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À rebours de la France, l’Allemagne supprime les sanctions pour les chômeurs

Avec sa principale réforme sociale, le gouvernement du chancelier Olaf Scholz entend mieux considérer les demandeurs d’emplois, donner plus d’autonomie aux agences et revaloriser l’allocation de base.

 

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Libération, par Christophe Bourdoiseau, correspondant à Berlin

publié le 14 septembre 2022 à 20h37


Arrêter de stresser les chômeurs de longue durée avec un système absurde de sanctions, de contrôles et de convocations humiliantes… c’est l’idée de fond de la principale réforme sociale du gouvernement Scholz présentée mercredi en Conseil des ministres, évaluée à 4,8 milliards d’euros dans le budget fédéral. «Le revenu citoyen [«Bürgergeld»] est un signe fort de respect», vis-à-vis des bénéficiaires de l’aide sociale, a résumé le ministre social-démocrate (SPD) du Travail, Hubertus Heil.

 

Le gouvernement veut les considérer comme des gens responsables. «Ils doivent pouvoir parler sur un pied d’égalité avec les agents du Jobcenter [Pôle Emploi], a expliqué le ministre. On ne veut plus forcer les gens à prendre des petits boulots d’appoint. Il faut les former pour les intégrer durablement au marché du travail.»

«On veut également arrêter d’envoyer des courriers avec des textes juridiques complexes, avec des leçons de morale souvent interprétées comme des menaces», a ajouté Andreas Audretsch, vice-président du groupe parlementaire des écologistes, membres du gouvernement d’Olaf Scholz.

 

«Le droit à la paresse, ça n’existe pas !»

 

Cette réforme, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier après un vote au Parlement, est d’abord interprétée comme un signal fort en direction de l’électorat de gauche. Il s’agit de tourner la page de l’ère sociale-libérale de Gerhard Schröder. L’ancien chancelier, tombé par ailleurs en disgrâce en raison de son amitié avec Vladimir Poutine, claironnait dans les années 2000 qu’il était préférable d’accepter n’importe quel job plutôt que de ne pas travailler. «Le droit à la paresse, ça n’existe pas !» disait-il à l’époque où il était surnommé le «camarade des patrons». «Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus», avait ajouté l’un de ses plus proches lieutenants, Franz Müntefering, en citant un verset du Nouveau Testament.

 

Les réformes dites «Hartz» (du nom de son rédacteur, Peter Hartz, l’ancien directeur du personnel de Volkswagen) avait fini par scinder la gauche. Une partie des sociaux-démocrates avait décidé de rejoindre les rangs des postcommunistes d’Allemagne de l’Est (aujourd’hui Die Linke). Au sein même du SPD, l’aile la plus sociale avait également dénoncé ces sanctions jugées humiliantes.

 

Censées stimuler les demandeurs d’emploi pour retrouver du travail, les lois «Hartz» plongeaient en réalité les chômeurs de longue durée dans une période d’anxiété et d’incertitudes. «Ils n’arrêtaient pas de me téléphoner pour savoir si j’étais à la maison, confirme Didier (1), un Français qui travaille dans la gastronomie à Berlin. Je recevais des convocations pour savoir si je cherchais du travail. Je suivais des formations qui ne servaient à rien, juste pour le principe. J’ai fini par renoncer en acceptant la sanction d’une réduction des prestations [30 %] pour qu’ils me laissent tranquille.»

 

Plus forte augmentation jamais réalisée depuis trente ans

Le Jobcenter va donc cesser désormais de stresser les bénéficiaires des allocations sociales (versées un an après la période d’indemnités légales de l’assurance chômage). S’ils manquent un rendez-vous ou qu’ils refusent une offre d’emploi, aucune sanction n’est prévue, au moins pendant les six premiers mois.

«Le système ne change pas vraiment, mais il devient moins coercitif. Il y a moins de défiance et plus de confiance», résume Andreas Peichl, expert à l’Institut de conjoncture de Munich (Ifo). Cette loi donne plus d’autonomie aux agences qui ne forceront plus les demandeurs à accepter n’importe quel job. Elles devront au contraire trouver une formation pour leur offrir une perspective durable. Une prime de 150 euros sera versée à ceux qui acceptent de suivre une formation.

 

Enfin, le ministre a annoncé la plus forte augmentation jamais réalisée depuis trente ans. L’allocation de base passe à 502 euros pour un célibataire, soit une hausse de plus de 50 euros par mois (le loyer et le chauffage sont pris en charge) qui correspond à la hausse du coût de la vie. Elle sera réactualisée chaque année en fonction de l’inflation. Les retenues sur les revenus complémentaires seront moins importantes, selon des modalités qui restent à préciser.

 

«Un système qui ne mène pas au travail»

 

Si l’on croit le patronat, nombre d’Allemands resteront au lit l’année prochaine. «On construit là un système qui ne mène pas au travail mais dans les locaux de l’assistance sociale», a pesté le patron des patrons, Rainer Dulger, président de la Fédération du patronat (BDA). «Avec ce revenu citoyen, le non-travail devient encore plus attractif», a ajouté Stephan Stracke, porte-parole du groupe parlementaire conservateur (CDU-CSU) pour les questions sociales.

 

«Les critiques sont injustes, car elles stigmatisent une population déjà très fragile, déplore Jürgen Schupp, expert du travail à l’Institut de recherche économique de Berlin (DIW). Nos études montrent que les chômeurs de longue durée ne restent pas dans leur lit à ne rien faire. Plus de 40 % ont un sentiment de honte de toucher ces allocations et plus de 50 % d’entre eux ont de véritables problèmes de santé qui les empêchent de travailler.»

 

(1) Le prénom a été changé.