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"Un enfant ? Non merci, lance Lin, une Pékinoise de 28 ans, influenceuse sur les réseaux sociaux. Les enfants demandent trop d’attention, ça coûte cher de les élever et il faudrait que je déménage pour un appartement plus grand. Je préfère vivre comme je veux." La jeune femme exprime les préoccupations de la plupart des jeunes Chinois : le coût de la vie, de l’éducation et de la santé. Auxquelles se sont ajoutées les cicatrices de trois années de stratégie sanitaire drastique, avec son lot de confinements et d’incertitudes, qui ont un peu plus éteint le désir d’enfant. "La politique 'zéro Covid' a conduit à une économie zéro, à des mariages zéro, à une fécondité zéro", résume Yi Fuxian, spécialiste de la démographie chinoise.

Le phénomène se traduit de plus en plus dans les chiffres. La Chine a reconnu officiellement que sa population (1,4 milliard d’habitants) avait rétréci l’an passé de 850 000 personnes, pour la première fois depuis soixante ans. Dès cette année, l’Inde prendra sa place de pays le plus peuplé au monde. Seulement 9,56 millions de bébés sont nés dans l’empire du Milieu en 2022, deux fois moins qu’il y a dix ans. Et ce, malgré la levée de la politique de l’enfant unique en 2016 (depuis 2021, il est même possible d’avoir trois enfants).

 

Les plus de 60 ans représentent 18,70 % de la population. La Chine s’inscrit dans les pas du Japon, où 28 % de la population est âgée de 65 ans ou plus, mais son vieillissement est encore plus rapide. Une transformation qui menace un système de protection sociale fragile et la croissance économique. "Si les gens constatent que la société vieillit très vite, ils ont tendance à économiser pour leur retraite. Ils épargnent beaucoup plus et consomment moins, souligne Shaun Roache, économiste chez S&P Asie-Pacifique. Ce qui crée des problèmes sur le marché immobilier et rend le pays trop dépendant des exportations."

"Je veux rester une femme libre"

Pour encourager les naissances, les initiatives locales se multiplient. Plusieurs provinces versent des allocations familiales, des primes - près de 2 600 euros à Shenzhen pour les familles avec trois enfants - ou des aides à l’achat d’un logement. Pékin et Shanghai ont porté les congés maternité à 158 jours, 60 de plus que la norme nationale, et des crèches publiques sont en projet. Quant à la province du Sichuan, 80 millions d’habitants, elle a même levé toutes les restrictions : les habitants peuvent avoir autant d’enfants qu’ils le souhaitent. Un virage à 180 degrés après trente-six ans de contrôle des naissances, entre 1979 et 2015.

Mais rien n’y fait, les poussettes sont toujours aussi rares dans les grandes métropoles. Outre l’habitude bien ancrée de n’avoir qu’un seul enfant, un "petit empereur" dorloté et gâté, les deux tiers des Chinois habitent dans des villes, où les enfants représentent une lourde charge financière. Autre facteur, les jeunes Chinoises poursuivent leurs études plus tard, et sont de moins en moins nombreuses à vouloir se marier. "Je vis très bien toute seule, reprend Lin. La vie de famille en Chine est trop pesante : les parents veulent tout contrôler et élever les enfants à votre place. C’est étouffant, je veux rester une femme libre. Et les aides des autorités n’y changeront rien !" Une enquête menée l’année dernière révèle que deux tiers des femmes de 18 à 25 ans ne veulent pas d’enfant.

On note enfin un changement drastique de mentalité chez certains jeunes qui ont adopté une philosophie apathique surnommée "tang ping", "rester couché", rejetant la pression sociale pour se contenter d’une vie sans contrainte, et donc sans enfant. L’an dernier, une vidéo devenue virale montrait un jeune homme refusant d’être emmené dans un camp de quarantaine pour malades du Covid. Alors que la police menace de punir sa famille sur trois générations, il rétorque froidement : "Nous sommes la dernière génération."

 

"L’avenir de cette jeunesse est de plus en plus incertain, ils ont l’impression d’être en compétition permanente pour de maigres récompenses. En guise de protestation, ils choisissent de ne pas avoir d’enfants, analyse Barclay Bram, chercheur à l’Asia Society Institute Center. En ne se reproduisant pas, contre le souhait du gouvernement, ils ont l’impression de reprendre le contrôle de leur vie."