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Cédric Villani, jusqu'au bout de la nuit

REPORTAGE. Tenté par la mairie de Paris, le député-mathématicien mène une précampagne originale et endurante, de jour comme de nuit.PAR CLÉMENT PÉTREAULT

Il est 5 heures du matin et Paris dort encore. Une silhouette frêle et furtive, vêtue d'un long manteau noir, traverse la place Denfert-Rochereau à grandes enjambées. L'ombre entre dans un café encore désert, se défait de ses écharpes et révèle un Cédric Villani matinal, en pleine forme. Le scientifique entré en politique il y a deux ans s'est levé tôt ce vendredi matin pour rejoindre son équipe de campagne afin de caler les derniers détails d'une journée marathon, un tour de Paris en un tour d'horloge. Le programme est à la hauteur de l'éclectisme du personnage : on le croisera captivé par un plan du réseau électrique de la SNCF, ému par les Apprentis d'Auteuil, exalté par les projets de la start-up Plume ou subjugué par l'ambiance titi parisien du Lapin agile…

Le mathématicien – qui habite désormais à Paris une partie du temps – a décidé de partir à l'assaut de la capitale, ou tout au moins de briguer l'investiture de La République en marche pour les municipales. Les modalités et le calendrier de désignation ne sont pas encore connus, mais le député de l'Essonne veut croire qu'il a ses chances. Après tout, n'a-t-il pas longtemps mené une vie de Parisien, puis de Francilien anonyme ? « On s'imagine que les mathématiciens sont des êtres solitaires enfermés face à leurs équations, mais j'ai les mêmes préoccupations que tout le monde quand il s'agit de trouver une place en crèche ou de galérer dans les transports en commun », explique-t-il en déchirant un croissant.

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L'heure de l'incarnation

22cd454c4b6036f5fd7f8d895eb143ef.jpgCédric Villani à Paris le vendredi 25 janvier 2019.

Café avalé, le voici qui remonte la rue Daguerre encore déserte, croisant la route de quelques fêtards à bout de nuit. Parvenu au centre de régulation Montparnasse, il rencontre des agents qui régulent jour et nuit le trafic ferroviaire de centaines de milliers de voyageurs. Il contemple l'immense salle de contrôle du réseau électrique dans un silence teinté de fascination. Il parle peu, se laisse expliquer le monde qui l'entoure, interroge tous ceux qui passent à sa portée. « L'heure n'est pas au programme, mais à l'incarnation », répète-t-il, prenant des notes dans l'un de ses fameux carnets qui l'accompagnent partout.

Son tour de Paris en vingt-quatre heures, le deuxième depuis qu'il a annoncé sa candidature, n'est pas vraiment une partie de campagne électorale, mais plutôt un tour de chauffe, l'expression d'un désir bien arrimé. Il y a quelques semaines encore, certains considéraient son envie de prendre la mairie de Paris comme une lubie, un engouement passager voué à s'évaporer au fur et à mesure que l'échéance se rapprocherait. Jusqu'à ce qu'un sondage Ifop révèle que Cédric Villani récolterait 23 % des voix au premier tour, faisant jeu égal avec Benjamin Griveaux, dont l'intérêt pour la mairie de Paris est connu depuis plus de dix-huit mois. Selon cette étude, il arriverait devant Mounir Mahjoubi (20 %) et Hugues Renson (17 %).

Parlementaire hyperactif

Les romantiques ont cet avantage en politique : on ne les voit pas arriver, on ne les prend pas tout de suite au sérieux et, lorsqu'on se rend compte qu'ils ne plaisantaient pas, ils se sont déjà installés dans le rôle qu'ils convoitaient, jouissant de la liberté de ceux qui n'ont demandé la permission à personne. « J'ai l'habitude qu'on ne me croit pas, et cela ne m'a jamais empêché de réussir ce que j'entreprenais, au contraire », rappelle le scientifique. Il suffit de se souvenir qu'il y a deux ans personne n'imaginait le mathématicien médaillé et réclamé par les universités du monde entier endosser le costume de député de la majorité... Pourtant, le voici aujourd'hui parlementaire hyperactif et, à l'entendre, plutôt heureux : « J'ai eu la chance de mener plusieurs missions sur des questions scientifiques ou historiques », explique-t-il.

À ceux qui s'inquiètent de voir un rêveur accéder à un poste qui nécessite d'avoir les pieds sur terre, il rétorque : « Le matheux que je suis reste persuadé que l'irrationnel compte toujours plus qu'on ne croit, surtout en politique. » Il n'oublie pas que, signe de l'histoire, le premier maire de Paris, Jean Sylvain Bailly, fut, comme lui, un mathématicien de renom (qui termina guillotiné).

Contemplatif

Dans une précampagne, il y a toujours le risque d'ajouter du bruit au bruit, de se tromper d'adversaire, de se laisser enfermer dans des débats prématurés, de formuler des promesses intenables… mais Cédric Villani se laisse porter par les événements et assume sa démarche pour l'heure plus contemplative que politique. Devant les équipes de la sérieuse start-up Plume Labs, spécialiste de la pollution, il lâche, sibyllin : « Définir une vision, c'est exaltant, mais la mettre en œuvre tourne parfois au cauchemar. » Comme s'il avait besoin de rappeler qu'il est bel et bien conscient des obstacles qui se dressent sur le chemin de celui qui décide.

Il ne partage pas la décision d'Anne Hidalgo de créer une police municipale parisienne : « C'est un dossier complexe qui mérite un débat objectif. Je ne l'ai pas vu passer. Il me semble que la sécurité des Parisiens vaut mieux qu'une posture », lâche-t-il, avant de s'engouffrer au pas de charge dans le musée d'Art et d'Histoire du judaïsme, huitième étape de son interminable journée.

Pas assez méchant ?

360b8c8959fda544717e8901f131c540.jpgCédric Villani à Paris le vendredi 25 janvier 2019.

Il est bientôt 21 heures et le marathon politique mène Cédric Villani jusqu'aux portes encore closes du cabaret Au lapin agile. Pour patienter, il lance sur son téléphone « Les Cœurs purs » de Jean-Roger Caussimon et fredonne dans la nuit quelques vers de cet habitué du lieu. Longtemps rendez-vous des artistes et des voyous, l'ancien cabaret des assassins fréquenté par Apollinaire est aujourd'hui dirigé par Yves Matthieu, fringant gérant de 90 ans dont la mère chantait ici en 1938… Le quasi-candidat et l'artiste s'engagent dans un échange hors du temps sur la musique et les règles mathématiques qui régissent les gammes.

Mais il est déjà temps de repartir, faire une pause dans un restaurant du 9e arrondissement. La fatigue commence à se faire sentir, mais Villani, toujours d'humeur badine, ne fléchit pas. Même au Palais-Bourbon, personne ne l'a jamais entendu lâcher une vacherie sur qui que ce soit. Au fond, est-il assez méchant pour faire de la politique ? Peut-il survivre dans un environnement guidé par les logiques d'appareil et des rapports de force ? « Je ne suis pas naïf. On peut voir le monde avec empathie sans pour autant renoncer à la lucidité », balaye-t-il. Son équipe de campagne jure qu'on ne le coincera jamais en flagrant délit de duplicité : « Je suis le même dans la vie publique et dans ma vie personnelle », sourit-il, avant de s'en aller terminer sa nuit, jusqu'à 5 heures du matin, promet-il, avec son équipe de campagne dans un bar interlope de Pigalle.

Publié le 27/01/19 à 11h39 | Source lepoint.fr

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