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Réforme des retraites: pourquoi Emmanuel Macron ne cédera pas

Réforme des retraites: pourquoi Emmanuel Macron ne cédera pas

Désormais directement visé par les syndicats, le président de la République n’entend pas pour autant bouger et veut faire adopter le texte de loi coûte que coûte

655e846b8ee566d99cdd3597563e9127.jpgSIPA PRESS En retrait, Emmanuel Macron ne souhaite pas interférer avec le débat parlementaire.

Après l’adoption de l’article 7, qui prévoit le report à 64 ans l’âge de départ, le Sénat a avancé jeudi dans l’examen de la réforme des retraites. L’intersyndicale a écrit au chef de l’État pour demander à être reçue. De nouvelles journées de mobilisation sont prévues samedi et mercredi, jour de l’examen de la réforme en commission mixte paritaire.

 

LE LONG FEUILLETON de la réforme des retraites est entré cette semaine dans une nouvelle phase : au lendemain de la sixième journée de mobilisation, massive et pacifique, mais restée comme les précédentes sans effet sur le cours des événements, les leaders syndicaux ont changé de stratégie, et ciblent désormais le chef de l’État.

 

Un poids lourd de la majorité se félicitait, il y a deux semaines, qu’Emmanuel Macron, qui se tient prudemment à l’écart du conflit social depuis début janvier, ne soit pas « ciblé » par les manifestants et leurs représentants. Las, le chef de l’État est désormais directement interpellé. « Le Président ne peut pas rester sourd, on ne peut pas continuer avec ce silence qui dure depuis deux mois », lançait lundi Laurent Berger. « Que faut-il faire pour être entendu ? », interrogeait de nouveau, ce jeudi, le secrétaire général de la CFDT.

 

Les huit principaux syndicats français et cinq organisations de jeunesse ont écrit jeudi au Président pour lui demander une rencontre au sujet de la réforme des retraites, voyant dans le silence de l’exécutif face au mouvement social un « grave problème démocratique ». Le chef de l’Etat doit leur répondre ce vendredi, également par courrier. « On essaiera de leur faire parvenir sa lettre avant qu’ils la lisent dans la presse, comme cela a été le cas pour nous », persifle un conseiller. A ce stade, le chef de l’Etat n’a pas prévu de recevoir les syndicats, faisant dire par sa Première ministre Elisabeth Borne que la porte du ministre du Travail Olivier Dussopt leur est « ouverte ». « Cela ne me paraît pas très délicat », euphémise un ancien conseiller du Président. « C’est la première fois qu’on gère les syndicats de cette façon, avec un mépris absolu », commente l’ancien député PS Gilles Savary, chroniqueur à l’Opinion. Emmanuel Macron ne veut pas « interférer avec le débat parlementaire », qui se déroule jusqu’à dimanche avec l’adoption du texte au Sénat, justifie l’Elysée.

 

« Danger ». Au-delà de l’échéance de dimanche, toutefois, la question n’est pas tranchée. « Les recevoir, ce serait théâtraliser au plus haut niveau un échec, car ni les syndicats, ni le Président ne veulent de compromis, confie un familier de l’Elysée. Mais pour autant, peut-il rester en dehors ? N’a-t-il pas intérêt à les recevoir pour se faire engueuler, mais aussi pour leur dire les yeux dans les yeux qu’il maintiendra cette réforme ? Le danger d’un refus, c’est d’être accusé de mépris. Le coût politique pourrait être plus important que celui de la théâtralisation de l’échec. » Une analyse partagée par le politologue Bruno Cautrès : « Il faudra qu’il reçoive les syndicats à un moment, car l’opinion est à cran et un refus passerait pour du mépris. Mais je comprends la stratégie de les recevoir en dernière extrémité. Il doit pour l’instant laisser se dérouler le débat au Parlement.

 

Mais les recevoir une fois la loi votée n’aura plus beaucoup de sens. Au fond, il est un peu dans une impasse.

» Quant à la demande des syndicats, c’està-dire un recul sur le coeur de son programme, l’âge légal de départ à la retraite, elle n’est pas concevable, malgré le rejet du projet par deux Français sur trois et l’ampleur des manifesta--tions. Les Français l’ont d’ailleurs compris, qui malgré leur opposition massive au projet de réforme, sont 64% à penser que la réforme sera votée et appliquée, selon un sondage de l’institut Elabe publié le 6 mars.

 

« Arme ». Le seul événement qui pourrait faire bouger le Président, « c’est un pays à l’arrêt, c’est-à-dire une grève générale reconductible, qui produirait un choc économique », confie l’un de ses proches. On n’en est pas là, constate-t-on à l’Elysée. Malgré le blocage de cinq dépôts de carburant, des baisses de production d’électricité, l’arrêt de quatre terminaux méthaniers et des perturbations essentiellement sur les trains régionaux, le pays n’est pas « à l’arrêt ». « Le seul scénario où il lâchera, c’est si Paris est en feu, s’il y a un problème aigu de maintien de l’ordre », estime Gilles Savary. « Cela ne peut être qu’un scénario extérieur, un mort dans une manifestation, un attentat… », approuve un conseiller.

 

Pour Emmanuel Macron, qu’un visiteur a trouvé jeudi « calme et serein », la réforme des retraites doit être adoptée « quoi qu’il en coûte ». Alors que le texte n’a même pas fait l’objet d’un vote en première lecture à l’Assemblée, et que la Première ministre veut éviter un recours au 49.3, l’Elysée prépare les esprits à l’usage de cette arme constitutionnelle, sans états d’âme. « C’est la position constante du Président depuis le début de la législature, il a toujours dit qu’il n’accepterait pas de blocage et qu’il permettrait au gouvernement d’utiliser l’ensemble des outils à sa disposition pour avancer », justifie son entourage. Le recours au 49.3 signifierait cependant qu’Elisabeth Borne n’a pas réussi à bâtir une majorité sur ce projet phare. Un échec qui pourrait être sanctionné par son départ de Matignon. Déjà, des noms circulent pour son remplacement, comme celui de l’actuel ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

 

Marine Le Pen, ancienne adversaire d’Emmanuel Macron à la présidentielle, voit dans cette réforme des retraites à toute force une dimension « égotique » : « Il veut sa réforme des retraites, parce qu’il se dit qu’il faut bien qu’il ait fait quelque chose », ironise-t-elle. « Il est totalement persuadé que les retraites, ce n’est qu’un mauvais moment à surmonter, et qu’après on passera à autre chose », confie l’un de ceux qui l’ont vu récemment. « Il est en train de ciseler son image pour la postérité, spécule l’un de ses soutiens. Et cette image qu’il veut laisser, c’est celle de l’autorité, de la fermeté. C’est l’anti-Hollande. » Protégé des secousses par les institutions, le Président peut se permettre de voir loin.