JustPaste.it

L’énergie solaire, grande gagnante de la transition énergétique partout dans le monde...



L’énergie solaire, grande gagnante de la transition énergétique partout dans le monde... sauf en France

Par Luc Bronner

Enquête Avec ses coûts en chute libre, son installation facile et sa flexibilité, le solaire est le grand gagnant de la transition énergétique. Les records de puissance installée s’enchaînent en Chine, aux Etats-Unis, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Un peu partout, sauf en France…

Sur l’immense centrale solaire d’Al Dhafra, au sud d’Abou Dhabi, les ouvriers posent un panneau toutes les deux minutes en moyenne. Le site, dont le chantier a été lancé en 2020 par un consortium rassemblant le français EDF Renouvelables, le chinois Jinko Power et des opérateurs publics émiratis, est bientôt terminé. Avec quatre millions de panneaux solaires et une puissance installée de 2 gigawatts (GW), il figure parmi les plus massifs dans le monde. L’électricité qui y sera produite – l’équivalent de 160 000 foyers – est déjà achetée pour les trente prochaines années. 

Partout dans le monde, au milieu de zones désertiques comme sur les toits de particuliers, sur les parkings, au-dessus des entrepôts et des usines, sur des lacs, au bord des autoroutes, sur des terrains agricoles comme dans des forêts défrichées, des panneaux solaires sont désormais installés à un rythme inédit. Car le photovoltaïque connaît une accélération spectaculaire de sa diffusion. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le solaire devrait représenter 2 350 GW de puissance potentielle dans le monde d’ici à quatre ans, surpassant l’hydraulique en 2024, le gaz naturel en 2026 et le charbon en 2027 dans la production d’électricité.

En 2021, le Soleil – qui ne peut, par définition, produire qu’en plein jour – a représenté 1 000 térawattheures (TWh) d’électricité à l’échelle mondiale sur 27 000 TWh consommés (nucléaire, hydroélectrique, éolien, etc.). La progression, sur 2022, devrait dépasser les 25 % pour le solaire, aiguillonnée par la lutte contre le réchauffement climatique et la hausse des prix de l’énergie. Une tendance qui devrait s’accentuer encore par la suite. « Malgré les coûts d’investissement actuellement plus élevés en raison des prix des matières premières, le photovoltaïque à grande échelle est l’option la moins coûteuse pour la nouvelle production d’électricité dans une grande majorité de pays du monde », constate l’AIE dans son rapport annuel sur les énergies renouvelables. « Le coût du solaire a chuté, analyse Bruno Bensasson, PDG d’EDF Renouvelables. Ce qui paraissait être un produit cher, pour des pays riches, est devenu compétitif pour toutes les économies du monde. »

Accélération de la transition

La plupart des grands pays industrialisés ont battu leurs records en 2022 ou vont les battre en 2023. En nouvelles centrales installées. En énergie produite. En projets enregistrés pour les prochaines années. « La crise énergétique que nous vivons a permis d’accélérer une transition vers les renouvelables que nous avions du mal à faire au nom du seul climat », résume Richard Loyen, un des meilleurs connaisseurs français, président d’Enerplan, une association de professionnels du secteur.

 

A commencer par la Chine, où 87,4 GW de panneaux ont été installés en 2022, selon l’administration nationale de l’énergie, dépassant très nettement le précédent record qui datait de 2021 (54,9 GW). Le chiffre aurait pu être bien plus élevé si les difficultés d’approvisionnement n’avaient pas ralenti la production. Les industriels chinois tablent, pour 2023 et les sept années qui suivent, sur 95 à 120 GW installés annuellement sur le territoire. Les entreprises chinoises investissent également à l’étranger, comme le montre un accord avec l’Ouzbékistan, annoncé mi-février, pour le développement en quelques mois de 2 gigawatts de panneaux. Une progression qui ne corrige toutefois qu’à la marge l’impact de l’énergie carbonée (gaz et charbon) dans ce pays dont les besoins énergétiques sont colossaux.

La tendance est aussi spectaculaire aux Etats-Unis, en particulier dans des Etats comme la Californie ou le Texas. La loi sur l’inflation (Inflation Reduction Act, IRA), défendue par le président Joe Biden pour accélérer la transition énergétique et favoriser la réindustrialisation du pays, va encore accentuer l’effort. Pour 2023, l’Agence américaine d’information sur l’énergie fait état de projets représentant 29 GW, un quasi-triplement par rapport à 2020. Une étude de l’université de Princeton évoque une croissance continue jusqu’à atteindre 75 et 105 GW de panneaux installés en 2026 et 2027 grâce aux financements de la loi IRA. Avec des milliers d’emplois à la clé.

Lobby nucléaire

Idem au Brésil et en Inde. Mais aussi à l’échelle de l’Europe (41 GW supplémentaires installés). L’Allemagne (+ 7,9 GW), l’Espagne (+ 7,5), la Pologne (+ 4,9) et les Pays-Bas (+ 4) ont connu des progressions particulièrement élevées. Dans ce dernier pays, le solaire a représenté 14 % de la consommation électrique sur l’année, un record en Europe, alors même que les conditions d’ensoleillement sont moins favorables que dans les pays du Sud. « Les Pays-Bas ont montré comment des politiques simples et efficaces peuvent favoriser la croissance du solaire », analyse le cercle de réflexion Ember Climate, en relevant le développement des installations sur les toits.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Du Rajasthan au Kerala, l’Inde se rêve en puissance solaire

La France apparaît à contre-courant. En 2022, 2,6 GW de panneaux solaires ont été installés, un chiffre inférieur à celui de 2021 (2,8 GW). « Dans le contexte inflationniste, où beaucoup de projets semblaient être bloqués, c’est finalement plutôt une bonne année, même si cela n’est pas complètement satisfaisant », tente de relativiser l’entourage de la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Le retard français s’explique par plusieurs raisons. D’abord, par la place du nucléaire, une énergie décarbonée qui a donné des arguments aux énergéticiens pour ne pas avancer aussi rapidement qu’ailleurs. Ensuite, parce que la France a connu des mésaventures, dans les années 2000, avec le développement, subventionné, des panneaux photovoltaïques pour un coût considérable. Cela avait douché le ministère des finances et donné des arguments supplémentaires au lobby nucléaire pour ne pas faire du solaire un axe prioritaire. Conséquence : les panneaux ont certes produit 4,2 % de la consommation électrique nationale en 2022, soit 4 TWh de plus qu’en 2021. Mais, dans le même temps, pour faire face au trou d’air du nucléaire, la production de gaz a augmenté de 11 TWh, et les importations de 30 TWh, selon RTE, le gestionnaire des lignes haute tension en France.

La loi d’accélération sur les énergies renouvelables, adoptée en janvier, marque une étape importante mais insuffisante, selon les acteurs de la filière. Pour respecter les engagements de la France, il faudrait parvenir à installer 4,4 GW de solaire en 2023. « Pour tenir le rythme de la PPE [programmation pluriannuelle de l’énergie] et ceux donnés par le président de la République dans son discours de Belfort sur l’énergie [en février 2022], il faut ensuite viser plus de 3 GW par an d’ici à 2028, c’est un défi mais on peut y arriver », plaide l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher. Selon RTE, 16 GW de projets solaires étaient en attente de développement, début 2023, un chiffre jamais atteint. Conséquence : dans ses prévisions, RTE va étudier un scénario dans lequel la croissance du solaire dépasserait même 7 GW par an. De son côté, le gouvernement entend favoriser l’autoconsommation par des particuliers ou des PME comme l’ont fait massivement les Espagnols. « Plutôt que d’avoir un bouclier tarifaire, face à la crise de l’énergie, ils ont développé l’autoconsommation avec du solaire sur les toits des particuliers », souligne ainsi Richard Loyen.

Marche haute

L’autre enjeu est celui de la fabrication des panneaux. Comme le solaire est en passe de devenir une énergie stratégique, la capacité à produire ses composants est désormais une question de souveraineté. Or, selon l’Agence internationale de l’énergie, plus de 80 % des différents composants arrivent de Chine, qu’il s’agisse du silicium, des cellules, des modules, etc. « La Chine a joué un rôle déterminant dans la réduction mondiale des coûts du photovoltaïque, ce qui a été bénéfique pour la transition énergétique. Mais, dans le même temps, le niveau de concentration géographique des chaînes d’approvisionnement mondiales est un défi pour les gouvernements », prévient l’AIE. La bataille est mondiale. Joe Biden, avec l’IRA, cherche à attirer les investisseurs et à relocaliser une partie de la production industrielle. L’Inde affiche l’ambition de construire des usines géantes. En Europe, la Commission européenne a lancé une alliance de l’industrie solaire pour accroître la production de panneaux de 4 à 30 GW d’ici à 2025.

Le Monde Guides d’achat
Gourdes réutilisables
Les meilleures gourdes pour remplacer les bouteilles jetables
Lire

La marche à franchir pour le continent européen est particulièrement haute. Un des principaux industriels chinois, Longi Green Energy Technology, a ainsi annoncé, début février, qu’il envisageait un investissement de 6,7 milliards de dollars pour doubler ses capacités de fabrication. Dans des délais extrêmement courts, la nouvelle usine pourrait produire 50 GW de cellules solaires supplémentaires par an. En comparaison, les Européens se sont félicités de l’annonce par Enel, l’énergéticien italien, en pointe sur le sujet des renouvelables, d’un investissement de 600 millions d’euros pour multiplier par quinze la production d’une usine en Sicile. Celle-ci deviendrait, en 2025, la plus importante sur le sol européen avec… 3 GW attendus.

L’enjeu du raccordement

EDF Renouvelables, qui détient dans son portefeuille Photowatt, une entreprise pionnière dans la production des panneaux, cherche à la céder. La société perd 30 millions d’euros par an, avait indiqué Bruno Bensasson, le PDG d’EDF Renouvelables, lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique de la France. Des projets sont en cours de développement, comme celui porté par Carbon, une entreprise qui a annoncé le 3 mars vouloir implanter une usine de plusieurs gigawatts de cellules et de modules d’ici à 2025 sur le site industriel de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône). « Les Allemands, les Chinois aujourd’hui ont ouvert le bal. On part de loin sur le plan industriel. Mais le solaire est en plein boom dans le monde et on souhaite se positionner sur le marché international », explique Pierre-Emmanuel Martin, un des fondateurs de l’entreprise.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Fos-sur-Mer, laboratoire géant des mutations de la civilisation carbonée

L’enjeu dépasse largement la crise énergétique et les conséquences de la guerre en Ukraine. Toutes les projections font état d’une hausse massive de la consommation d’électricité dans le monde en raison du développement des véhicules à batteries et de la décarbonation progressive de l’industrie. « Le mouvement en cours pourrait accroître la demande plus rapidement cette décennie que ce qui avait été envisagé par la plupart des experts », souligne le cercle de réflexion Ember dans son dernier bilan. L’essentiel de cette hausse devrait être absorbé par les énergies renouvelables, en particulier le solaire, plus simple à installer.

A condition de réussir à raccorder les millions de nouveaux panneaux aux réseaux de transport électrique. Bill Gates, dont le premier job étudiant fut de coder pour un de ces réseaux aux Etats-Unis, en fait un enjeu essentiel pour la transition énergétique. « A l’heure actuelle, plus de 1 000 GW de projets potentiels d’énergie propre sont en attente d’approbation, et la principale raison du goulet d’étranglement est le manque de réseaux de transmission », alertait-il fin janvier dans son bloc-notes public.

Luc Bronner

 

 

https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/03/12/transition-ecologique-le-grand-jour-de-l-energie-solaire-arrive_6165185_3234.html