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courrierinternational.com Richard Werly

 

Emmanuel Macron “de nouveau assiégé”

Vu de Suisse Le Temps

 

Les pillages survenus samedi 16 mars sur les Champs-Élysées relancent le débat sur la stratégie du président français face aux colères sociales et face à tous ceux qui, dans l’ombre des “gilets jaunes”, veulent exacerber les confrontations.

Les images d’abord, car elles sont implacables. Comment expliquer qu’après cinq mois de manifestations continues et ponctuées de violences chaque samedi, et 170 millions d’euros de dégâts au niveau national, l’accès aux Champs-Élysées ait été encore possible pour des groupes de manifestants vite transformés en guérilleros cagoulés, munis de masques à gaz et prêts au pire ?

Ce qui s’est passé samedi [16 mars] dans le centre de Paris, dès 10 heures du matin, témoigne, sinon d’une profonde erreur d’appréciation du pouvoir exécutif français, du moins de son incapacité à trouver les réponses appropriées face à ceux qui se revendiquent encore comme “gilets jaunes”. La veille, deux de ses leaders, Éric Drouet (dont le jugement pour “organisation de manifestation non déclarée” sera rendu le 29 mars) et Maxime Nicolle, avaient pourtant annoncé le “regain de mobilisation”, avec Paris pour objectif.

Ce qui, sans confondre casseurs et manifestants, confirme le terrifiant jusqu’au-boutisme des plus irréductibles du mouvement.”

Pourquoi ne pas avoir, dès lors, imposé un périmètre de sécurité ? Excès de confiance d’autorités persuadées que le “grand débat national” qui s’est achevé vendredi a fait retomber la tension ? Crainte de nouvelles accusations contre les violences policières ? Volonté de montrer à la majorité silencieuse que les “gilets jaunes” sont irrécupérables ? Ou mauvais calcul malgré le déploiement de 5 000 policiers dans la capitale française ? Le fait est que, lors de manifestations sportives, comme le Tour de France, les Champs-Élysées sont bouclés, verrouillés, filtrés. La géographie des lieux le permet.

Tentation du chaos ?

Alors ? Le spectacle d’une banque incendiée, d’un immeuble évacué, d’un restaurant chic vandalisé (le Fouquet’s), de magasins de luxe dévastés (Hugo Boss, Swarovski, Bulgari…) et d’un kiosque à journaux (terrible symbole de la presse haïe) en flammes est, dans tous les cas, indigne de la capitale du pays le plus visité au monde et d’un État de droit parmi les plus puissants de la planète.

Les interrogations politiques ensuite. Voir des commandos de types en noir, cagoulés, équipés en plein cœur de Paris pose de graves questions. Impossible, dans ce contexte, et alors qu’Emmanuel Macron est remonté dans les sondages à la faveur du “grand débat national”, de ne pas s’interroger. À qui profitent ces scènes détestables ? Quelle partie de l’opinion se retrouve ébranlée, inquiète, convaincue que la “chienlit” est en train de s’emparer du pays ? Écrire ces mots fait mal. La tentation du chaos ferait-elle partie des desseins macroniens pour prendre pour de bon la main ?

Il suffit de regarder les réseaux sociaux et Internet pour constater à quel point cette thèse prolifère et gagne du terrain, alimentée par les clichés du président français en train de skier samedi dans les Pyrénées. L’ancien député socialiste Julien Dray, expert ès manifestations, posait dimanche ouvertement la question sur Twitter. Elle planera mardi [19 mars] sur les auditions au Sénat. Preuve que la défiance endémique est une plaie loin d’être cicatrisée.

Besoin d’autorité

Les responsables gouvernementaux, réunis dimanche soir et convoqués mardi par le Sénat, devront démontrer que ces accusations sont fausses, et qu’ils sont capables d’y répondre. Avec un risque : qu’une éventuelle interdiction complète des manifestations, après l’adoption de la très répressive loi anticasseurs la semaine dernière, attise l’engrenage de la violence. La libération de la parole et les dizaines de milliers de cahiers de doléances n’ont en effet pas apaisé le pays. Une sourde tentation révolutionnaire ronge le processus politique. Nourrie par les extrémismes de gauche et de droite qui ont tout intérêt à cette déstabilisation, la colère peut, à tout moment, soulever le couvercle de ce pays en ébullition.

Reste dès lors la question de l’autorité. Les Champs-Élysées ne sont pas la France. Les devantures dévastées du Drugstore de la place de l’Étoile ou du restaurant le Fouquet’s si cher à Nicolas Sarkozy (l’ancien président y fêta sa victoire présidentielle de 2007) ne résument pas tout un pays. Les 32 000 “gilets jaunes” encore recensés dans les rues samedi à travers l’Hexagone ne sont pas l’incarnation d’un soulèvement populaire majoritaire. Sauf que tout cela pose une question centrale : celle de l’autorité d’un président français de nouveau assiégé, impuissant à desserrer l’étreinte d’une partie de la rue.

Or la France actuelle a besoin d’autorité. L’ordre doit y être respecté pour que l’économie reprenne ses droits et que les commerçants des centres-villes, à genoux depuis le mois de novembre, retrouvent enfin leur souffle. Mais rien n’y fait. Les tirs de LBD, ces lanceurs de balles de défense helvétiques dénoncés pour les blessures qu’ils infligent, n’ont rien réglé. La personnalité controversée du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, pris en flagrant délit de “clubbing” par les magazines people Voici et Closer à la sortie d’une boîte de nuit, n’arrange malheureusement rien.

Un État malade

Emmanuel Macron pensait retrouver cette autorité grâce à son éloquence, en rétablissant le magistère de la parole, via ses interventions marathon devant les élus. Bien joué, mais insuffisant. La France s’est prise au jeu du “grand débat”. La popularité de l’exécutif remonte. C’est aujourd’hui la partie émergée de l’iceberg républicain. La frustration reste par contre endémique chez les “gilets jaunes”, ces taiseux et ces “invisibles” qui ont souvent boycotté les débats. Le géographe Christophe Guilluy, théoricien de la “France périphérique”, prétend qu’ils sont là “pour cent ans”, tant leur colère sourde ne se dissoudra pas.

Moralité : la réponse aux revendications exprimées sur les ronds-points doit demeurer la priorité. Le besoin de référendum, le malaise des Français trop peu payés, trop taxés, traqués par les factures malgré leurs petites retraites, lassés de centres-villes désertés ne doivent surtout pas être mis de côté au profit de demandes moins douloureuses, ou plus faciles à gérer dans le temps. L’État français est malade. Son obésité délite ses actions.

La fracture avec la classe politique et les nouveaux élus macroniens, coupés des réalités, reste évidente.”

Vu les dévastations sur les Champs-Élysées, et les dégâts considérables que cela entraîne pour l’image du pays à la veille des élections du 26 mai au Parlement de Strasbourg, le président français vient de subir, quelques jours après avoir lancé son appel à une “renaissance européenne”, une chaotique piqûre de rappel nationale. Son quinquennat ressemble à une falaise. Le précipice français est toujours devant lui.

Source:  Le Temps: Né en mars 1998 de la fusion du Nouveau Quotidien, du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne, ce titre de centre droit, prisé des cadres, se présente comme le quotidien de référence de la Suisse romande