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Manifestations en Chine : Pékin amorce la sortie de la politique zéro Covid

Les autorités ont annoncé une « nouvelle phase » dans la lutte contre l’épidémie, après presque trois ans de restrictions draconiennes.

Par Simon Leplâtre(Shanghaï, correspondance)

 

Dans les rues de Shanghai, en mars 2022.

 Dans les rues de Shanghai, en mars 2022. HECTOR RETAMAL / AFP

 

Pékin a fini par écouter la colère de la rue. Après une semaine de protestations exceptionnelles, menées à la fois par des étudiants et des résidents en colère contre leur confinement, les autorités chinoises ont annoncé, jeudi 1er décembre, l’entrée dans une « nouvelle phase ». L’annonce intervient également à un moment charnière, après presque trois ans d’une politique zéro Covid draconienne : plusieurs villes, dont la capitale chinoise, où le nombre de cas s’élevait à 3 968 cas quotidiens au 1er décembre – et 6 653 cas à Canton –, voient le nombre de cas augmenter à un niveau qui obligerait à un confinement général pour revenir à quelques infections par jour. Au contraire, Pékin et Canton ont annoncé jeudi que certains cas contacts pourront désormais s’isoler chez eux et non plus dans des centres collectifs aux conditions sommaires. La sortie du zéro Covid devrait toutefois prendre des mois et passer par des phases compliquées, dans un pays où beaucoup de gens sont terrifiés à l’idée d’être contaminés.


Plusieurs signaux avaient été envoyés en ce sens en début de semaine, mais c’est la vice-première ministre, Sun Chunlan, responsable de la réponse à l’épidémie depuis début 2020, qui a clarifié les choses : « Alors que le variant Omicron devient moins pathogène, que plus de gens sont vaccinés et que notre expérience en matière de prévention du Covid-19 a progressé, notre combat contre la pandémie arrive à une nouvelle étape », a-t-elle déclaré. Jeudi, la tour Canton, le plus haut gratte-ciel de la capitale du Guangdong, affichait un message sans équivoque : « Chaque personne est individuellement la première responsable de sa santé. »

 

Le gouvernement avait amorcé un léger changement le 11 novembre, en publiant vingt mesures censées aider à mieux cibler les restrictions, interdisant par exemple les confinements trop larges ou les fermetures d’écoles préventives. Mais alors que le nombre de cas augmente avec l’arrivée de l’hiver, les gouvernements locaux n’ont fait que renforcer les restrictions, car l’objectif affiché par Pékin restait le zéro Covid. L’expérience de Shanghaï, en mars, avait pourtant montré que tenter d’arrêter le variant Omicron avec des mesures ciblées ne fonctionne pas. Cet écart entre les discours de Pékin et la réalité sur le terrain a d’ailleurs alimenté les tensions de ces dernières semaines. L’annonce de Sun Chunlanclarifie les choses : si elle n’a pas proclamé la fin officielle du zéro Covid, qui prendra du temps, elle n’a pas non plus prononcé cette formule dans son allocution.

La Chine devra changer les mentalités

Largement soutenue par la population chinoise pendant deux ans, la politique zéro Covid a suscité de plus en plus de résistance en cette fin d’année. Après un incendie qui a fait dix morts dans une résidence confinée d’Urumqi, la capitale du Xinjiang, le 24 novembre, des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour dénoncer un confinement qui dure depuis plus de cent jours pour cette région de l’Ouest chinois. Des incidents similaires ont eu lieu dans des dizaines de villes depuis, tandis que, dans les universités et dans les rues de Shanghaï, des jeunes ont mené des manifestations demandant à la fois la fin du zéro Covid et plus de libertés politiques. L’économie souffrait elle aussi : le FMI prévoit une croissance de 3,2 % pour la Chine cette année, le taux le plus bas en quatre décennies, bien en dessous des 5,5 % de l’objectif officiel.

La nouvelle phase amorcée cette semaine s’annonce toutefois difficile. Pékin et Canton, les villes qui ont autorisé sous condition les quarantaines à la maison des cas contacts, ont confiné des millions de personnes depuis des semaines. L’exemple de Shijiazhuang, la capitale du Hebei, au sud de Pékin, est parlant : après l’annonce, le 11 novembre, des vingt mesures d’allègement, la ville a mis fin aux tests obligatoires pour accéder aux lieux publics. Mais la population a pris peur : des parents ont refusé d’envoyer leurs enfants à l’école, tandis que les habitants passaient pour des pestiférés, interdits d’accès dans le reste de la Chine. La municipalité est finalement revenue en arrière.


Pour réussir la transition vers l’ouverture du pays, la Chine devra changer les mentalités, après trois ans d’une propagande intense insistant sur les dangers du virus et le chaos qui régnait dans les pays moins stricts. Mais le message change : jeudi matin, deux importants journaux chinois ont publié des remarques d’experts pour rassurer sur la non-dangerosité du Covid-19 dans la majorité des cas, après des publications similaires ces derniers jours.

« Le plus dur sera d’éduquer la population »

Autre défi, la vaccination des seniors, la catégorie la moins bien protégée en Chine. Seuls 45 % des plus de 80 ans ont reçu une troisième dose. Mardi 29 novembre, la Commission nationale de la santé a annoncé la mise en place d’un « groupe de travail spécial » pour cette tâche. Objectif : atteindre 90 % de couverture pour cette catégorie de population.« Malheureusement, ils ont envoyé leurs ressources ailleurs : au lieu de dépenser de l’argent pour développer plus de lits en soins intensifs et augmenter la vaccination des personnes âgées, ils ont dépensé leurs ressources pour des tests PCR et des centres de quarantaine. Cela rend le processus de sortie très compliqué », déplore Huang Yanzhong, spécialiste des politiques de santé en Chine au Council on Foreign Relations. En ce moment, les gouvernements locaux continuent à construire en masse des centres d’isolement mais pas des hôpitaux, malgré une couverture très faible dans les zones moins riches.


Idéalement, la transition sera lente et contrôlée. En cas de diffusion trop rapide du virus, les ressources hospitalières chinoises risquent d’être dépassées. Une étude de l’université Fudan, à Shanghaï, avait prévu, en mai, qu’il risquait d’y avoir 1,6 million de morts en Chine en cas de réouverture soudaine du pays. « Ce sont des prédictions de statisticiens, pas d’experts en santé publique, tempère Jin Dongyan, professeur d’oncologie et de virologie à l’université de Hongkong. Si la Chine s’ouvre progressivement, qu’elle arrive à vacciner rapidement les personnes âgées, qu’ils s’approvisionnent en antiviraux, elle peut limiter l’impact. Le plus dur sera d’éduquer la population : la peur peut tuer plus que le virus. Récemment, un jeune s’est suicidé en arrivant en centre d’isolement en Chine. Ils ont beaucoup de choses à corriger après toute la propagande sur les dangers du virus », estime cet expert.

 

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