JustPaste.it

L’univers sexiste, homophobe et autoritaire de Stanislas, le
« meilleur » lycée de France

De nombreux témoignages et des documents obtenus par Mediapart montrent ce qui est proposé par ce prestigieux établissement catholique. Une quinzaine d'anciens élèves racontent les « humiliations » et les

« souffrances » vécues.

David Perrotin et Lorraine Poupon 28 juin 2022 à 13h56

« Français sans peur, chrétien sans reproche. » Telle est la devise de Stanislas, l’un des établissements les plus prestigieux de France. De l’école primaire aux classes préparatoires, en passant par le collège et le lycée, cette institution catholique fondée en 1804 n’a qu’un but : former l’élite française pour « réussir et servir ».

La liste des anciens élèves illustre autant l’excellence de l’institution que la diversité des parcours. Charles de Gaulle, Jacques Lacan, Philippe Tesson, Jean-Michel Blanquer, Christian Dior, Martin Bouygues, Carlos Ghosn ou François- Henri Pinault... sont tous issus de l’établissement privé sous contrat situé dans le VIe arrondissement de Paris et encore présenté en 2022 comme « le meilleur lycée de France » par Le Figaro.

Pendant leur scolarité, la devise de l’établissement est martelée dans la tête de chaque élève. En 1872, l’abbé de

Lagarde, alors directeur, voulait « rappeler les idées traditionnelles qui sont pour ainsi dire l’âme de Stanislas ». « Nous devons préparer les jeunes gens à une véritable croisade, pour sauvegarder la religion, défendre la vérité, maintenir les principes fondamentaux de la morale et de la société, et rétablir dans son intégrité l’honneur français », plaidait-il aussi. Plus d’un siècle plus tard, si ce discours est plus timide, les motivations restent inchangées.
Au moment où le gouvernement, l’extrême droite et de nombreux médias ont les yeux rivés sur l’école publique qui serait victime d’une
« épidémie de tenue islamique » ou sur les écoles privées musulmanes qui seraient l’illustration d’un séparatisme rampant, certains établissements privés catholiques échappent à toute indignation.
Pourtant, une quinzaine d’anciens élèves du lycée Stanislas racontent à Mediapart
« le danger » que représenterait l’éducation proposée au sein de l’établissement. Les valeurs « réactionnaires » et « autoritaires » inculquées, pas seulement lors de séances de catéchisme (hors temps scolaire), mais à tous les élèves, partout et tout le temps au sein de l’établissement. De nombreux documents que Mediapart s’est procurés montrent aussi ce qui est transmis par la direction et une partie du corps enseignant : une vision sexiste (récemment documentée par L’Express) et homophobe de la société où Stanislas serait à l’image de l’Église, une citadelle chrétienne assiégée dont il faut défendre les valeurs les plus archaïques.

L’apologie de la non-mixité

Pour les familles de collégiens, intégrer les rangs de
« Stan », c’est tout de suite faire face à un premier choix

loin d’être anodin. Faut-il placer son enfant dans une classe où garçons et filles sont séparés ou préférer le cursus
mixte ? L’absence de mixité est en tout cas la règle : par niveau, comptez cinq classes de garçons, trois de filles et seulement deux classes mixtes. Elles sont même préférables, si l’on en croit le site internet de l’école.
« Notre expérience et notre conviction s’appuient sur le constat du décalage de maturité entre les garçons et les filles à l’aube de l'adolescence », justifie l’établissement qui souhaite qu’aucun élève ne puisse « être gêné ou se sentir jugé par le regard des élèves de l’autre sexe ». Des générations passent ainsi leur collège isolées du sexe opposé.

« Si tu es une fille, veille sur ce point où tu sais le garçon fragile. Ne fais rien pour l’exciter. Ne l’allume pas. Protège- le contre lui-même. » Extrait d’un livret remis à des élèves de seconde

Et pour cause, dans le mode de pensée de Stan, la seule présence d'une fille est facteur de déconcentration. Cédric*, élève à Stanislas de 2009 à 2015, se souvient qu’en classe de garçons, « il y a l’idée que les filles c’est le mal, la tentation, le serpent. Nous les mecs, il ne faut pas qu’on se laisse tenter par ça ». Dans un fascicule distribué aux élèves à leur entrée en seconde consulté par Mediapart, il est d’ailleurs écrit : « Si tu es une fille, veille sur ce point où tu sais le garçon fragile. Ne fais rien pour l’exciter. Ne l’allume pas. Protège-le contre lui-même. »

Solène*, élève jusqu’en 2013, raconte en avoir régulièrement fait les frais. « On me disait qu’avec mes cheveux longs et blonds, je me pavanais, je faisais l’aguicheuse. On m’a fait beaucoup de remarques, explique- t-elle. On nous fait ressentir que la volonté d’être en classe

mixte, c’est un peu pour draguer les garçons. » Dès la cinquième, Marie a eu le même problème : « J’ai vécu une forme d’hypersexualisation et du harcèlement sexuel. J’avais été convoquée par une préfète [l’équivalent d’une CPE – ndlr] qui me disait qu’il fallait que j’arrête d’allumer tous les garçons », témoigne l’ancienne élève.

Extrait du règlement intérieur de Stanislas. © DR

Alors, pour ne pas les tenter, c’est aux filles de se couvrir. En des termes opaques, le règlement leur demande de
« porter des tenues qui suscitent le respect et manifestent la dignité de leur féminité ». S’ensuit une description précise sur la longueur acceptable des manches (« les épaules sont

toujours couvertes »), les matières rédhibitoires (les hauts à grosses mailles) ou des règles à la limite de l’absurde (« les hauts doivent tomber sur le bas des hanches et ne pas s’arrêter à la ceinture du pantalon »). À titre de comparaison, les injonctions vestimentaires pour les garçons ne prennent que deux courts paragraphes quand ceux des filles s’étalent sur six.

Une inégalité filles-garçons structurelle

Tout se ferait donc en fonction des garçons et pour les garçons. « J’avais questionné un surveillant une fois sur tous les interdits pour les filles et il m’avait répondu que nous étions seulement “tolérées” dans l’établissement », témoigne Amélie*, élève de 2016 à 2018. Si les classes de filles sont minoritaires, les places qui leur sont réservées à l’internat le sont aussi. Jusqu’en 2018, elles n’y avaient pas accès. Il existe désormais 83 chambres pour elles contre 466 attribuées aux garçons.

La jeune femme se souvient d’ailleurs d’une distinction jusque dans les activités extrascolaires. Au championnat de foot annuel, il n’y a par exemple que les garçons qui jouent. « Un préfet expliquait que les filles ne pouvaient biologiquement pas gagner contre les garçons, qu’il y avait une infériorité naturelle », rapporte Pauline*, lycéenne à Stanislas jusqu’en 2021.

L'école Stanislas. © Vidéo de présentation du collège

En dehors de l’établissement, pas de répit non plus lors des voyages scolaires ou des retraites spirituelles. Des olympiades de sport sont organisées pour les garçons quand les filles ont le droit à des concours de cuisine ou des ateliers yoga. « Les voyages scolaires sont aussi non mixtes, précise Yann*, élève jusque l’an dernier. Je me souviens d’un en particulier qui avait pour thème “devenir homme” et où l’on avait reçu un fascicule avec une vision totalement masculiniste des choses. »

Livret distribué aux élèves de seconde. © Stanislas.

Dans ce texte consulté par Mediapart, on peut y lire que la force est la qualité réservée aux garçons qui éprouvent
« spontanément l’envie de frapper ». La preuve : « Les petites filles n’inventent pas des jeux où beaucoup de gens meurent [...] le rugby n’est pas un jeu d’invention féminine, pas plus que la boxe. » « Tout homme veut avoir le rôle du héros. Ce ne sont pas les femmes qui ont fait de Braveheart un des plus grands films à succès de cette décennie », est-il aussi précisé entre autres considérations sexistes. Une prière vient conclure le tout : « Mon Dieu, faites que nos sœurs les jeunes filles soient harmonieuses de corps, souriantes et habillées avec goût. Faites qu’elles soient saines et d’âme transparente. »

Des élèves contrôlés à l’intérieur et à l’extérieur

L’exigence de « Stan », quel que soit le lieu, est placardée et chaque élève doit porter ces valeurs en dehors du temps scolaire. Dans le règlement, il est ainsi affirmé que « les élèves représentent toujours Stanislas ». Dans un éditorial publié en 2013 dans le journal de l’école, L’Écho de Stan, le directeur de l’époque, Daniel Chapellier, s’interrogeait :

« Faut-il dire et redire qu’il n’y a pas de règles de vie différentes en temps scolaire ou en temps de vacances ? »

Extrait du livret distribué aux élèves de seconde. © Stanislas

Ces valeurs ne sont pas des vœux pieux. Pour s’assurer que les élèves ne sortent pas des clous, des rondes de surveillants ou de l’administration sont même organisées dans le quartier autour du lycée. En ligne de mire : un simple déjeuner à l’extérieur, une pause cigarette ou tout rapprochement entre garçons et filles. Le règlement intérieur « exclut tout comportement de “petit couple” entre élèves ». Pour celles et ceux pris sur le fait, c’est convocation et sanction assurées. « Deux fois par an, les préfets se baladent dans le quartier et entrent dans les restaurants comme les pizzerias, Burger King et s’ils voient

des étudiants de Stan, ils les collent avec avertissement », confirme Amélie.

« Avec cette éducation reçue à Stanislas, les garçons sont modelés sur mesure pour la culture du viol. On en fait des prédateurs en puissance. » Un ancien élève de Stanislas.

Les occasions de fauter sont nombreuses tant la vision de la société défendue par Stanislas est archaïque. Au-delà des relations de couples entre élèves, ce sont tous les rapports filles-garçons, y compris amicaux, qui sont regardés d’un mauvais œil. « En 6e, quand je suis arrivé, je parlais avec des amies filles. Daniel Chapellier [l'ancien directeur –ndlr] était venu nous séparer physiquement en me disant “toi va jouer avec tes amis garçons” », se remémore Julien*. La même situation se serait présentée en 2021 avec le nouveau directeur, Frédéric Gautier. « J’avais un ami et une amie qui se tenaient par le coude, Gautier est venu les engueuler pour leur dire de cesser cette attitude. Aucun contact physique ne doit avoir lieu, tout est sexualisé. On ne peut pas être amis », dénonce Yann.

Cette idée est martelée jusque dans des livrets remis aux élèves de seconde. L’un d’entre eux, consulté par Mediapart, cite l’abbé Grosjean qui explique combien il est important d’éviter les couples lors de l'adolescence et de respecter la règle du « no flirt ». « Mes amis, je compte sur vous pour rendre à nouveau la chasteté tendance », conclut-il.

Extrait du livret distribué aux élèves de seconde. © Stanislas

À Stanislas, si les filles sont vues comme des tentatrices, c’est aussi que l’esprit des garçons peut être facilement perverti. Ces derniers, coupés de la présence féminine, pourraient ainsi, d’après le même manuel, développer « les vertus associées à la virilité [...] pour acquérir la force dont bénéficiera ta femme ». Comme dans un combat, la femme est « une belle à sauver ». Pour elle, l’homme pourrait

« monter à l’assaut d’un château, tuer le géant, sauter des remparts. Ou tout simplement marquer un but ».
Cette représentation est très largement inspirée des idées de l’abbé Philippe de Maistre, aumônier général de Stanislas de 2013 à 2018 mais aussi intervenant dans des stages de virilité et dans la communauté Courage, l'association catholique épinglée pour ces thérapies de conversion, supposées « guérir » de l’homosexualité et désormais interdites par la loi.

Dans une de ses interventions filmées, il regrette par exemple le fait que « notre société est entièrement féminisée ». « On nous complexe dans notre force, dans notre virilité et on dit que la femme est l'avenir de l'homme. C’est le plus grand mensonge du XXe siècle », ajoute-t-il. Sa bataille principale ? Les « petits couples » qui ne serviraient qu’à « castrer » les garçons. « On a des garçons qui vont faire des courses avec leurs copines. Ils sont les copines de leur copine », dénonce-t-il aussi en citant parfois la prose d’Éric Zemmour.

« Avec cette éducation reçue à Stanislas, les garçons sont modelés sur mesure pour la culture du viol. On en fait des prédateurs en puissance », déplore Sammy*.

Opposés au port du préservatif et à la contraception

Les relations de couples ont beau être prohibées, les élèves sont très tôt mis en garde sur ce qui relève de l’interdit d’après la morale de l’établissement. Concernant la contraception, le travail est mené par Inès de Franclieu, chargée de la vie « affective, relationnelle et sexuelle » depuis une dizaine d'années. Selon plusieurs témoignages,

l'enseignante n'aborde jamais la contraception et demande aussi aux filles de ne pas « provoquer les garçons » par leur tenue.

« Je ne suis pas là pour faire de la promotion et de la prévention sanitaire mais de la prévention des

cœurs. »

Inès de Franclieu, chargée de la vie affective et sexuelle à Stanislas.

Dans son livre (promu par l’école) Dis, en vrai, c’est quoi l’amour ?, Inès de Franclieu affirme qu'il n’est pas
« nécessaire de mettre un préservatif ». Aux filles, elle demande aussi : « Fais donc en sorte de ne pas provoquer le regard du garçon. La façon dont tu t'habilles aidera ou non le garçon à maîtriser son regard, et donc aussi ses gestes. »

Extrait du livre d'Inès de Franclieu. © Mediapart
Évidemment, aucune distribution de préservatifs n’a lieu à Stanislas et des élèves disent être « totalement démunis » face aux questions qu'ils peuvent avoir sur les MST ou sur d'éventuelles grossesses non désirées.

Auprès de Mediapart, Inès de Franclieu dément avoir évoqué le port du préservatif en classe mais assume tous ses autres propos. « La contraception est toujours vue en SVT, donc je n'en parle pas. Je n’aborde pas non plus les MST car elles arrivent parce qu’en général il y a eu différents partenaires et je n'aborde jamais la question du préservatif car ils savent tous son existence », justifie-t-
elle.
Et sur l'homosexualité ?
« On en entend tellement parler que je n’ai pas besoin de le faire. Si j’ai une question dessus, je précise que cela ne donne pas la vie et moi je reste sur les relations qui donnent la vie », insiste l'intervenante. « On est dans un établissement catholique. Personne n’est obligé d’inscrire son enfant à Stanislas. » Tout établissement privé sous contrat jouit d'une large autonomie de fonctionnement et peut prendre des initiatives pour développer son propre projet éducatif en lien avec la tradition catholique, grâce à la loi Debré de 1959. C'est le
« caractère propre ». Mais cet enseignement est soumis au contrôle de l'état chargé de veiller à ce que les programmes obligatoires, comme l'éducation à la sexualité, respectent les règles et les programmes de l'enseignement public. Et d'après les étudiants interrogés, ces cours de vie affective et sexuelle faisaient partie du programme obligatoire.
Les aumôniers de l’établissement complètent évidemment ces recommandations. Amélie se souvient d’un prêtre lui aussi opposé à la contraception :
« Il disait que des relations sexuelles mariées devant Dieu, évidemment non protégées, en dehors de la période féconde de la femme, c’était péché. Un vrai discours intégriste, juge-t-elle. Il avait également dit que le préservatif ne protégeait pas du sida. »
Contactée par Mediapart, Thérèse Hargot, chargée de la vie affective sexuelle entre 2013 et 2017 affirme, elle, avoir eu

un discours bien moins réactionnaire. Si elle a entretenu une certaine proximité avec La Manif pour tous ou les milieux conservateurs et qu’elle dénonce elle aussi la contraception ou « l’apologie du préservatif », elle affirme aujourd’hui « regretter certains choix » et prétend avoir pris ses distances avec Stanislas.

« Justement, Isabelle de Franclieu m’a dénoncée à l’administration lorsqu’elle a su que je conseillais aux élèves de porter un préservatif en cas de relation non exclusive avec son ou sa partenaire », explique-t-elle. « Je ne m'en souviens pas, rétorque Inès de Franclieu. Peut-être qu’en effet, je ne comprenais pas pourquoi elle parlait du préservatif alors qu'elle disait aux jeunes de ne pas avoir de sexualité à cet âge. »
« La goutte d’eau »
, selon Thérèse Hargot, aurait eu lieu après un stage d’éducation affective avec ses élèves. « Une préfète m’avait reproché d’avoir choisi, comme encadrante, une jeune étudiante enceinte hors mariage. Elle était
outrée »
, révèle la sexologue qui dit avoir décidé de quitter l’établissement après « ces prises de position
idéologiques »
. « Là ou j’ai des torts et une responsabilité, c’est qu’à l’époque, je ne me suis pas assez exprimée, concède Thérèse Hargot. Les élèves me disaient qu’il y avait des discours homophobes, qu’ils ne pouvaient être en couple, qu’ils ne devaient pas prendre la pilule, etc. J’en parlais avec eux avec un discours complet et nuancé mais c’est au bout de quatre ans que je me suis dit que je n’avais pas ma place là-bas car on ne pouvait rien changer », explique la sexologue.

L’avortement assimilé à un meurtre

Agrandir l’image
Extrait du livret distribué aux élèves de seconde. © Stanislas

L’avortement, lui, est totalement diabolisé. Dans le livret de confession remis aux lycéen·nes, on découvre qu’il est assimilé à un crime et donc à un péché. « Tu ne commettras pas de meurtre (meurtre, tentative de suicide, euthanasie... avortements, stérilisations... », est-il précisé aux élèves. Plusieurs fois par an, des intervenants extérieurs viennent d’ailleurs faire des présentations obligatoires devant une promotion entière. Parmi eux, on trouve des représentants de la fondation Jérôme Lejeune ou le fondateur du collectif anti-avortement Les Survivants qui venait répéter l’idéologie extrémiste affichée sur son site internet. Où l'on pouvait par exemple lire l’intox selon laquelle « le corps de la femme est fait de telle sorte qu’il y a un phénomène naturel bloquant la fécondation lors du viol ».

Les élèves sont aussi incité·es à participer à la Marche pour la vie, une manifestation récurrente pour protester contre l’avortement et des tracts sont même distribués. Dans les salles de classe, Julien* dit même avoir vu « un élève coller des affiches ». « Lorsqu’on a voulu les retirer, une préfète nous avait dit de les laisser », déclare-t-il.

D’après plusieurs témoignages, Isabelle T., professeur de français au sein de l’établissement, s’est même « vantée en cours de travailler bénévolement pour une association et de dissuader des femmes souhaitant avorter, de le faire ».

« Vous êtes en train de juger ce que je dis ? J’ai ma liberté de penser et d’agir, je vous interdis de parler de moi ou d’écrire cela. » Isabelle T., professeure de français à Stanislas.

Jointe par Mediapart, Isabelle T. dément d’abord avoir tenu ces propos avant de finalement reconnaître avoir abordé le sujet et travailler bénévolement pour l’association Mère de miséricorde. « Ce n’était pas dans un cours de français, c’était une intervention extérieure à ce cours », nuance-t- elle sans vouloir répéter ses propos exacts. « C'est une association qui écoute les femmes qui sont plus ou moins obligées d’avorter. C’est une défense de la vie et on prie pour elle », ajoute-t-elle.

En réalité, Mère de miséricorde est bien une une association anti-IVG, déjà épinglée par la presse et qui dit proposer notamment via un numéro gratuit « un accompagnement des personnes qui se posent la question de l’avortement ». Est-ce le rôle d’une prof de français que d’aborder ces sujets en classe ? « Vous êtes en train de juger ce que je dis ? J’ai ma liberté de penser et d’agir, je vous interdis de parler de moi ou d’écrire cela », rétorque-t- elle avant de mettre fin à la conversation.

Extrait du livret distribué aux élèves de seconde. © Stanislas

Le cadre est par ailleurs si strict que l’administration a même son mot à dire sur la masturbation. Dans le même manuel remis aux garçons en seconde, tout un chapitre aborde le sujet et donne « des clés pour en sortir » aux élèves qu’ils soient croyants ou non. On y apprend que « la masturbation affaiblit la personnalité », qu’elle a pour conséquence la « difficulté plus tard à maîtriser l’éjaculation

lors d’un rapport sexuel » et qu’il vaut mieux « réserver son corps » à la femme qu’on « aimera totalement ».

Une homophobie omniprésente

Au sein de l’établissement, la vision homophobe véhiculée par la direction ou les autorités religieuses marque les esprits et en particulier ceux des élèves LGBT. Officiellement, l’idée est taboue et personne n’est ni censé l’être ni censé parler de ce sujet « contre-nature ».

« L'homosexualité est taboue mais l’homophobie est omniprésente. Les élèves se traitent en permanence de “sale pédé” et les gays sont sans cesse dénigrés », explique Cédric. « Il y a peut-être des élèves homosexuels, mais je ne leur souhaite pas de rester à Stan », confirme Sylvain. Celles et ceux qui sont restés justement disent avoir vécu
« un véritable calvaire ». « En arrivant à Stan, j’ai compris que mon homosexualité était péché, c’était une violence énorme et encore aujourd’hui c'est dur de se débarrasser de cette homophobie en moi », se souvient Mahaut. Cette jeune fille s'est battue pour défaire ce que l’éducation de l'établissement a fait. « Je me faisais une sorte de thérapie de conversion dans ma tête, en me disant que “Dieu m’aidera à ne pas être homosexuelle”. Et je ne l’ai pas sortie de nulle part cette idée, elle était présente dans l’école », raconte-t-elle.

« L’Église préfère la franchise, même si elle est douloureuse, en te proposant un autre chemin : celui

de la chasteté dans l’abstinence. »

Extrait des écrits de l'abbé cité par l'établissement.

« Pour moi, les insultes homophobes étaient comme une seconde peau », déplore Raphaël, un autre élève gay qui n’a jamais oublié le harcèlement « en cours, au sport ou au vestiaire » dont il a été victime. Il n’a pas non plus oublié cet épisode lorsqu’il était en première et que la direction a invité Philippe Arino, un proche de la Manif pour tous, catholique et homosexuel revendiqué. « Lorsqu’il nous a dit qu'il était homo et qu’il assumait, je l’ai pris comme une référence. J’ai commencé à noter frénétiquement tout ce qu’il disait car c’était la première fois que je voyais quelqu’un dire qu’il était comme moi », explique l’ancien élève qui ne pouvait alors assumer son homosexualité. Mais il a vite déchanté. « Sauf qu’il a poursuivi son discours en disant qu’il était homo, qu’il avait lu la Bible, et qu’il avait donc choisi l’abstinence », poursuit le jeune homme.

« Stan » promeut l’abstinence pour les gays

En effet, Philippe Arino intervient dans différentes écoles ou églises pour promouvoir l’abstinence pour les homosexuels et pour dire combien les gays « sont plus violents » que les hétéros. D’après lui, l’homosexualité s’explique même par
« le viol » ou « le fantasme du viol ». « Stan faisait en sorte que l’homosexualité soit réprimée, que ce soit quelque chose de honteux. J’étais persuadé d’être une erreur et c’est ce qui explique que j’ai pratiqué l’abstinence jusqu’à 23 ans », estime Raphaël qui dit avoir trouvé refuge dans le théâtre : « S’il n’y avait pas eu ça, j’aurais pu me faire du mal. »

Au-delà de ces intervenants tels que Philippe Arino, Stanislas s’appuie sur l’abbé Grosjean, une référence au sein du lycée et dont le livre Aimer en vérité est largement

cité dans les livrets remis à l'ensemble des étudiant·es. Voici ce qu’il écrit page 124 de son ouvrage : « L’altérité radicale homme/femme est seule capable de faire jaillir la vie. Voilà pourquoi l’Église pense que s’engager dans des relations de couple de même sexe , même sincèrement, ne sera jamais une voie à te proposer. L’Église préfère la franchise , même si elle est douloureuse, en te proposant un autre chemin : celui de la chasteté dans l’abstinence. »

Comme pour le sexisme, l’homophobie n’est pas le seul fait des autorités religieuses mais est partagée et alimentée par des membres du personnel, préfets en tête. Huit élèves se souviennent par exemple de la croisade menée par la direction à partir de 2017 contre le phénomène de mode des ourlets au bas des jeans des garçons. L’un des surveillants en a fait l’annonce juste avant un devoir sur table. « Il a lu un journal qui disait en quoi les ourlets étaient une mode gay et a précisé à tous que c’était la raison pour laquelle il ne souhaitait plus voir cela au sein de l’établissement, raconte Sylvain. Une guerre contre ce style vestimentaire a ensuite été menée avec pour seule motivation de ne surtout pas “ressembler à un jeune gay”. » Malgré les nombreux témoignages, Romain C., le préfet en question, nie toute motivation homophobe. « Les ourlets étaient interdits à Stan car il s'agissait d'une mode et tout ce qui est effet de mode est proscrit pour éviter toute discrimination », défend-il aujourd’hui.

Pourtant, selon des élèves, le combat se serait ensuite élargi pour prohiber tout vêtement floqué d’un élément aux couleurs arc-en-ciel. « Une fois, je portais une ceinture arc- en-ciel, et ce même préfet m’a sermonnée en me disant que je portais les couleurs d’une idéologie communautariste et contre nature », témoigne Pauline, ce que dément là encore Romain C. même chose pour Marie, qui en seconde en

2019, dit avoir été contrainte de retirer un sweat multicolore.

« J’ai dû mettre un polo Stan à la place car ils considéraient que mon haut reflétait des idées politiques contraires aux valeurs de Stan », explique-t-elle.
L’homophobie serait telle que, selon plusieurs élèves, l’un des préfets a même très sérieusement expliqué qu’il
« ne fallait pas rentrer les mains dans les poches en laissant sortir le pouce car cela ferait référence à une manière pour les gays de se reconnaître ». D'après plusieurs élèves, même l'institution parisienne Sciences Po serait dénigrée par certains préfets car « à l’image de son ancien

directeur », elle serait déviante et ferait la promotion des théories LGBT.

Promotion des thérapies de conversion au sein de l’école

Plus grave encore est la présence au sein même de l’école de membres de l’Église faisant la promotion des « thérapie de conversion ». Yann, par exemple, se souvient avoir été « choqué » de découvrir en 2018, lors du festival annuel du lycée, « un stand et une banderole proposant de guérir de l’homosexualité ». Le directeur du lycée Frédéric Gautier avait en effet invité au sein de l’école l'abbé Louis-Marie Guitton, aumônier national de l'apostolat conservateur Courage.

L’atelier qui a fait polémique à l’époque était intitulé : « Offrir fraternité et soutien dans l'Église aux personnes qui vivent une attirance homosexuelle ». Malgré l’indignation de militant·es LGBT et de responsables politiques, la direction assumait et se défaussait en expliquant que l'événement se tenait le samedi, « en dehors des heures de cours ».

Interpellé, Jean-Michel Blanquer n’était pas intervenu pour l’interdire et l’événement avait bien eu lieu. Un « congrès Mission » est d’ailleurs prévu pour le 30 septembre prochain au sein de l’établissement.

Dans leur livre Dieu est amour, paru à la fin de l’année 2019, les journalistes Timothée de Rauglaudre et Jean-Loup Adénor accordent un chapitre entier au lycée Stanislas et montrent que c’était loin d’être une exception : Courage était déjà invité en 2017 et des mineurs avaient accès à leur stand sans que cela n’émeuve qui que ce soit. Toujours selon cette enquête, il y avait eu aussi cette année-là une présentation du camp masculiniste Optimum.

Des violences physiques et des humiliations

Si l’établissement est réputé pour sa discipline, les élèves pointent aussi une vision particulièrement « autoritaire et humiliante ». Sur son site par exemple, l'école vante « la lecture de notes faite par le directeur aux élèves après chaque conseil de classe » initiée dès sa création en 1804 et maintenue depuis. Officiellement, il s’agit « de faire le point sur la vie de la classe, d’analyser la situation scolaire de chaque élève, d’indiquer des marges de progression, de reprendre et d’encourager ».

En réalité, ce temps peut être une véritable souffrance pour certain·es d’entre eux. « C’était à chaque fois un moment très humiliant, se souvient Cédric. L’ancien directeur Chapellier pouvait par exemple engueuler un élève parce qu’il parlait trop aux filles et jusqu’à le faire pleurer devant tout le monde. » « C’était un champ d’expression à toute forme d'abus d’autorité. Chapellier a par exemple demandé à un élève de répéter “je suis laid, je suis laid” plusieurs fois car il estimait qu’il ne respectait pas la tenue exigée »,

rapporte Amélie. « Quand un élève est pris à partie, on le regarde se faire humilier sans pouvoir rien dire car on a peur de se faire virer », regrette Mahaut. En février 2021, un ancien élève avait publié plusieurs messages sur Twitter pour évoquer « le climat de terreur » qui régnait à Stanislas. Marie, elle, était en conflit ouvert avec la direction de l’établissement. Elle explique qu’après avoir défendu un de ses camarades victime « de harcèlement homophobe », les membres de la direction « ont préféré fermé les yeux » et l’auraient ensuite prise en grippe. « Après ça, j’étais régulièrement convoquée et on me disait que je ne correspondais pas à l’esprit de Stanislas », affirme-t-elle. À la fin de sa seconde, elle apprend juste avant les grandes vacances qu’elle est exclue de l’établissement.

Sans en détailler les raisons, le directeur Frédéric Gautier envoie un mail à ses parents le 18 juin 2019 pour les informer avoir « pris la décision de ne pas la réinscrire en première ». Trois jours plus tard, l’élève reçoit une lettre dans laquelle le motif de son exclusion n’est jamais détaillé mais seulement justifié par « son attitude en classe cette année ». « Le conseil de classe estime que Marie se trouvera l’an prochain dans une meilleure situation de réussite dans un autre établissement mais approuve le passage en première générale avec les spécialités souhaitées », est-il aussi indiqué dans ce courrier qui peut laisser penser que cette exclusion ne s’inscrit pas dans un cadre officiel. Le directeur précise même ne pas

« mentionner sur le bulletin lui-même » qu’elle ne sera pas reprise à Stanislas.
Outre les humiliations, des membres du personnel pourraient se montrer violents.
« Certains préfets n’ont aucune limite, estime Sammy. Lorsque j’étais en seconde, j’avais une paire de chaussures qui ne plaisait pas à un

préfet. Il est venu se mettre debout sur mes pieds pour marcher dessus , avec son visage près de ma bouche pour me le faire comprendre. » Julie*, à Stan jusqu’en 2020, en aurait aussi fait les frais : « Un préfet m’a tirée par les cheveux jusqu'à son bureau pour me mettre une heure de colle parce qu’ils étaient détachés. »
En novembre 2020, le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « agression sexuelle par personne ayant autorité, violences dans un établissement scolaire et harcèlement moral » visant l’ex-directeur de l’internat des classes préparatoires de Stanislas. Si ce cadre du lycée a été licencié en 2018, la direction est accusée par un groupe d'ancien·nes élèves d’en avoir caché les causes aux parents d’élèves.
Selon
Le Monde, ce surveillant pouvait fouiller des chambres de l’internat, traiter de « tarlouze » des étudiants qui ne respectaient pas le code vestimentaire et même frapper des élèves. L'un d'eux a raconté avoir reçu un
« énorme » coup de poing dans l’épaule en plus d’une insulte raciste et un violent coup sur la nuque, parce qu’il portait un bermuda avant la rentrée. Un autre a confié au quotidien avoir « été étranglé ».

Une impunité qui dure depuis des années

D’après beaucoup d'élèves enfin, la direction et le corps enseignant ne cessent de présenter la religion catholique comme étant sur le déclin et leurs élèves comme étant les seules capables de défendre leur religion sous son versant le plus traditionaliste.

Dans un éditorial datant de 2010, l’ex-directeur Daniel Chapellier mettait en garde contre ce qu’il désignait comme

les dérives de la société moderne : « La tolérance n'ouvre-t- elle pas les portes à tout accepter ? N'entendons-nous pas derrière ce mot l'acceptation de dérives ? Par tolérance, il faut accepter des choix de vie qui écrasent d'autres valeurs. La tolérance n'entraîne-t-elle pas l'aveuglement sur certaines pratiques ? Et le respect des autres n'est-il pas à l'origine de cette phrase : “Mais c'est sa vie, il faut respecter ses choix” ? », écrivait-il. Face à ces « comportements déviants », il érigeait donc « Stan » en une forteresse où d’autres valeurs dominent, bien plus rigoristes.

Alors comment de telles pratiques sont-elles possibles dans un établissement ayant pignon sur rue et sans que personne ne s’en émeuve ? Yann s’en est inquiété, dès ses années dans le prestigieux établissement. « On a l’impression d’être dans une bulle ou aucun regard extérieur ne peut vérifier ou nous aider. L’État ne contrôle rien alors que c'est un établissement privé sous contrat », déplore-t-il. Sollicité par Mediapart, le ministère de l'éducation nationale affirme suivre cet établissement : « Le rectorat de Paris assure le contrôle des personnels enseignants de l'établissement Stanislas comme de tout établissement privé sous contrat avec l’État. » Selon lui, vingt inspections au niveau du collège et du lycée et deux en primaire ont été réalisées en 2021, et dix-neuf en 2020.

Qu'est-il dit sur le contenu de certains enseignements ou le profil de certains intervenants ? « L'établissement est tenu de respecter les programmes de l'éducation nationale, y compris en matière d'éducation à la sexualité. Son caractère propre lui permet néanmoins d'avoir un projet éducatif spécifique », balaye le ministère, qui n'a pas souhaité répondre dans le détail à nos questions.

Sollicité par Mediapart, le directeur Frédéric Gautier avait accepté de nous répondre, avant de nous signifier ne pas

avoir le temps avant le mois de juillet. Après avoir reçu nos questions par mail, il a finalement décliné. « Je crains que votre article ne soit caricatural, ce que les questions posées semblent indiquer, a-t-il répondu. Je crois que les sujets abordés méritent mieux qu’une instruction rapide et “à charge”, sans nuance et sans compréhension de fond, à la seule lumières des poncifs ou des jugements lapidaires. » « Si c’est juste le fait de nous caricaturer, alors au moins n’aurais-je pas participé à cette opération, même si je me réserve le droit de réagir à tout ce qui serait contraire à la vérité ou tendancieux », ajoute Frédéric Gautier.

Contacté, le Diocèse de Paris précise que « la direction diocésaine de l’enseignement catholique peut naturellement être saisie par les élèves, leurs parents, les enseignants ou les chefs d’établissement, tout comme peuvent l’être le rectorat ou la justice, de tous faits pouvant constituer des infractions ». Malgré les différents témoignages, il affirme que le collège Stanislas n’a jamais accueilli de « thérapie de conversion », ni n’en a jamais proposé.
« Les chefs d’établissement sont tout à fait libres de choisir de ne pas proposer des moyens de contraception aux élèves. De la même manière, pour le cas spécifique de la contraception d’urgence, les établissements privés sous contrat appliquent strictement la loi », ajoute par ailleurs l'institution catholique. Et de conclure : « Le diocèse de Paris, comme le directeur du collège Stanislas, rappellent par ailleurs avec force que ni l’homophobie, ni les discours sexistes n’ont leur place dans des établissements scolaires catholiques, en ce qu’ils participent de la culture du rejet de l’autre, en totale contradiction avec l’enseignement de

l’Église catholique. »

David Perrotin et Lorraine Poupon

Si vous avez des informations à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse enquete@mediapart.fr. Si vous souhaitez adresser des documents en passant par une plateforme hautement sécurisée, vous pouvez passer par SecureDrop de Mediapart, la marche à suivre est explicitée dans cette page.

Boîte noire

*Les prénoms ont été modifiés.

Contacté par mail, le directeur de Stanislas Frédéric Gautier, avait d'abord

accepté un échange téléphonique la semaine du 20 juin avant d'affirmer ne

pas pouvoir avant le mois de juillet. Nous avons décalé notre publication de

plusieurs jours mais après avoir reçu nos questions par mail, le directeur a

décliné toute interview.

Romain C., préfet au sein de l'établissement, n'a pas souhaité nous répondre

en détail et a renvoyé vers le directeur de l'établissement.

Dans un souci de transparence, l'une des deux signataires de l’article, la

pigiste Lorraine Poupon, signale qu’elle a été scolarisée à Stanislas de 2006

à 2013. Elle précise qu'aucun conflit avec l'établissement n'existait pendant

ou après sa scolarité.