Rêve de fiction
Elle avait toujours aspiré à entrer dans un livre. Littéralement. Faire partie de l’histoire, parler aux protagonistes. Quel bonheur, pensait-elle, de marcher le long de la Tamise au XIXème siècle, courir dans les champs enneigés de la propriété de Lévine. Elle voulait pouvoir faire le tour du monde sans jamais prendre l’avion. Traverser les époques et se noyer dans leurs coutumes pour de vrai. Comprendre cette aristocratie russe ou anglaise où les femmes, invariablement, naissent, se marient, ont des enfants et meurent. Parcourir l’Angleterre dans la poche du Bon Gros Géant ou sillonner l’espace dans un vaisseau intergalactique.
Ça lui plaisait de relire les œuvres. Elle s’imaginait retenir le dernier geste d’Anna Karénine et prévenir Eléa que ce n’est pas Coban dans le lit voisin. Elle souriait à la pensée de sauter à l’intérieur d’un roman policier qu’elle aurait déjà lu, arriver au milieu des enquêteurs, s’amuser de leur effroi et leur demander, le regard malicieux : « Etes-vous certains de l’heure de la mort ? ».
Son rêve, c’était d’être personnage de roman. Elle avait appris l’anglais, le russe, l’allemand et l’espagnol pour pouvoir écumer les œuvres originales et avait étudié les coutumes des deux derniers siècles de nombreux pays. Sa mère lui avait dit « Deviens comédienne, c’est plus facile. » Pas question. Elle voulait avoir l’occasion de discuter avec Oscar Wilde et Arthur Conan Doyle themselves dans Le nid de vipères. Rencontrer des fées, des vampires, des farfadets et bien d’autres créatures légendaires. « Obsessions étranges. » avait déclaré le médecin. Rien à foutre. Elle avait obtenu un master de Littérature, spécialité romans et fictions et réalisé de nombreux stages dans l’édition. Elle était prête.
Elle leva la tête et me regarda avec un sourire. Je le lui rendis et lui adressai un clin d’œil depuis le haut de la feuille. Elle avait réussi.