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Dans le Lot-et-Garonne, guerre de l’eau et lutte des classes

Dans ce département aux riches terres agricoles, un conflit sur l’eau s’est noué autour du lac de Caussade, construit illégalement par la chambre d’agriculture. Ses dirigeants perçoivent les écologistes comme des ennemis. Et ils nient très largement la réalité du dérèglement climatique.

 

Caroline Coq-Chodorge

18 mai 2023 à 13h37

 

Lot-et-Garonne.–Début mai, le soleil tape fort, bien au-delà des 25 °C, au-dessus du Lot-et-Garonne. Puis des orages éclatent ici et là, dans un air poisseux. Dans l’air flottent les gros pollens des peupliers et ceux, plus imperceptibles, des plus de 80 cultures qui poussent sur une terre exceptionnelle, nourrie par les crues des fleuves et des rivières, argileuse, qui retient l’eau si on la travaille correctement, sans trop lui demander ni la malmener.

 

Alors que la péninsule ibérique et la côte méditerranéenne se dessèchent à vue d’œil, ce grand Sud-Ouest sous l’influence de l’océan Atlantique reçoit, pour l’instant, toujours autant d’eau. Mais le dérèglement climatique a déjà modifié le rythme des pluies : irrégulières, elles manquent longtemps et peuvent s’abattre parfois violemment dans des orages localisés, qui stagnent et se déchaînent longuement, ravinant les terres à nu, trop sèches et trop drainées.

 

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Au cœur du Lot-et-Garonne, le confluent où le Lot se jette dans la Garonne. © Marion Parent / Mediapart

Les projections climatiques sont catastrophiques. « Dans le pire scénario – et je pense que c’est celui que nous devons retenir tant le dérèglement climatique s’accélère –, même dans le Sud-Ouest, les précipitations annuelles pourraient baisser de 5 à 10 %, explique l’hydrogéologue Alain Dupuy, conseiller scientifique de l’agence de l’eau Adour-Garonne. Elles devraient se concentrer sur les mois d’hiver. » Cette baisse, qui peut sembler minime, va s’ajouter à la hausse des températures, qui accroît l’évapotranspiration.

 

La baisse du débit des cours d’eau est déjà constatée. Une baisse qui pourrait atteindre de 20 à 40 %, voire 50 %. Les périodes d’étiage, lorsque le niveau de l’eau est au plus bas, seront plus sévères et plus longues. Les cours d’eau seront également moins soutenus, aux beaux jours, par le manteau neigeux sur les Pyrénées (pour la Garonne) et le Massif central (Lot), qui s’amenuise.

 

Ce printemps 2023 est pluvieux et chaud, les 48 cours d’eau des bassins versants du Lot et de la Garonne sont hauts. Mais les nappes phréatiques restaient, fin avril, à un niveau inférieur à la normale, selon le bilan au 4 mai de l’Observatoire de la situation hydrologique du département.

De l’eau, en Lot-et-Garonne, il y en a à gaver. Il n’y a pas de sujet, pas de problème à court, moyen ou long terme.

Serge Bousquet-Cassagne, président de la chambre d’agriculture

L’été 2022 a donné un avant-gout de l’avenir. Entre mars et octobre, les pluies ont manqué partout ( de − 30 à − 50 %). Et l’été a été écrasé de chaleur, avec des températures supérieures de + 2° à la normale. Dès juin, le thermomètre a frôlé 40°. En juillet et en août, deux vagues de canicule longues de quinze jours ont tout asséché. La moitié des cours d’eau étaient à sec ou ne s’écoulaient plus en surface.

 

Le Lot a été un peu préservé par ses très nombreux barrages, présents de sa source dans le Massif central à son embouchure, au cœur du département, où il se jette dans la Garonne. Celle-ci a le plus souffert : des lâchers d’eau exceptionnels, et dérogatoires, sur les barrages des Pyrénées l’ont tout juste maintenue au-dessus de son débit de crise, quand l’alimentation en eau potable et la survie des espèces sont menacées. La température de l’eau est montée à 28°. Seuls un manteau neigeux « exceptionnel » sur les Pyrénées et des pluies en montagne ont permis d’éviter des restrictions d’eau massives pour l’agriculture. Seulement, à un tel niveau de chaleur, l’irrigation n’a pas suffi à maintenir les rendements, jusqu’à − 30 % pour le maïs, céréale reine dans la vallée de la Garonne.

 

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Serge Bousquet-Cassagne, président de la chambre d'agriculture. © Marion Parent / Mediapart

Serge Bousquet-Cassagne, président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, n’a cependant aucune inquiétude pour l’avenir « de l’eau, [car] en Lot-et-Garonne, il y en a à gaver. Il n’y a pas de sujet, pas de problème à court, moyen ou long terme ». Est-il climatosceptique ? « Non , je suis climato-adaptable et adapté. Le changement climatique, il est là, surtout dans la tête des gens. Dans quelles proportions ? Je n’en sais foutre rien. Moi, je suis agriculteur, je représente les 5 000 agriculteurs du département. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment sont mes cultures à l’instant t. » Et à « cet instant t », tout va bien : « L’année 2023 s’annonce sous les meilleurs auspices. »

 

En Lot-et-Garonne, la guerre de l’eau a bel et bien commencé. Et c’est une lutte des classes : d’un côté, le monde agricole ; de l’autre, tous ceux qui ne le comprendraient pas, surtout les défenseurs de l’environnement, aux profils plus intellectuels ou urbains. Pour Serge Bousquet-Cassagne, ce sont « ces gens parisiens qui s’érigent en experts alors qu’ils n’y connaissent rien et viennent [leur] expliquer comment gérer l’eau ».

La question de l’accès à l’eau des agriculteurs est un sujet majeur, ancien. Les agriculteurs irriguent en pompant dans la Garonne, le Lot, leurs affluents, les nappes superficielles, dont le niveau est lié à celui des cours d’eau, et subissent régulièrement des restrictions. Sur les coteaux, 5 000 à 7 000 retenues d’eau ont été créées par les agriculteurs, mais aussi avec l’aide des pouvoirs publics, notamment du département.

 

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Vue sur les champs de la vallée du Lot et de la Garonne, près de la confluence. © Marion Parent / Mediapart

La création de nouvelles réserves d’eau est une promesse, de longue date, du syndicat La Coordination rurale, celui de Serge Bousquet-Cassagne, qui a remporté 60 % des voix des agriculteurs aux élections agricoles de 2019. Il explique : « Nous voulons que chaque agriculteur ait accès à l’eau. C’est déjà le cas, à 95 %. Des retenues d’eau, on n’en a plus guère besoin, sauf sporadiquement. » Par exemple dans la vallée du Tolzac, au-dessus de Villeneuve-sur-Lot.

 

Un lac illégal en voie de légalisation

Le fait d’armes de la chambre d’agriculture est la construction, durant l’hiver 2018-2019, en toute illégalité, d’un lac de retenue de 20 hectares et d’un million de mètres cubes, sur le Caussade, un ruisseau qui se jette dans le Tolzac.

L’histoire est rocambolesque. La construction a d’abord été autorisée en juin 2018 par la préfecture, malgré plusieurs avis défavorables, notamment celui de l’Agence française pour la biodiversité. En septembre, plusieurs associations environnementales, dont France Nature Environnement, ont porté devant la justice un recours en annulation de l’arrêté préfectoral. En octobre, l’arrêté a été suspendu après une intervention du ministère de l’écologie. Les agriculteurs ont décidé de passer en force.

 

« On a loué des machines. 300 agriculteurs bénévoles ont travaillé pendant deux mois », raconte Patrick Franken, vice-président de la chambre d’agriculture et président de l’Association syndicale autorisée (ASA) des 40 exploitants qui irrigue avec l’eau du lac (il dispose de retenues sur son exploitation et n'irrigue pas avec l'eau du lac) . « On a fait un bras d’honneur à tout le monde, assume Serge Bousquet-Cassagne. Sinon, même les petits-enfants des agriculteurs n’auraient jamais vu le lac, comme à Sivens, dans le Tarn, où un gosse est mort [Rémi Fraisse, militant écologiste, touché mortellement le 26 octobre 2014 par une grenade offensive lancée par les forces de l’ordre – ndlr] et où les agriculteurs, des éleveurs de vaches, crèvent la gueule ouverte. » « On est allés voir Didier Lallement, qui était préfet de région. Il nous a expliqué que notre projet était trop proche de Sivens, dans l’espace et dans le temps. Quand vous entendez ça… C’est un appel à la désobéissance », renchérit Patrick Franken.

 

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Le lac illégal de Caussade, début mai 2023. Au fond le ruisseau de Caussade, noyé par une digue de 100 mètres. © Marion Parent / Mediapart

Le Caussade a été barré par une digue de cent mètres de long et d’une dizaine de mètres de haut. Ce printemps 2023, le lac est rempli à 80 % environ. À l’été 2022, les agriculteurs ont tenu leur promesse et lâché assez d’eau pour soutenir l’étiage du Tolzac.

« On sait que les grandes retenues assèchent le bas de la vallée », met cependant en garde l’hydrogéologue Alain Dupuy. Pour lui, ce lac a été construit « sur un modèle des années 1960. Aujourd’hui, on ne coupe plus ainsi un cours d’eau. La retenue est plutôt construite à côté, et se remplit quand le cours d’eau est en crue ».

Difficile d’imaginer que le lac de Caussade puisse être un jour comblé. Autour du lac, la nature reprend peu à peu ses droits. Une experte vient d’être nommée par l’État pour évaluer la qualité technique de l’ouvrage.

Les agriculteurs n’envisagent que l’eau qui tombe sur leurs terres. C’est pour cette raison qu’ils créent des retenues. Nous, on pense que l’eau doit rester dans le sol, qu’elle y est ainsi le plus préservée et le plus fraîche.

Pierre Salane, écologiste et président de Sepanlog

En parallèle, les actions en justice se poursuivent : les associations environnementales attaquent aujourd’hui l’État pour demander réparation. Parmi elles, il y a la Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature en Lot-et-Garonne (Sepanlog), qui gère l’étang de la Mazière, une réserve naturelle de 102 hectares soustraite à l’agriculture dans la vallée de la Garonne. 40 % de la réserve, ce sont des champs cultivés par les agriculteurs, et les relations sont exécrables : « On a théoriquement la gestion de ces terres, mais en réalité ils les cultivent et y utilisent des pesticides… », soupire le président de l’association, Pierre Salane. Sur la réserve serpente le ruisseau de la Mazière, mais il est coupé net en aval, et un agriculteur l’a fait requalifier en fossé et l’a comblé. « Les cours d’eau, comme les haies, sont des obstacles au travail mécanisé des agriculteurs », constate l’écologiste.

 

Cet ancien enseignant et élu Europe Écologie-Les Verts (EELV) fustige la vision de l’eau des agriculteurs : « Ils n’envisagent que l’eau qui tombe sur leurs terres, naturellement ou par l’irrigation. C’est pour cette raison qu’ils créent des retenues. Nous, on pense que l’eau doit rester dans le sol, qu’elle y est ainsi le plus préservée et le plus fraîche. C’est pour cela qu’il faut préserver les zones humides et les haies, qui retiennent l’eau. Plus la circulation de l’eau est lente, plus elle reste dans le sol. »

 

L’étang de la Mazière est l’une des dernières zones humides du Lot-et-Garonne, un îlot de biodiversité au milieu de la vallée de la Garonne où s’étendent les champs de céréales sur des kilomètres à la ronde. Y poussent des nénuphars, des roseaux, des iris sauvages. Y passent, nichent, nidifient des dizaines d’espèces d’oiseaux : hérons, cygnes sauvages, aigrettes, cormorans, martins-pêcheurs. Y vivent des tortues, des loutres et des castors.

 

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La réserve naturelle de l’étang de la Mazière, près de Tonneins, est une des dernières zones humides du Lot-et-Garonne. © Marion Parent / Mediapart

Dans la vaste vallée de la Garonne, les céréales dominent. Une grande partie de l’année, les terres sont à nu, érodées par les pluies. « Elles perdent peu à peu leur humus », la couche du sol entretenue par la décomposition naturelle des végétaux, « qui enrichit la terre et retient l’eau », regrette Pierre Salane. Les écologistes voudraient « interdire l’irrigation des terres qui contiennent moins de 1 % d’humus : trop pauvres, elles ne retiennent plus l’eau. Mais les agriculteurs se moquent que leurs terres s’appauvrissent, ils compensent avec des engrais chimiques ». Pierre Salane le reconnaît cependant : « Ils ont un métier difficile, il y a chez eux beaucoup de suicides. Ils pensent qu’ils ne peuvent s’en sortir qu’avec la mécanisation, les engrais et les pesticides. »

 

Agroécologie contre productivisme

« Ces gens veulent retourner en arrière, aux zones humides », tacle le vice-président de la chambre d’agriculture, Patrick Franken. Avec ses deux frères, il possède une grande exploitation de 900 hectares – la moyenne est de 50 hectares dans le département – sur laquelle poussent cette année des pruniers, du blé, du soja, du maïs, dont une partie en bio. Il assume avoir détruit des haies, utiliser des pesticides et des engrais « à l’efficacité redoutable » qui permettent de produire « six à huit tonnes de blé par hectare, au lieu de deux en bio » : « Je peux comparer, je fais les deux. » Cet agriculteur productiviste a un peu fait évoluer ses pratiques agricoles : « Pour préserver les sols, on ne laboure plus autant. Mais il faut utiliser du glyphosate pour les préparer au semis, sinon il faut cramer un tas d’essence pour désherber de manière mécanique. Et l’hiver on couvre les sols, par exemple avec des féveroles, que l’on laisse au sol comme matière organique. »

 

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Patrick Franken, vice-président de la chambre d'agriculture, au milieu de ses champs de blé. © Marion Parent / Mediapart

L’hydrogéologue Alain Dupuy confirme l’importance des « mesures d’agroécologie – les haies, la préservation des sols » : « Tout cela a un effet bénéfique pour la recharge des nappes. Cela fait plusieurs siècles qu’on draine les terres, cela a été ultra-efficace, mais c’est devenu trop efficace. Les sols doivent retrouver leur fonction de transfert : absorber puis laisser percoler l’eau vers les nappes. C’est le rôle des chambres d’agriculture de faire ce travail de pédagogie, mais toutes n’ont pas la même sensibilité au changement climatique, cela dépend des personnes. »

 

Menaces, intimidations, plaintes et condamnations

Serge Bousquet-Cassagne préfère, lui, taper sur les écologistes : « Vous incarnez la racine du mal dont souffrent les agriculteurs. Le mal-être agricole, c’est vous. La guerre de l’eau, c’est vous. Les règles abracadabrantesques, c’est vous », a-t-il écrit dans un communiqué à Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts, avant sa visite dans le département les 28 et 29 mars. Il l’a aussi mise en garde : « Si vous venez, cela va mal se passer. »

 

« On a été très choqués par les images du week-end précédent à Sainte-Soline, explique-t-il. Les black blocs, EELV, la Confédération paysanne ont foulé au pied les cultures de nos frères, saboté leurs conduites d’eau. Par solidarité avec les paysans des Deux-Sèvres, nous lui avons dit qu’elle était persona non grata. »

Deux jours durant, des groupes d’agriculteurs de la Coordination rurale ont traqué l’écologiste, qui est parvenue à leur échapper. Marine Tondelier a porté plainte pour « entrave à la liberté de circulation » et « menaces ».

 

Serge Bousquet-Cassagne rigole : « C’est une élue de la République, elle a le droit de se déplacer partout. Nous, on a le droit de manifester partout. On attend de voir, goulûment, ce que va faire le procureur de cette plainte. » Lequel a finalement ouvert une information judiciaire ce vendredi 12 mai. Une de plus.

La chambre d’agriculture est coutumière de ces actions d’intimidation. Le week-end des 28 et 29 mars, des agriculteurs ont aussi déversé du purin devant les mairies de Nérac et de Marmande, qui ont reçu Marine Tondelier. Les maires n’ont pas déposé plainte.

 

Serge Bousquet-Cassagne relativise : « On a dégradé beaucoup beaucoup beaucoup moins que la manif du 1er Mai, si l’on peut faire des comparatifs à la con. On ne met pas de cagoule, de casque sur la tête, on ne cherche pas à se cacher. Et en trente ans de manifestations, on a toujours ramené tous nos militants à la maison. »

S’il réfute toute appartenance politique, Serge Bousquet-Cassagne a fait une incursion ratée aux départementales de 2019. Il a été battu au premier tour avec son parti « Les 47 », au programme de droite libérale, aux accents poujadistes. Si son fils, Étienne Bousquet-Cassagne, a été un temps une figure du Rassemblement national (RN), le père s’en distingue nettement sur un point : « L’immigration fait partie de l’histoire de ce département, de son agriculture », rappelle-t-il. Une grande partie des Lot-et-Garonnais sont en effet issus des vagues d’immigration successives de travailleurs agricoles, depuis la Première Guerre mondiale : dans l’ordre, Italiens, Espagnols, Portugais, Polonais, Marocains, Algériens, Tunisiens, etc.

Pour la construction illégale du lac de Caussade, Serge Bousquet-Cassagne et Patrick Franken ont été condamnés, le 13 janvier dernier, en appel, à dix mois de prison avec sursis et à une peine de 7 000 euros d’amende. Un soulagement : en première instance, ils avaient écopé respectivement de neuf et huit mois de prison ferme. La chambre d’agriculture a quant à elle été condamnée à 40 000 euros d’amende.

 

Les autres syndicats agricoles, ultraminoritaires à la chambre d’agriculture, n’ont pas leur mot à dire. Claudine Facci, qui siège pour la FDSEA, dénonce « des méthodes grossières » : « Ils montent les gens les uns contre les autres. On est tous concernés par le sujet de l’eau, il faut se mettre autour de la table, expliquer aux écologistes nos difficultés. Ils doivent aussi nous laisser travailler. Nous aussi, on essaie d’avancer. »

L’agricultrice ne nie pas le dérèglement climatique à l’œuvre sous ses yeux. Elle est d’origine espagnole, une partie de sa famille cultive en Andalousie, où « ils n’ont pas vu la pluie depuis 100 jours, ils ne savent pas s’ils pourront sauver leurs oliviers. Ils sont si désespérés qu’ils font des processions religieuses ».

 

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L'agriculturice Claudine Facci, dans ses champs de fraises cultivées hors sol. © Marion Parent / Mediapart

Elle a quatre enfants, tous « écolos » assure-t-elle, et qui pourraient, elle l’espère, reprendre son exploitation et celle de son mari, en tout une centaine d’hectares, dont une grande majorité en location. Elle explique avoir fait évoluer ses pratiques. Par exemple en cultivant la fraise hors sol, dans un terreau venu des Landes toutes proches, arrosé par un goutte-à-goutte précis, sous des serres qui conservent l’humidité, dont le plastique est recyclé. Cette méthode de culture plus protégée, et moins consommatrice en eau, assure-t-elle, lui permet de limiter à presque rien les intrants chimiques. Ses fraises – gariguettes, ciflorettes – sont incroyables. « Mais la plupart des gens, ici, ne peuvent pas se les payer, regrette-t-elle. Ils achètent des fraises espagnoles. »

Il faut le reconnaître : les écologistes, la gauche se moquent comme d’une guigne de cette catégorie de la population. Ils voudraient remplacer les paysans par des néoruraux.

L’agriculteur Emmanuel Aze, porte-parole de la Confédération paysanne

La Confédération paysanne, syndicat agricole minoritaire dans le département, défend des pratiques agricoles plus respectueuses des ressources en eau. « Plus vertueuses ? Je déteste ce mot », s’agace Emmanuel Aze, l’un de ses porte-parole. Car en bio, il ne cache pas que « la situation est catastrophique, les prix se cassent la gueule, parce qu’on a installé trop de monde et parce qu’on est concurrencés par une importation à bas coût d’Espagne, du Maroc. S’ajoute la paupérisation de la population, qui n’arrête pas de compresser son budget alimentair».

 

L’agriculture bio en grande difficulté

Lui a subi en prime des calamités agricoles successives : « Je cultivais beaucoup de fruits d’été, surtout des pêches et des nectarines. Mais à partir de 2012-2013, j’ai été frappé par les gelées printanières, l’arrivée de nouveaux insectes, et les attaques de palombes qui ne migrent plus et mangent les jeunes fruits. Les filets contre les insectes et les oiseaux sont des investissements trop couteux, tant notre rentabilité économique est faible. » Il fait aujourd’hui le pari de se tourner vers « des fruits dont personne ne veut : la goyave, l’asimine » : « Ces arbres fruitiers ont des racines qui plongent profondément. Ils ont besoin de peu d’eau, ont une floraison tardive et résistent aux insectes. Je compte vendre ces fruits aux riches, aux grands restaurants. C’est une forme d’humiliation... »

 

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Emmanuel Aze, de la Confédération paysanne, dans son champ de tomates. © Marion Parent / Mediapart

Il balaie le sujet du lac de Caussade. La Confédération paysanne n’était « pas contre, à la condition de certains aménagements. À titre personnel, [il n’est] pas scandalisé qu’ils aient refusé d’obéir aux injonctions de l’État. [Il a] même trouvé réjouissant cette mobilisation de 300 agriculteurs ».

 

Avec la Coordination rurale, il partage une même détestation de l’« agrobashing » ambiant : « On impute aux paysans la responsabilité de choix politiques collectifs : la baisse du prix de l’alimentation, la destruction du monde paysan. Les environnementalistes – je les distingue des écologistes – ne parviennent pas à penser la complexité derrière le sujet de l’eau, des méthodes agricoles, il y a mille sujets. Par exemple, si on sortait tout de suite des pesticides, il n’y aurait plus d’agriculture aux prix pratiqués aujourd’hui. Les pesticides sont des armes d’autodéfense économiques des agriculteurs. »

Il ne cache pas qu’il discute, avec intérêt, avec Serge Bousquet-Cassagne. Il voit dans ce syndicat agricole « un mouvement identitaire paysan, engagé dans une lutte existentielle. Il faut le reconnaître : les écologistes, la gauche se moquent comme d’une guigne de cette catégorie de la population. Ils voudraient remplacer les paysans par des néoruraux ».