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Européennes : Viktor Orbán dessine une autre Europe

Le leader hongrois veut orienter les chrétiens-démocrates vers les nationalistes anti-immigration pour bâtir une Europe chrétienne. Sans briser l'Union ? PAR EMMANUEL BERRETTA

« L'objectif de la Hongrie est que les forces hostiles à la migration obtiennent la majorité dans toutes les instances institutionnelles de l'Union européenne », lance Viktor Orbán, lors de sa conférence de presse de début d'année, le 10 janvier, à Budapest. Le Premier ministre hongrois, qui a désigné la France de Macron comme l'adversaire à abattre, se donne un second objectif : que son propre parti, le Fidesz, réalise le meilleur score aux élections européennes au sein des partis adhérents au PPE (chrétien-démocrate). Pour mémoire, en 2009, la liste Fidesz avait obtenu 56,36 % des voix, et 51,48 % en 2014 (soit 12 sièges).

Selon lui, la question migratoire structurera profondément la campagne et obligera les partis européens à se reconfigurer sur ce critère. Ce message s'adresse bien entendu à sa propre famille politique, le PPE, qui, lors d'un vote à Strasbourg, l'a mis en difficulté en enclenchant la procédure de sanction à l'égard de la Hongrie. Aussi Viktor Orbán entend-il démontrer, à l'occasion des européennes de mai, que sa politique anti-migratoire est portée par une majorité d'Européens, y compris au sein de la droite classique, qui ne devrait pas, dans ce cas, négliger de faire alliance avec les nationalistes anti-migrants.

Orbán salue « l'axe Rome-Varsovie »

Il a d'ailleurs redit qu'il considérait Matteo Salvini comme son « héros » et qu'il voyait d'un très bon œil la tentative de rapprochement entre la Ligue italienne et les ultraconservateurs polonais du PiS dirigé par Jaroslaw Kaczynski. « L'axe Rome-Varsovie est l'un des événements majeurs de ce début d'année, estime l'homme fort de Budapest. J'y attache donc beaucoup d'espoirs. » Cependant, il ne va pas au bout de sa logique qui consisterait, au fond, à quitter le PPE pour rejoindre l'axe Salvini-Le Pen-Kaczynski si celui-ci aboutit à une recomposition des groupes politiques du Parlement de Strasbourg. Ce n'est pas encore fait. À l'heure actuelle, la Ligue et le RN siègent au sein du groupe ENF (et défendent des thèses pro-Poutine), tandis que le PiS est l'un des piliers du groupe ECR (pro-américain). Les pourparlers engagés visent à ne former qu'un seul groupe pour peser, éventuellement, une centaine de députés au sein de l'hémicycle strasbourgeois en fonction des résultats des prochaines élections.

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Pourquoi Orbán ne se joint-il pas à cette démarche dès à présent  ? « Son appartenance au PPE, principal parti du Parlement, le protège tout de même encore un peu des foudres bruxelloises », souffle-t-on au Rassemblement national. Interrogé, Orbán livre sa version : « J'en ai ma claque que, chaque fois que le PPE cherche des alliances, il se tourne exclusivement vers des formations pro-migration, tantôt les libéraux, tantôt les socialistes. Je souhaite à l'Europe qu'il y ait, à la droite du PPE, un axe – ou une force politique, appelons-le comme nous voulons – Rome-Varsovie, animé par des formations gouvernementales responsables et anti-migration, qui soit disposé à collaborer avec les forces anti-migration du PPE. C'est pourquoi je me réjouis vivement de ce qui vient d'arriver. »

« Les libéraux sont les ennemis de la liberté »

C'est très clair : Orbán professe l'alliance de la droite et de l'extrême droite à Strasbourg. Laurent Wauquiez, qui la refuse en France, pourra-t-il suivre Orbán dans cette direction à Strasbourg  ? Voilà une question qui ne manquera pas de lui être posée au cours de la campagne. Pour Manfred Weber, le « spitzenkandidat » (tête de liste) du PPE, il n'en est pas question, même si certains lui ont prêté l'intention de courtiser les ultraconservateurs du PiS qui, lors de la prochaine mandature, se trouveront esseulés du fait du départ des conservateurs britanniques, leurs partenaires au sein du groupe ECR.

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Cette conférence de presse du leader hongrois est très intéressante, car elle pose assez clairement les enjeux d'après les élections. Orbán défend, sans se cacher derrière son petit doigt, une Europe très différente de celle d'aujourd'hui. « La pensée libérale en Europe en est arrivée aujourd'hui au point où elle est devenue l'ennemie numéro un de la liberté, affirme-t-il. Les libéraux sont aujourd'hui les ennemis de la liberté en Europe. » Il réagissait à un propos du leader libéral Guy Verhofstadt, possible allié de Macron au sein du groupe Alde, lequel considère Viktor Orbán comme « ni démocrate ni chrétien ». « Les libéraux, rétorque Orbán, ne se contentent plus de vouloir dire ce qu'ils sont, mais aussi ce que sont ou ne sont pas les chrétiens-démocrates. » Même au sein du PPE, Donald Tusk, l'actuel président du Conseil, a donné une définition des chrétiens-démocrates avec laquelle Viktor Orbán cadre assez peu.

« L'Europe du vivre-ensemble contre l'Europe chrétienne »

Par-delà les flèches que les responsables s'adressent, il faut écouter le message d'Orbán sur le fond quand il définit ce qu'est l'Europe de ses vœux. Pendant longtemps, dit-il, l'Europe a été une « civilisation homogène » ; cet état est révolu. Deux « civilisations » se profilent dorénavant, l'une à l'Ouest, l'autre en Europe centrale. « Il y aura une civilisation mixte, qui bâtit son avenir sur le vivre-ensemble entre l'islam et le christianisme, et il y aura nous, ici, en Europe centrale, qui continuons à voir l'Europe comme la civilisation chrétienne, ce que nous exprimons par la formule L'Europe doit rester européenne. » Il ajoute, plus loin : « Dans ces pays (ceux de l'Ouest), il est déjà acquis qu'ils connaîtront une civilisation mixte. Une nouvelle qualité naîtra, sur la base du mélange entre une civilisation islamique de masse et une civilisation chrétienne de masse. Je ne veux pas dire que cette configuration est vouée à l'échec, parce que je ne m'en sens pas le droit. Il est également possible que ce sont ceux qui affirment qu'une nouvelle qualité naîtra de ce mélange, source d'un mode de vie d'un ordre supérieur au mode de vie traditionnel des sociétés chrétiennes, qui auront raison. Ce débat ne peut pas être tranché aujourd'hui et je ne nie pas qu'il peut en être ainsi à l'avenir. »

Mais alors, si deux blocs se constituent qui, selon ses mots, « vivent sur des planètes différentes », pourquoi continuer à adhérer à une seule Union européenne  ? Viktor Orbán ne répond pas à cette question. Il se contente de dire : « La grande question, la plus grande question de l'avenir de l'Europe, est de savoir comment nous pouvons rester unis si nous nous choisissons des avenirs tellement différents. »

Orbán tenu par les fonds européens

Il ne peut guère aller plus loin, car la Hongrie dépend de la générosité des fonds structurels. Ce sont bien les pays de l'Ouest européen et du Nord qui sont les contributeurs nets de l'UE. La Hongrie a ainsi reçu 21,9 milliards d'euros au total au titre de la politique de cohésion pour la période 2014-2020. Elle bénéficie également d'une dotation de 3,45 milliards d'euros destinée au développement rural et d'une enveloppe de 39 millions d'euros pour le secteur maritime et la pêche. Le FSE a également versé 4,7 milliards d'euros visant à résoudre l'impact social de la crise économique en soutenant la création emplois.

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Au cours de cette même conférence de presse, Orbán annonce qu'il ne souhaite plus vraiment adhérer à l'euro, contrairement aux engagements pris par son pays. Il avance que l'avenir de l'euro ne lui apparaît « pas clair » et justifie son dédit par le fait que la zone euro à laquelle la Hongie devait adhérer « n'est pas celle d'aujourd'hui ». Voilà qui ne devrait pas vraiment faire plaisir à Angela Merkel, l'un des rares leaders à encore se bercer d'illusions sur l'adhésion de la Pologne et de la Hongrie à la zone euro. C'est d'ailleurs mue par cet espoir que la chancelière a imposé que le « budget de la zone euro », négocié avec Emmanuel Macron, soit compris dans celui de l'Union européenne, alors que la France voulait en faire un instrument indépendant et réservé aux seuls pays de la zone euro. En résumé, le leader hongrois dessine une « Europe chrétienne » (sans avoir les faveurs du pape) mais ne va pas jusqu'à professer une scission et revient sur ses engagements... Plus qu'une crise, plus qu'une rupture entre deux blocs, les élections européennes, du fait d'un scrutin proportionnel qui émiette le Parlement européen, ne permettront peut-être pas de tracer un avenir lisible aux Européens. Et, bien plus que le fracas des postures, c'est peut-être la pire des choses.

Publié le 25/01/19 à 14h13 | Source lepoint.fr