Découverte historique de la plus ancienne structure en bois, vieille de 476 000 ans
Pierre Barthélémy
Une équipe internationale de recherche a mis au jour en Zambie un assemblage préhistorique qui remet en cause notre vision des hommes archaïques, aux compétences techniques plus avancées qu’on ne le pensait, bien avant l’apparition d’« Homo sapiens ».
Lors des fouilles archéologiques en 2019, près de la rivière Kalombo, en Zambie, qui ont permis la découverte de la structure en bois datant de 476 000 ans. LARRY BARHAM/UNIVERSITé DE LIVERPOOL
L’âge de pierre était aussi l’âge du bois. Mais, jusqu’à présent, nous ne le voyions pas. Car si les outils lithiques ou les coquillages utilisés par les humains de la préhistoire traversent le temps sans encombre, il n’en va pas de même pour les objets en matière organique, qui nécessitent des conditions bien spécifiques pour éviter la décomposition. C’est donc une découverte exceptionnelle à plus d’un titre qu’annonce, mercredi 20 septembre, dans Nature, une équipe internationale : celle de la plus ancienne structure en bois jamais mise au jour. Vieille, qui plus est, de 476 000 ans, une époque reculée où les humains modernes n’étaient pas encore apparus.
La trouvaille a eu lieu dans le nord de la Zambie, non loin des chutes de la rivière Kalambo. « Le site se trouve au bord de la rivière qui provoque des inondations régulières apportant des sédiments. C’est grâce à cette humidité permanente que le bois a pu être préservé », précise Veerle Rots, professeure de préhistoire à l’université de Liège (Belgique) et cosignataire de l’étude. Fouillé dès les années 1950 par l’archéologue britannique John Desmond Clark (1916-2002), ce site « a déjà livré des restes intéressants mais qu’on ne savait pas dater : le cadre chronologique restait vague », ajoute Veerle Rots.
En 2019, une collaboration entre les universités de Liverpool, d’Aberystwyth (Royaume-Uni) et de Liège a permis de relancer les fouilles aux chutes du Kalambo. Dans les sables gorgés d’eau, l’équipe a découvert plusieurs objets en bois, dont un étonnant assemblage cruciforme. Deux rondins superposés étaient encastrés par le biais d’une entaille en forme de U, de plus de 10 centimètres de large, « clairement produite par l’homme », selon les mots de Veerle Rots, qui s’appuie pour l’affirmer sur une série de marques laissées dans le bois par des outils en pierre.
Datation par luminescence
Restait un point délicat : déterminer la période à laquelle cette structure avait été produite. La datation au carbone 14 n’a rien donné car elle ne permet pas de remonter plus loin que cinquante mille ans. Pour avoir leur réponse, les chercheurs ont utilisé une technique qui permet de dater non pas l’objet lui-même, mais les sédiments dans lesquels il est enfoui : la datation par luminescence.
Celle-ci exploite la capacité qu’ont certains cristaux naturels, comme le quartz et le feldspath, à se comporter comme des dosimètres grâce à de petits défauts de structure qui jouent le rôle de pièges à électrons. « Sous l’effet de la radioactivité naturelle, ces cristaux accumulent de l’énergie et ils la restituent quand on les chauffe ou quand on les éclaire au laboratoire », explique Christelle Lahaye, professeure de géochronologie à l’université Bordeaux-Montaigne et directrice du laboratoire Archéosciences, qui est spécialisé dans l’étude des matériaux du patrimoine archéologique.
A chaque fois que la lumière du soleil les frappe, ces grains de quartz ou de feldspath voient leur « horloge interne » remise à zéro. Elle repart et se remet à accumuler de l’énergie quand elle se trouve dans le noir, en bref quand les sédiments sont enfouis. La quantité d’énergie stockée est proportionnelle au temps passé dans l’obscurité. « Ce que l’on va mesurer avec cette technique, résume Christelle Lahaye, c’est le temps qui s’est écoulé depuis la dernière exposition de ces cristaux à la lumière. »
Le risque existe parfois que la datation par luminescence soit faussée, par exemple si le « chronomètre » des cristaux n’a pas été totalement remis à zéro ou si des mélanges entre niveaux de sédiments ont eu lieu. Mais, pour Christelle Lahaye, qui n’a pas pris part à l’étude de Nature, ce risque est ici exclu : « L’étude est très solide, toutes les disciplines nécessaires ont été mobilisées et la datation par luminescence ne me semble pas attaquable. Les résultats sont cohérents entre eux. »
Des populations pas si nomades
C’est donc presque un demi-million d’années dans le passé que nous catapulte cette structure en bois. Mais à quoi pouvait-elle bien servir ? « Le dire n’est pas si évident car seule une petite partie a été préservée, répond prudemment Veerle Rots. Une hypothèse que nous avons émise s’appuie sur ce que l’on voit souvent dans les zones humides, où les humains utilisent des plates-formes pour rester au sec quand la rivière déborde. » L’étude évoque également la possibilité d’une passerelle ou d’une structure liée à l’habitat. Dans tous les cas, cela remet en partie en cause l’idée de populations complètement nomades : « Comme il s’agit de chasseurs-cueilleurs, soit ils structurent un habitat et ne sont pas aussi nomades qu’on le croyait, soit ils aménagent une zone où ils reviennent régulièrement », avance la préhistorienne.
Mais qui sont ces « ils » ? « Les traces les plus anciennes d’Homo sapiens datent de 300 000 ans, au Maroc, rappelle Veerle Rots. Au-delà, on est dans les hommes archaïques ou bien dans l’espèce Homo heidelbergensis, mais c’est difficile à dire car plusieurs espèces humaines étaient présentes en Afrique à cette époque et aucun reste anatomique n’a été retrouvé aux chutes du Kalambo. Les contextes humides ne sont pas forcément favorables à la conservation des os… »
En plus de l’assemblage de deux rondins, les auteurs de l’étude ont exhumé d’autres éléments ou outils en bois, un peu plus récents puisque leur datation est comprise entre 324 000 et 390 000 ans. Il y a là ce que les chercheurs interprètent comme un coin, un bâton fouisseur doté d’une pointe, une bûche et une branche entaillée. Tout cela est moins étonnant car d’autres exemples existaient déjà, comme les épieux vieux de 300 000 ans découverts à Schöningen (Allemagne) dans les années 1990. Cela enrichit néanmoins la panoplie des objets en bois tout en soulignant en creux à quel point les industries préhistoriques en matériaux périssables échappent aux archéologues.
Pour Christelle Lahaye, la découverte effectuée aux chutes du Kalambo « fait passer un seuil car on est dans quelque chose qui semble être une structure. Cela s’inscrit dans la lignée d’études sur les capacités cognitives et les compétences de nos ancêtres ou de nos cousins. Cela montre des compétences et un savoir-faire qu’on n’avait pas imaginés pour des périodes aussi anciennes. »
Premier signataire de l’étude publiée par Nature, Larry Barham, professeur d’archéologie à l’université de Liverpool, se trouve dans le même état d’esprit : « Cette découverte a changé ma vision de nos premiers ancêtres, déclare-t-il dans un communiqué. Oubliez l’étiquette “âge de pierre”, regardez ce que ces gens faisaient : ils fabriquaient quelque chose de nouveau, et de grand, à partir du bois. Ils ont utilisé leur intelligence, leur imagination et leurs compétences pour créer quelque chose qu’ils n’avaient jamais vu avant, quelque chose qui n’avait jamais existé auparavant. »
Le chercheur conclut ainsi : « Ils ont transformé leur environnement pour se faciliter la vie, ne serait-ce qu’en fabriquant une plate-forme sur laquelle s’asseoir au bord de la rivière pour accomplir leurs tâches quotidiennes. Ces gens nous ressemblaient plus que nous le pensions. »