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INTERNATIONAL - REPORTAGE 23 MAI 2019 | PAR MATHIEU MAGNAUDEIX par Mediapart

Aux Etats-Unis, Jamie, 17 ans, et Alexandria, 14 ans, font grève pour le climat

 

De nombreux jeunes Américains participeront ce vendredi 24 mai à la deuxième grande grève mondiale pour le climat. Politisés à toute vitesse sous Trump, ils exigent des solutions radicales, et inclusives, contre la catastrophe climatique. Rencontre avec deux activistes en première ligne, Jamie Margolin, 17 ans, et Alexandria Villesañor, 14 ans.

New York (États-Unis), de notre correspondant. –Jamie Margolin donne des rendez-vous minutés, ses mots claquent, précis et puissants : la parole assurée d'une activiste de dix-sept ans déjà chevronnée. La jeune femme n'a pas encore l'âge de voter, mais dans sa biographie sur le réseau social Twitter, elle dit qu'elle sera un jour présidente des États-Unis : une femme présidente, lesbienne, née d'une immigrée colombienne et d'un père ashkénaze. Décidée, avec d'autres, à sauver la planète de la catastrophe climatique.

Le jour où nous la rencontrons, un midi pluvieux dans une cafétéria de New York, Jamie vient de tenir un piquet devant l'immeuble des Nations unies pour alerter contre la déforestation en Amazonie, cible du gouvernement d'extrême droite au Brésil. Ce vendredi 24 mai, elle sera en première ligne de la deuxième grande grève mondiale contre le climat.

La première édition, le 15 mars, a mobilisé des centaines de milliers de jeunes dans 125 pays (Mediapart était ce jour-là en direct de la manifestation parisienne), qui ont séché les cours et défilé pour la planète. Celle-ci devrait être encore plus suivie.

 

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Jamie Margolin. © Zero Hour

 

Jamie Margolin, qui a grandi à Seattle, dans l'État de Washington sur la côte Pacifique, s'est fait connaître en juillet 2018, lorsqu'elle a organisé à partir de rien la « Youth Climate March », une grande manifestation de centaines de jeunes activistes à Washington DC, devant le Congrès. La première sous le mandat de Trump, ce président d'extrême droite qui nie la crise climatique (un « hoax », dit-il, « créé par les Chinois »), déjuge les expertises climatiques alarmistes de son administration, et a retiré la signature des États-Unis de l'accord de Paris sur le climat.

L'initiative est répliquée en même temps dans vingt-cinq villes du monde. Un mois plus tard, la jeune Suédoise Greta Thunberg commence sa grève solitaire devant le Parlement suédois, marquant le début d'un mouvement global de manifestations, de grèves et d'actions directes. Aux États-Unis, Margolin est devenue un des visages les plus connus de la mobilisation pour le climat, cheffe de file d'une génération de teen activists politisés à toute vitesse sous la présidence Trump.

Sa carrière d'activiste a débuté par un choc : « L'élection de 2016, une catastrophe. Je me suis dit, maintenant tu agis. » La crise climatique lui avait toujours inspiré « une peur géante, mais je ne savais pas quoi faire : on ne dit jamais aux jeunes comment ils peuvent agir ». Jamie avait aussi remarqué le travail de Jasilyn Charger et Tokata Iron Eyes, deux jeunes activistes indigènes à l'origine de la lutte, victorieuse, contre le Dakota Access Pipeline, un combat environnemental majeur de la fin des années Obama.

Le 21 janvier 2017, le lendemain de l'installation de Trump à la Maison Blanche, la Women's March réunit des centaines de milliers de femmes dans tout le pays. Jamie se dit qu'il faudrait faire la même mobilisation pour le climat. Une conjonction de catastrophes climatiques, « des désastres non naturels » comme elle dit, va la convaincre pour de bon.

En août 2017, le ciel du nord-ouest des États-Unis est assombri pendant deux semaines par plusieurs incendies au Canada. « Le ciel était gris, plus pollué qu'à Pékin. J'étais déprimée, j'avais du mal à respirer. Une amie asthmatique a dû aller aux urgences, les enfants, les personnes âgées, les malades chroniques ne pouvaient pas sortir. C'était effrayant. » Quelques jours plus tard, le cyclone tropical Harvey s'abat sur Houston (Texas). Puis c'est l'ouragan Maria qui dévaste l'île de Porto Rico. L'aide du gouvernement fédéral américain est indigente. Au moins 3 000 personnes décèdent.

 

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Jamie Margolin et Nadia Nazar, à l'origine de la marche américaine des jeunes pour le climat, en juillet 2018. © Zero Hour

 

« J'ai posté un message sur Instagram et appelé à une marche des jeunes pour le climat. Nadia Nazar, une fille de Baltimore, m'a dit “allons-y”. On a commencé à organiser tout ça, à poster davantage sur les raisons sociaux. Un an plus tard, on avait structuré la grande coalition et on a marché. »

Greta Thunberg, encore inconnue, l'avait contactée avant de lancer sa grève. « Depuis, elle a explosé. Ce qui se passe en Europe est très positif. Il faut mettre la pression partout où nous pouvons. » Thunberg, Margolin et tant d'autres se retrouvent désormais liés au sein d'un grand réseau mondial de jeunes activistes, décentralisé et relié par Instagram, Twitter et Facebook. Ils adoptent souvent les mêmes mots d'ordre, les mêmes mots-clés, le même calendrier d'action. Et une priorité : l'urgence d'agir.

Depuis, Jamie a attaqué, avec douze autres adolescents, l'État de Washington pour inaction climatique, une procédure répliquée dans de nombreux États américains, et relayée par une initiative nationale qui pourrait, un jour, aboutir devant la Cour suprême.

Elle a surtout lancé un mouvement, Zero Hour : parce que nous sommes, dit-elle, à « l'heure zéro » pour le climat. Le moment où il faut tout repenser. Son organisation réclame la fin pure et simple des industries fossiles, la taxation des industries polluantes, la relocalisation de l'agriculture et une décarbonisation en dix ans de l'économie, rejoignant les appels croissants à un « New Deal Vert » aux États-Unis, défendu par de plus en plus d'élus démocrates et d'organisations politiques.

C'est aussi un mouvement essentiellement mené par des jeunes femmes de couleur, qui place au cœur de son activisme les communautés les plus affectées par le changement climatique, souvent pauvres et souvent indigènes, noires ou hispaniques. « Notre mouvement est forcément à l'intersection des combats, dit Margolin. Aux racines de la crise climatique, il y a plusieurs systèmes d'oppressions combinées : le colonialisme, le capitalisme, le racisme, le patriarcat. De plus en plus de gens se radicalisent parce qu'ils savent qu'un simple pansement ne suffira pas. »

En juillet, Zero Hour organisera le premier « sommet climatique de la jeunesse » à Miami (Floride), mégapole de 5 millions d'habitants menacée à court terme par la montée des eaux. Les jeunes activistes organiseront des ateliers, mais aussi des blocages et des die-ins, autant d'actions directes et pacifiques faites pour être remarquées. Aux États-Unis comme en Europe, des organisations comme Extinction Rebellion ont replacé la désobéissance civile au cœur de leurs actions.

 

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Alexandria Villesañor (à gauche) manifeste chaque semaine devant le siège des Nations unies, à New York. © Compte Twitter d'Alexandria Villesañor (@AlexandriaV)

 

La jeune Alexandria Villaseñor fera le voyage de Miami. Visage angélique, grands yeux curieux, le jeune New-Yorkaise n'a que quatorze ans. Mais elle a des heures et des heures de piquet de grève pour le climat à son actif, et elle aussi participe activement à l'organisation de la grève mondiale du 24 mai.

L'année dernière, elle a été horrifiée par l'incendie géant qui a détruit en quelques heures la ville californienne de Paradise, à une heure de route de là où elle vivait alors. « Je suis asthmatique, j'ai dû anticiper notre déménagement familial prévu à New York et arriver ici avant mes parents », nous dit-elle. Inspirée par Greta Thunberg, elle a lancé sa grève pour le climat dans son école new-yorkaise en décembre. Très vite, son initiative a fait des émules partout dans le pays.

Depuis, Alexandria manifeste chaque vendredi, devant son école et l'immeuble de l'ONU, flanquée de deux pancartes. L'une appelle d'autres écoliers à l'imiter. L'autre dénonce l'inaction de la COP 24, le récent sommet annuel sur le climat, plombé par les tirs croisés des États-Unis, de la Russie et de l'Arabie saoudite, et qui a accouché d'un accord a minima. Cet hiver, le temps a été souvent capricieux. Elle est en train de refaire ses pancartes lessivées par la pluie. « Mais ça va, je ne suis pas trop triste », dit-elle, preuve d'enfance qui perce au milieu d'un discours assuré, celui d'une militante déjà rodée.

« Quand elle a annoncé sa grève, j'ai ri, s'amuse sa mère, Kristin Hogue, qui la suit partout et gère son compte Twitter. Je ne pensais pas qu'il y avait une telle activiste en elle. »

« Les dirigeants du monde échouent et nous trompent », nous dit la jeune fille, qui a lancé son organisation, Earth Uprising, et voit son histoire racontée dans les grands médias américains. Elle rencontre, telle une ministre, des experts et délégués de l'ONU, des scientifiques climatiques et des candidats démocrates à la présidentielle, et discute à longueur de journée avec ses nouveaux amis, des ados algériens ou australiens qui mobilisent dans leurs pays.

« Nos gouvernements ne font rien pour se mettre d'accord, reprend Alexandria. Ma génération sera la plus touchée par la crise climatique. C'est nous qui aurons les incendies et les ouragans les plus extrêmes. Cela ne servira même plus à rien d'aller à l'école puisque nous passerons notre temps à échapper aux catastrophes climatiques. Nous ne pouvons pas attendre d'avoir le pouvoir : à ce moment-là, il sera déjà trop tard. »

Jamie, Alexandria et les autres activistes américains citent fréquemment le dernier rapport des scientifiques du GIEC : il reste douze ans, disent les experts, d'ici à 2030, pour limiter drastiquement les émissions de CO2 et éviter la catastrophe.


Plus: Pas douze ans mais dix (deux ans de passés) , écouter Guy McPherson scientifique de l'université d'Arizona.

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