à l’œil nu, mais un kilo de sol sec contient en moyenne 15 particules de microplastiques, selon l’étude. La plupart de ces résidus appartenant au polyéthylène, la matière plastique la plus commune.

 

« Nous avons été surpris par la quantité de microplastiques, témoigne auprès de Mediapart Roland Marion, directeur de l’économie circulaire à l’Ademe. Nous nous doutions que ces particules étaient présentes dans les sols mais aucune étude quantifiée avec ce niveau de détail n’avait été faite auparavant et l’on ne pensait pas que le pourcentage de sol touché serait aussi élevé. »

 

Pour l’Ademe, la nouvelle est à prendre au sérieux, et il va falloir poursuivre les travaux au-delà de cette première étude, qui ne porte que sur 33 échantillons. Car ce qui est en jeu, c’est une pratique qui se voulait écologique : le tri et le recyclage des déchets – les biodéchets, issus de la décomposition des aliments, permettant de remplacer les engrais chimiques dans les champs agricoles. Or ce tri est mal fait, et ces fertilisants à base de matières naturelles contiennent des tas de résidus issus de la dégradation d’emballages plastiques. L’agence a analysé 167 échantillons de matières organiques ; 166 d’entre eux comprenaient des microplastiques.

 

« Notre étude pointe les pratiques de collecte et de tri des déchets, poursuit Roland Marion. Il y a, en amont, un tri qui peut être mal réalisé dans les foyers. Il faut comprendre que ce que l’on fait chez nous a un impact sur ce qui est épandu dans les champs... Mais il y a aussi des outils industriels défectueux. Ils sont censés séparer les biodéchets du reste, mais le plastique passe malgré tout. C’est le cas notamment des TMB [tri mécano-biologique – ndlr], on en compte une quarantaine sur le territoire. »

 

Les défauts de cette technologie sont connus, et les produits organiques issus de ce tri ne pourront plus être épandus sur les sols agricoles à partir de 2027. Au vu des résultats de son étude, cependant, l’Ademe préconise de cesser cet usage dès à présent. « On peut recycler ces déchets autrement, par exemple en les mettant dans un méthaniseur, pour produire du gaz », précise Roland Marion.

 

Le tri des déchets et le paillage en cause

Autre technologie à l’origine de la pollution des sols : le « paillage » à base de films plastiques. Ces grandes bâches, utilisées en agriculture pour recouvrir les sols afin d’y retenir chaleur et humidité et empêcher les « mauvaises herbes », entraînent elles aussi une infiltration de produits plastiques dans les parcelles. « Bien que les films soient retirés des sols en fin de cultures, les fragments de films au polyéthylène ont été retrouvés sans les huit sous-parcelles d’essai, écrit l’Ademe. Des fragments de films biodégradables ont également été retrouvés au moins cinq ans après la fin des paillages. »

 

Le plastique n’est pourtant pas indispensable dans cette technique de couverture des sols qui présente l’avantage de se passer de produits chimiques. Le paillage peut en effet se faire avec de la matière végétale (terreau de feuilles mortes, paille, copeaux de bois, chanvre…). « Les toiles ou bâches plastiques utilisées comme paillage sont nocives pour la vie des sols et la biodiversité, lit-on sur le site de l’Office français pour la biodiversité (OFB). Au bout d’un certain temps, le soleil et la pluie dégradent ce plastique en micro et nanoparticules, qui vont contaminer durablement les sols et l’eau. Il est absolument nécessaire d’éviter d’utiliser ce type de paillage. Même les paillages en bioplastiques sont à écarter : certains sont biodégradables, mais pas tous. De plus, leur recyclage est très difficile voire impossible. »

 

L’alternative est donc toute trouvée, et elle est en réalité déjà pratiquée par de nombreuses personnes. À quand des mesures du ministère de l’agriculture pour réduire cet usage du plastique dans les champs ?

Ces bâches sont « une vraie catastrophe », souligne Marc-André Selosse, biologiste spécialiste des sols. « On sait qu’on ne peut pas éliminer le plastique, une fois qu’il est là, il est là pour toujours… Donc il faut tout faire pour ne pas l’introduire. »

 

Le chercheur rattaché au Museum national d’histoire naturelle, « seulement à moitié étonné par l’étude de l’Ademe », reconnaît que les effets du plastique sur les sols sont encore mal connus. « Mais il a un effet sur la biodiversité, c’est certain, puisqu’il est absorbé par toute la faune qui vit sous nos pieds. Or c’est un cancérogène et un perturbateur endocrinien. C’est donc une pression de plus, qui s’ajoute à tout ce que les animaux des sols subissent déjà avec les pesticides, le labour, le changement climatique… Cela commence à faire beaucoup ! »

 

Et pour ne rien arranger, l’intrusion du plastique dans les sols les rend plus hydrophobes ; autrement dit cela réduit leur capacité à retenir l’eau. « Or il nous faut de l’eau dans les sols pour nos étés secs... », rappelle le scientifique.