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Comment, sous les radars médiatiques, les jeunes LR, RN et Reconquête ont fait tomber les digues

Jeudi 2 mars 2023 - 15:25 1817 mots

 

Comment, sous les radars médiatiques, les jeunes LR, RN et Reconquête ont fait tomber les digues

ENQUÊTE - Le magazine L'Incorrect réunit, ce vendredi, les représentants des organisations de jeunesse du RN, des Républicains et de Reconquête. Un rendez-vous rendu possible par des années de structuration souterraine des réseaux de la « droite hors les murs ». Récit.

 

Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables. Le 14 février, jour de Saint-Valentin, la jeunesse conservatrice se réunit dans les locaux du très droitier magazine L'Incorrect , pour s'y offrir une interview croisée. Autour de la table, deux vestes de costume, et un polo Fred Perry. Stanislas Rigault, président de «Génération Z», Guilhem Carayon, chef des «Jeunes Républicains», et Pierre-Romain Thionnet, patron du «Rassemblement national de la jeunesse» (RNJ). La jeunesse de droite, c'est eux. De la tendance la plus dure à une ligne plus modérée, ils sont les visages de l'engagement d'une nouvelle génération. S'ils roulent chacun pour leur parti et affichent des divergences d'approche, ils n'hésitent pas à poser ensemble à la une du magazine. Le «cordon sanitaire», digue théorisée entre la droite traditionnelle de gouvernement et l'extrême droite, en prend un coup. Une partie de la vieille génération aussi, habituée du front républicain et sans voix devant ces jeunes qui assurent : «On se connaît, on se côtoie, on pense la même chose.»

 

Impensable il y a dix ans, où n'importe quel membre de LR aurait été exclu du parti pour moins que ça. Aujourd'hui, quelques réactions se font tout de même entendre, à droite . Certains allant jusqu'à demander la tête de Guilhem Carayon. L'intéressé, lui, assume son initiative, et revendique la nécessité de parler à tous, au-delà de son propre camp. Pour autant, il assure militer «pour l'exact contraire de l'union des droites» , et défendre «une ligne indépendante pour Les Républicains.» En interne, il est réprimandé, mais ne sera pas sanctionné. D'autant que l'événement renvoie Éric Ciotti à ses propres propos, lorsqu'en pleine campagne de la primaire LR, en 2021, il avait assuré préférer voter Eric Zemmour face à Emmanuel Macron.

 

Si une partie de la droite classique s'autorise aujourd'hui à s'afficher sans complexe avec le Rassemblement national, c'est aussi grâce à un long travail de décloisonnement souterrain et de structuration des réseaux. Des années pendant lesquelles la «droite hors les murs» s'est façonné un écosystème par-delà les partis, où il était interdit de se parler publiquement, mais courant de trinquer ensemble dans des caves du VIème arrondissement de Paris. Sous les radars médiatiques.

 

Tout commence en garde à vue

Tout commence en garde à vue. En 2013, la «Manif pour tous» bat son plein. Une poignée de jeunes militants, en sit-in devant l'Assemblée nationale, est embarquée dans un commissariat du nord de Paris. En cellule, ils font connaissance, comprennent rapidement qu'ils sont issus des mêmes cercles, et commencent à entonner des chants scouts. Parmi eux, deux jeunes, profil droite catholique conservatrice. Ils s'appellent Charles de Meyer et Benjamin Blanchard. L'un encore étudiant, l'autre collaborateur du maire d'Orange (Vaucluse) Jacques Bompard. Ils fonderont ensemble SOS Chrétiens d'Orient, association centrale dans le microcosme de la droite hors partis.

Pour eux, l'épisode de la «Manif pour tous» est un acte fondateur. « C'est un événement marquant de notre courant idéologique, qui a remué ensemble une sociologie craintive de passer le cap de l'engagement», commente Charles de Meyer. Ces militants, issus de chapelles différentes, mais portés par les mêmes convictions sociétales, partagent ce combat de quelques mois. Et se parlent, pour la première fois. Alors, lorsque le combat contre la loi Taubira s'achève avec le vote du mariage et de l'adoption pour les couples homosexuels, Charles de Meyer a un projet : perpétuer cette dynamique, et travailler à abattre les «barrages» qui séparent les différentes formations conservatrices et nationalistes.

 

La construction d'un écosystème

À Paris, la nébuleuse de la «droite hors les murs» voit le jour. L'ambiance est tamisée, ce soir-là, à l'Eden Park, un «pub» de Saint-Germain-des-Prés. De petits groupes se pressent, et les regards se tournent vers Charles de Meyer, qui lâche quelques mots de bienvenue. Quelques frontistes ont répondu présent, dont des proches de Marion Maréchal : François-Louis d'Argenson, Philippe Vardon, ou Damien Rieu. Des figures de l'UNI, aussi, comme Samuel Lafont, comme des collaborateurs LR. Des signatures de la rédaction de Valeurs Actuelles , enfin, représentée par Laurent Dandrieu ou Charlotte d'Ornellas. Bienvenue aux «soupers de la réaction». Un rendez-vous régulier, qui réunit officieusement les petits cercles parisiens de la droite. Deux règles, seulement : être prêt à échanger avec tous et, surtout, ne prendre aucune photo. Les discussions sont agréables. Une pinte à la main, on y disserte sur le capitalisme, la bioéthique, l'identité, la civilisation, et bien sûr l'immigration. Les points de vue convergent. Tous ont lu Maurras, Bernanos, Michéa ou Alain de Benoist. «L'idée, c'était de réunir des gens qui voulaient faire de la politique librement, surtout pas les partisans d'un esprit de parti» , insiste Charles de Meyer, aujourd'hui assistant parlementaire du RN au Parlement européen.

Le concept séduit, et des initiatives parallèles voient peu à peu le jour. Tous les 18 du mois, au Tambour, rue Montmartre, défile la jeunesse conservatrice parisienne. Ici, on retrouve Sarah Knafo, future pièce maîtresse de la campagne d'Éric Zemmour ; là, Erik Tegnér, ancien LR partisan de l'union des droites ; mais aussi Pierre Gentillet, ancien responsable des jeunes UMP aujourd'hui chroniqueur sur CNews ; ou encore le royaliste Jacques de Guillebon, fondateur et longtemps directeur de la rédaction de L'Incorrect . Il n'est pas rare, ensuite, que la soirée se poursuive rue des Canettes, haut lieu de sociabilisation de cette «droite hors les murs». Au «Chai Antoine» ou dans la pénombre des Caves Saint-Germain se joignent alors quelques frontistes. D'aucuns se souviennent avoir aperçu Jordan Bardella, Pierre-Romain Thionnet, ou Alexandre Loubet, aujourd'hui député RN. Florian Philippot passe même parfois une tête. RN, droite populaire, Debout la France, la Cocarde... Ici, les cercles se croisent et se mélangent. Adossés aux murs de pierre, on rêve de souverainisme et de renouveau nationaliste. Ces jeunes le savent : ils partagent la même colonne vertébrale idéologique. Et sont persuadés d'une chose : tôt ou tard, ils se retrouveront.

 

Galaxie et pépinières

La «droite hors les murs» vit alors ses plus belles années. Sa galaxie se structure, et des dizaines de pépinières constituent son centre gravitationnel. Parmi elles, l'Institut de Formation Politique (IFP) situé dans le XVIème arrondissement. Jordan Bardella y intervient régulièrement, Éric Zemmour y est ovationné, et la plupart de ses futurs lieutenants, comme Stanislas Rigault ou Samuel Lafont, sont passés par là. Frontistes, souverainistes, républicains, identitaires s'y croisent, discutent, et surtout, vivent l'expérience d'une mise en commun des réseaux, dans ce laboratoire de l'«union des droites». Car si les engagements partisans se diversifient, une certitude persiste : ici, on fait partie du même camp. C'est le réel apport de ces années de soirées souterraines : « Ça a donné naissance à une solidarité de fait et à un réseau de soutien mutuel, appuie Charles de Meyer. Après, ça facilite la vie de tous : tu as le numéro de téléphone, tu t'es déjà croisé, tu peux te parler calmement quand tu as un sujet, c'est très utile.»

 

Les soirées se tarissent peu à peu, et les participants réguliers, dispersés dans les différents partis, se saluent d'un sourire entendu lorsqu'ils se croisent sur les plateaux de télévision. Mais l'héritage est acquis. La nouvelle génération, bien que lassée des partis classiques, n'a plus peur de s'engager, et de parler ensemble, au-delà des structures. Ces nouveaux visages, plus décomplexés, sont ceux de Stanislas Rigault, Pierre-Romain Thionnet, et dans une moindre mesure Guilhem Carayon. Eux ne craignent pas de dire qu'ils se connaissent, se côtoient et s'apprécient. «On sait tous qu'on est d'accord sur le fond, que les divergences ne sont qu'anecdotiques» , insiste Stanislas Rigault.

 

Le renouveau Génération Z

Pour preuve, la «droite hors les murs» frémit de nouveau à l'été 2021. Quelque chose se prépare autour d'Éric Zemmour, et éveille l'intérêt de la jeunesse identitaire, qui délaisse alors les mouvements jeunes des partis traditionnels. «Génération Z», l'organisation de jeunesse chapeautée par Stanislas Rigault, suscite un engouement particulier, et apporte un nouveau souffle aux jeunes orphelins de la droite, persuadés d'avoir trouvé une maison commune. Les voilà donc qui entrent finalement dans la logique d'écurie contre laquelle ils s'étaient construits, avec ce que cela implique de dynamique concurrentielle. Adversaires du moment, une rivalité s'installe dès lors entre ceux qui partageaient les mêmes soirées. Et la campagne présidentielle de 2022 laisse des traces, renforçant le réflexe d'indépendance des structures politiques.

 

Désormais, «Génération Z», qui revendique une certaine pureté idéologique, reproche encore au RN de reculer sur les idées, de ne pas taper assez fort sur les sujets migratoires et identitaires. Les lepénistes, quant à eux, confortés par leurs bons résultats à la présidentielle puis aux législatives, et leur volonté de devenir un parti de gouvernement, regardent de haut ces jeunes agités qui ont voulu les détrôner. Une rivalité persiste. En témoigne cette soirée du 2 décembre dernier. Sur une péniche parisienne, le «RNJ» célèbre la promotion de son nouveau leader, Pierre-Romain Thionnet. La soirée se déroule sans encombre jusqu'à ce que, peu avant minuit, une poignée de participants appelle les responsables de «Génération Z» pour s'enquérir d'un endroit où terminer la fête, déçus par l'ambiance frontiste. Mais si l'enthousiasme reste du côté des zemmouristes, les jeunes savent que c'est au RN qu'ils pourront trouver un vrai débouché professionnel. Alors, malgré toute leur sympathie pour le mouvement de Stanislas Rigault, c'est à Pierre-Romain Thionnet et Jordan Bardella que l'on envoie des CV.

 

Le socle identitaire

Et si la fête continue dans les pubs de Saint-Germain, les «soupers de la réaction» portent désormais le nom de «lapinades» (en référence à leur nouvel organisateur, Garen Shnorhokian, habitué de cet écosystème et membre de la campagne Zemmour). Mais la foule transpartisane des soirées passées a laissé place, ce samedi, à un noyau quasi-exclusivement Reconquête. Lepénistes et jeunes Républicains ont quasiment déserté les lieux, depuis que 2022 est passée par là. Certes, on se croise, toujours, et on se parle, encore. Avec une certitude : ce qui réunit la jeunesse de droite, c'est bel et bien l'identité, et la volonté, comme l'affirme Pierre-Romain Thionnet, que « le peuple français continue et ne change pas irrémédiablement ». Mais les rêves d'union des droites ont été douchés, pour l'instant, par la réalité du scrutin. Chacun revenu dans son couloir, seule la jeunesse zemmouriste, un verre à la main, rêve encore dans son coin d'abattre les murs. Et attend, patiemment, le retour de la lune de miel.