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Michel Richard - Gouverner, c'est toujours décevoir

CHRONIQUE. Les mesures que prendra le gouvernement à l'issue du grand débat feront forcément des déçus, tant il a servi de vaste défouloir national. PAR MICHEL RICHARD

À l'heure où s'achève le grand débat national et dans l'attente des mesures qu'il inspirera, Édouard Philippe répète à qui veut l'entendre sa grande crainte qu'existe un « risque déceptif ». Ce faisant, il fait preuve paradoxalement d'un rafraîchissant optimisme. Le risque qu'évoque le Premier ministre implique que la déception ne soit qu'une possibilité, une simple option, au même titre que la satisfaction, le contentement, l'approbation en seraient une autre. Or, bien entendu, il n'en est rien : au rendez-vous du grand débat, il n'y aura, il ne peut y avoir que de la déception.

Non pas que telle ou telle mesure prise soit forcément inapte à satisfaire telle ou telle catégorie de la population. Non pas que les suites données au grand débat soient forcément vouées aux gémonies. Mais de là à en attendre une satisfaction générale ! Quand on voit, déjà, que les Gilets jaunes ont tenu pour négligeables les dix à douze milliards d'euros mis sur la table et promptement distribués à leurs bénéficiaires, quand on voit comment ils ont d'emblée considéré que le grand débat n'était que poudre aux yeux et manœuvre de diversion, on peut douter qu'ils se satisfassent de réformes jugées forcément trop timides ou de fonds forcément insuffisants, pour peu même qu'ils leur conviennent.

Vaste défouloir

On peut aussi se douter que les centaines de milliers de Français qui ont accouché d'une multitude de contributions ou de propositions seront déçus ou frustrés du résultat final. Comment en serait-il autrement tant ce vaste défouloir national a dit tout et son contraire, jusqu'à l'impossible.

Il y aura des gagnants, il y aura des perdants, il y aura des oubliés. Les commentaires sont faciles à imaginer : on n'a pas assez fait payer les riches ; trop tapé sur les classes moyennes ; pas assez soigné le monde rural ; trop mégoté sur les revenus sociaux ; pas assez éliminé de parlementaires ; trop supprimé de députés ; trop écrasé d'impôts et taxes ; pas assez restauré de services publics de proximité… Ce ne seront que « trop » ici, « pas assez » là, il sera question de montagne accouchant d'une souris, de tout ça pour ça, de beaucoup de bruit pour rien…

« Est bien fou du cerveau qui prétend contenter tout le monde et son père », énonçait fort justement La Fontaine (Le meunier, son fils et l'âne). N'étant pas fou que l'on sache, Édouard Philippe se sait bien incapable de contenter les Gilets jaunes, ceux qui ne le sont pas, et tous les autres ! La déception n'est pas une option.

Pas d'illusions

Échec assuré, alors ? Rien ne le dit pourtant. Les Gilets jaunes, encore moins les plus radicalisés d'entre eux, ne sont pas à eux seuls le peuple, il s'en faut ! Si quelques mesures fortes, par exemple en faveur des familles monoparentales, des périphéries ou des campagnes, apparaissent marquer un infléchissement bienvenu à l'action du pouvoir, si la justice sociale, territoriale et fiscale trouve son compte dans l'affaire, si l'exercice démocratique en sort régénéré, il n'est pas interdit d'espérer un accueil circonspect, ce qui ne serait déjà pas si mal.

Ajoutons qu'aucun Français ne se fait d'illusions et que chacun s'attend à être déçu : seuls 36 % des personnes interrogées par Harris Interactive font confiance au gouvernement pour répondre à leurs attentes. Paradoxalement, ce peut être de bon augure : on peut toujours être moins déçu qu'on s'attendait à l'être ! Et cette moindre déception peut faire figure de (relative) bonne surprise, qui sait ?

Où l'on voit que la gestion de la déception est un vrai boulot. Gouverner, c'est toujours décevoir. Mais il ne faut pas décevoir n'importe comment. Décevoir judicieusement est recommandé, s'il vous plaît, merci.

Publié le 17/03/19 à 08h00 | Source lepoint.fr