JustPaste.it
atlantico.fr

 

Ces 6 questions que soulèvent les révélations sur François de Rugy et qui en disent long sur le niveau de dysfonctionnement politique et économique de notre pays

Edouard Husson
12-15 minutes

François de Rugy a déclaré que ce qui expliquait l'organisation de son dîner de la Saint Valentin ou l'achat de son vélo elliptique était le manque de temps propre à son métier. De fait, un ministre travaille 7j/7 et une enquête récente de Projet Arcadie révélait que les parlementaires travaillaient en moyenne 70 heures par semaine.

Atlantico.fr : Faut-il dès lors réévaluer la valeur du travail des parlementaires ? Paye-t-on assez nos parlementaires si on observe le temps de travail qu'ils respectent ?

Edouard Husson : Je ne connais pas le fond de l’affaire autrement que par les articles de Médiapart et les reportages d’autres médias. Comme beaucoup, je suppose, j’ai souri lorsque j’ai entendu parler de « gauche homard »; et qui n’a envie de mettre en perspective le train de vie de François de Rugy - si ce que disent les médias est exact - et la détresse sociale d’une partie de la France que la crise des Gilets Jaunes a révélée l’hiver dernier? Pour autant, la manière dont le débat est mené me paraît très insatisfaisante. La France a beaucoup de mal avec l’état de droit, ce que les Britanniques appellent « rule of law », « règne de la loi ».

J’aimerais qu’on nous explique s’il y avait ou non un budget alloué aux invitations du président de  l’Assemblée Nationale. Si ce n’est pas le cas, comment cela se fait-il? Si c’est le cas, François de Rugy a-t-il dépassé l’enveloppe attribuée? Toute autre façon d’aborder la question ne résoudra rien: on jette en pâture à l’opinion un individu en particulier; il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un règlement de comptes, quelqu’un souhaitant se venger de François de Rugy et ayant balancé à Médiapart.

La défense de l’accusé est inaudible, à première écoute, mais elle pointe bien vers un élément exact: un parlementaire qui fait son métier est en permanence sur le pont. Il travaille autant qu’un dirigeant du secteur privé ou qu’un ministre. Encore une fois, ce n’est pas les moyens à disposition qui sont choquants, c’est l’éventuelle absence de respect d’un budget alloué. 

Les révélations sur l'appartement nantais de François de Rugy (un loyer social préférentiel) ne montrent-elles pas de véritables dysfonctionnements du marché actuel, un propriétaire préférant toujours louer à un François de Rugy à une personne défavorisée qui en aurait réellement besoin ?

Philippe Crevel : Les Français aiment la pierre dont le prix a doublé en une génération. C’est la valeur refuge par excellence. De ce fait, il est de plus en plus difficile de louer ou encore plus d’acheter des logements dans le cœur des grandes agglomérations. De ce fait, il y a une forte sensibilité de l’opinion dès que des affaires concernent l’immobilier. Hervé Gaymard, en 2005, avait été contraint de démissionner en raison de la location d’un logement dans le 8e arrondissement. En la matière, les Français aiment jouer à Saint Just ou à Robespierre mais ne seraient pas opposés à bénéficier d’un logement à prix réduit. Les offices de logements sociaux s’arrachent les personnes ayant les capacités de s’acquitter leurs loyers. Il en résulte que les logements sociaux ne sont pas toujours occupés par des personnes à revenus modestes.

Mais, aujourd’hui, le véritable problème est bien l’étroitesse du parc immobilier français et en particulier le parc locatif privé qui tend à diminuer d’année en année en raison des contraintes administratives et fiscales. La raréfaction de l’offre contribue à l’augmentation des prix et à la multiplication des demandes d’accès à des logements à des tarifs préférentiels. Le vrai scandale c’est qu’en France en dépensant plus de 37 milliards d’euros pour le logement chaque année, plus de 500 000 Français rencontrent des difficultés pour se loger.

Le poids des dépenses de logement au sein du budget des ménages n’en finit pas d’augmenter. Il peut atteindre pour les jeunes, les personnes à revenus modestes plus de 30 % de leur budget. Si aujourd’hui, la question du niveau de vie est souvent mise en avant, c’est, en grande partie, en raison de l’augmentation du coût du logement.

Si la question du politique reste cantonnée à la moralité de l'action politique et à l'optimisation de son coût, ne risque-t-on pas de désarmer les politiques face aux pouvoirs économiques ? Et d'encourager les pratiques politiques qui consiste à viser un poste après son mandat ?

Edouard Husson : J’ai pour ma part un reproche beaucoup plus important à faire à François de Rugy: il était président de l’Assemblée Nationale lorsqu’une commission d’enquête parlementaire a été mise en place sur Alexandre Benalla. Or les travaux de cette commission ont tourné court sur pression de l’Elysée - à la différence des travaux de la commission du Sénat. Pour le fonctionnement des institutions, c’est beaucoup plus grave. Médiapart est d’ailleurs assez représentatif des limites des médias, même quand ils cherchent à ennuyer le pouvoir. En 2018, on sort des articles sur l’affaire Benalla. Puis en 2019, on lance une affaire « Rugy ». En 2020, il y en aura une autre. Et l’on cherchera à provoquer l’indignation des Français à chaque fois, sans parler de la seule chose qui devrait nous intéresser concernant des politiques: font-ils leur travail...politique?

La question de la rémunération devrait être traitée de manière publique et objectivée: il doit y avoir d’une part tout ce qui sert à l’exercice de la fonction; et d’autre part une rémunération personnelle liée à la situation propre (fortune personnelle ou non, appartenance à la fonction publique ou non, enfants à charge etc....). Dans tous les cas, il est évident qu’il faut mettre les politiques à l’abri des tentatives de corruption. Un parlementaire doit pouvoir tenir son rang par face au secteur privé qui pourrait, sinon, avoir la tentation de l’acheter. Le métier doit être, effectivement, suffisamment attractif pour ne pas donner la tentation de rejoindre le secteur privé avec un risque de conflit d’intérêt après la fin du mandat.

Il y a un mélange de naïveté, d’ignorance et de lâcheté des médias concernant les relations entre la classe politique et le secteur privé: on va, pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines, s’acharner sur François de Rugy pour son comportement personnel; en revanche, personne n’enquête sérieusement sur les décisions d’Emmanuel Macron lorsqu’il a traité le dossier Alstom, à l’époque où il était ministre; ni ne se demande quel est le plus grand désastre du dossier Renault-Nissan: les abus de Carlos Goshn ou l’action calamiteuse du même Emmanuel Macron lorsqu’il a voulu modifier les équilibres entre la participation de l’Etat et le reste de l’actionnariat de l’alliance Renault/Nissan. 

On reproche à Rugy d'avoir invité des lobbyistes. Mais n'est-ce pas une composante de la démocratie que de recevoir aussi les avis des acteurs privés ?

Edouard Husson : Encore une fois, François de Rugy disposait-il d’un budget? A-t-il ou non dépassé cet éventuel budget? S’il était dans l’enveloppe allouée, il peut bien inviter qui il veut et selon les montants qu’il souhaite, pourvu qu’il s’agisse de son métier de député et de président de l’Assemblée Nationale. De toute façon, s’il fait n’importe quoi, il épuisera son budget rapidement. Une partie non négligeable du métier de parlementaire, aujourd’hui, consiste dans l’interaction avec des lobbyistes. Ces derniers doivent savoir ce qu’ils jugent approprié: s’ils acceptent une invitation luxueuse du président de l’Assemblée Nationale, c’est beaucoup plus leur problème que le sien. 

L'installation de Rugy aurait nécessité 63.000 euros travaux de son appartement de fonction que les service de gestion des bâtiments du ministère avaient qualifié de "vétuste". Ne faut-il pas se poser la question de ce qu'on souhaite faire de notre patrimoine d'Etat ? Faut-il l'entretenir, malgré les coûts ou se résoudre à le vendre à des émirs ?

Edouard Husson : Là encore, on n’a aucune vision de bon sens. Y avait-il ou non un budget alloué? Y a-t-il un entretien régulier des appartements de fonction? Qui décide d’effectuer les travaux? Il faudrait effectivement un service de l’Etat et un budget dédié. Et vous avez raison de replacer cela dans la perspective de l’absence d’entretien par l’Etat de son patrimoine. Cela renvoie à une question plus fondamentale encore: nos dépenses publiques sont gigantesques et mal maîtrisées en même temps que nous sommes soumis à une politique d’austérité budgétaire et monétaire. Les deux sont profondément liés: le monétarisme rigide qu’implique la politique de l’euro n’a été supportable par le pays que dans la mesure où l’Etat a créé des emplois publics, laissé filer les déficits etc....

Au lieu d’affronter cette contradiction structurelle, on se livre régulièrement à une traque aux coûts dans le fonctionnement des ministères dont le seul résultat est de produire des... dysfonctionnements - pensons à la réduction de moitié des effectifs des cabinets ministériels, qui rend le gouvernement d’Edouard Philippe profondément inefficace - et l’on se met à personnaliser à outrance les dépenses de l’Etat - l’affaire Rugy en est un bon exemple. Mais que le Ministre de la Transition Ecologique soit obligé de démissionner ou non, cela ne changera rien au problème de fond: la façon d’aborder la question de la dépense publique a conduit à un Etat à la fois obèse et dysfonctionnel sur un fond d’incapacité croissante à piloter le pays. 

Si on parle de réduction de la dépense publique, l'annonce de la suppression d'uniquement 15.000 postes d'ici 2022 contre les 120.000 annoncés n'est-elle pas une faute importante et politiquement critiquable que les dépenses fastueuses de François de Rugy ?

Philippe Crevel : Nous préférons voir l’écume à la vague de fond bien plus scélérate. En effet, dans tous les domaines, le dépenser trop l’emporte. L’assainissement des comptes publics est renvoyé aux calendes grecques. Les taux d’intérêt négatifs devenus pour l’Obligation Assimilable du Trésor à 10 ans n’incite pas l’administration à réaliser des économies. L’objectif de réduction des emplois publics affiché en début du quinquennat a été, ainsi revu à la baisse. Pour réellement peser sur le cours des dépenses publiques, la diminution des effectifs de la fonction publique est un moyen pourtant efficace car elle s’inscrit dans la durée. C’est moins de fonctionnaires aujourd’hui et moins de pensionnés de la fonction publique. Le poids des dépenses publiques est de 10 points de PIB au-dessus de la moyenne de la zone euro. Nous avons le record européen et de l’OCDE en la matière. Les prélèvements obligatoires captent 45 % de la création de richesse. La dette publique flirte avec les 100 % du PIB. Dans tous les domaines, retraite, santé, logement, emploi, soutien à l’économie, etc., les dépenses publiques sont supérieures à la moyenne.

Certains estiment qu’il faut continuer à s’endetter car l’argent n’est pas cher mais il faudra rembourser. Or, les dettes non affectées à l’investissement n’ont pas réellement de rentabilité. Même pour celles affectés à l’investissement public, il n’est pas évident que les administrations publiques à réaliser les meilleurs choix économiques. La liste des erreurs publiques est longue en la matière. Parmi les défenseurs de la dette à tout prix, il y en a qui mettent en avant que de toute façon elle ne sera pas remboursée. Or, cela s’appelle la banqueroute. Ce seront les épargnants français qui seront touchés, pas les riches mais les classes moyennes à travers leur assurance vie. Et puis que se passera-t-il le lendemain de la banqueroute. Nul ne voudra prêter à la France. La voie du toujours plus de dépenses publiques, plus de dette publique est tracée et pour le moment les gouvernements successifs n’ont pas eu la force de caractère d’en changer, en grande partie parque l’opinion publique ne semble pas prête aux sacrifices.

Depuis 1981, les candidats voulant réellement assainir les comptes n’ont pas été élus, Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre, François Fillon. Nicolas Sarkozy a été le seul à tenter d’inverser la courbe en ne renouvelant qu’un départ sur deux à la retraite dans la fonction publique. En ayant du affronter la crise de 2008, centennale, il a des circonstances plus qu’atténuantes concernant l’évolution de la dette sous son quinquennat. Malgré le retour d’un léger souffle de croissance, les efforts entrepris depuis trois ans sont bien faibles. L’Etat fait en outre peser une grande partie des efforts de réduction des déficits sur les collectivités locales. Il faut également noter que les cadres sont mis à contribution avec la réforme de l’assurance chômage. Ils pourraient l’être encore plus avec la future réforme des retraites.