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Bouillaud's Weblog – bloc-notes d'un politiste

Communiquer en macroniste.

 

 

Et voilà, cela se confirme, en ce début d’été 2018, la (dé)cote de popularité, telle que mesurée par les sondages, d’Emmanuel Macron rejoint les bas scores des deux Présidents de la République à la même époque de leur mandat respectif.

La raison de fond est, comme pour les deux mandats présidentiels précédents, l’écart entre un mode d’élection qui oblige à jouer le « roi thaumaturge » pour se faire élire et une réalité de la mise en œuvre des politiques publiques et de leurs effets concrets sur l’économie et la société  françaises qui n’ont pas la même évidence et la même célérité. La raison subsidiaire est que, sous prétexte de « Révolution » et de dépassement du vieux clivage gauche/droite, Emmanuel Macron, appuyé par une part de la très haute fonction publique, joue à plein le même grand jeu du néo-libéralisme qui a tant nui dans l’opinion publique à ses prédécesseurs, alors même qu’une majorité d’électeurs ne demandait sans doute pas en 2017 du « Thatchérisme » à la française. E. Macron et les « premiers de cordée » qui l’inspirent voudraient pousser notre pays vers un triomphe de la « lèpre populiste » de ce côté-ci des Alpes, qu’ils ne s’y prendraient pas autrement. Ils continuent à mettre en œuvre exactement les politiques publiques que les analystes, attentifs au désarroi de nombreuses personnes face au changement – voient à la source de la poussée populiste – en particulier l’immense dédain qui les inspire à l’égard des classes populaires et moyennes, de « ceux qui ne sont rien ». Le sort de Matteo Renzi, mutatis mutandisl’équivalent transalpin de notre disciple de P. Ricoeur, devrait pourtant faire réfléchir à l’Élysée.

Plus accessoirement, il y a enfin la communication à la mode macroniste. Il y a ce « pognon de dingue » lancé à propos des aides sociales qui confirme à qui veut le croire qu’E. Macron est bel et bien le « Président des très riches », comme dirait dans son aigreur, F. Hollande. Il y a cette tendance à tout euphémiser qui a été bien notée par les collègues spécialistes du sujet. Mais il y aussi, me semble-t-il, une tendance systématique à mentir sur les faits eux-mêmes lorsque cela arrange le récit proposé. L’épisode le plus récent d’un tel mensonge sur les faits (une fake news?) a pu être entendu dans la bouche de tous les ministres interrogés à ce sujet au moment de l’affaire de l’Aquarius. Interrogés sur la raison pour laquelle ce navire affrété par une ONG SOS Méditerranée, chargé de plus de 600 migrants sauvés en mer et refusé dans les ports italiens (et maltais), devait aller jusqu’à Valence en Espagne, les ministres ont menti dans un chœur parfait sur la géographie : rejoindre ce port espagnol était plus rapide qu’atteindre un port français. Un exercice fait avec des élèves de 4ème par un professeur de géographie  montre que l’Aquarius serait en réalité passé par les bouches de Bonifacio, entre la Corse et la Sardaigne – cet  exercice dont il faut saluer l’intelligence montre d’ailleurs à quel point le mensonge deviendra de plus en plus difficile à l’avenir  avec des jeunes ainsi formés. Il est vrai qu’E. Macron ne pouvait décemment pas donner aux autorités corses, autonomistes ou indépendantistes, l’honneur de sauver notre honneur.

Il me semble que c’est là une méthode systématique de la communication macroniste : parier toujours sur l’ignorance du grand public par rapport aux connaissances des personnes directement concernées par la politique publique. Par exemple, sur l’introduction de la sélection à l’Université par la Loi ORE et Parcoursup, le mantra répété aura été de prétendre qu’avant (avec APB), l’entrée dans le supérieur se faisait sur tirage au sort, alors qu’il ne s’agissait en fait que du cas que de quelques rares filières dites « en tension »(dont, en particulier, STAPS). Bien sûr, l’ensemble du monde universitaire (y compris les partisans de la loi ORE) repère le mensonge, mais le grand public non. Il est vrai que les médias actuels  rendent possible  aux responsables  politiques de proférer impunément des mensonges pourvu d’en avoir l’aplomb – ce qui en dit long sur leur personnalité. En effet, d’une part, la dé-spécialisation (forcée) de la plupart des (jeunes et moins jeunes) journalistes fait que ces derniers sont souvent comme le grand public et qu’ils ne disposent pas d’autres données de base que celles diffusées sur le moment par les autorités qu’ils interrogent, et, d’autre part, lorsqu’ils savent, les journalistes se contentent le plus souvent de signifier leur désaccord par des signes, verbaux ou non-verbaux, dont le sens peut échapper au public. Ils ne disent jamais clairement : « Monsieur ou Madame le ou la Ministre, comment osez-vous mentir ainsi à tant de gens? ». Leur neutralité les oblige à laisser à un opposant officiel du menteur la tâche de dénoncer le mensonge, et, du coup, cette dénonciation devient une simple opinion. C’est le  principe bien connu des critiques des médias contemporains, « Une minute pour Hitler, une minute pour les Juifs ».

Évidemment, savoir lire un atlas reste à la portée de tout le monde, et, à l’époque d’internet, il y a des mensonges plus gros que d’autres. De même, l’euphémisation trouve quelque limite quand on dit plus ou moins, toujours à propos des migrants, « non, les centres contrôlés, ce ne sont pas des centres fermés, mais des centres dans lesquels les migrants devront rester ». (Il existe aussi une version allemande de la même parfaite contradiction… )

Bref, chers macronistes, que vous ayez décidé de mentir à propos de tout et n’importe quoi pour vous sortir d’affaire en pariant sur l’ignorance du public, commence à se voir un peu trop tout de même. Les Français sont des veaux, c’est bien connu, mais il ne faut pas exagérer tout de même dans l’usage des maximes de comptoir. Il faudrait arrêter de donner l’impression à des gens comme moi que vous avez été tous stagiaires en propagande pour les nuls à Bucarest ou Moscou en 1970.

Par ailleurs, comme vous reprenez tous en chœur ces mensonges, demi-vérités, omissions, euphémisations, etc. vous apparaissez de plus en plus comme des employés du mois. Qu’un aussi gros mensonge sur la géographie la plus élémentaire ait pu être reprise par des gens éduqués comme vous traduit votre totale domination dans les mécanismes de pouvoir de ce quinquennat. Cela s’explique aisément par le fait que la plupart d’entre vous, Députés et Ministres y compris, n’ont aucun capital politique à faire valoir ni à protéger. Vous êtes arrivé là où vous êtes par la seule grâce du Prince, vous lui devez tout, et vous n’avez pas besoin de préparer votre avenir politique en visant un poste électif à l’avenir, vous pouvez donc mentir même sur la géographie la plus élémentaire. On pourra vous le ressortir plus tard, mais, plus tard, vous ne serez plus dans l’espace public – ou alors dans quelque émission de divertissements, avide de personnalités à la moralité chancelante, prêtes à se repentir ou à assumer au choix . En gros, vous n’avez rien à faire de ce que nous, politistes à l’ancienne mode démocratique, appelons l’accountability. Je le comprends fort bien, c’est pour le plus grand Bien de la France (et de l’Europe) que vous œuvrez, mais à la fin, il y a encore en démocratie des élections pour tirer le bilan. (Pas le bilan comptable!)