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Emmanuel Macron; les français ne te comprennnent pas.

La difficulté désormais croissante, c'est de faire adhérer en profondeur les Français aux réformes qui restent nécessaires; mais elles doivent être justes, acceptées comme telles et conduire à ce que nous allions tous mieux..

Jérôme Jaffré : «La relation entre Macron et les Français s'est altérée»

 

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7-8 minutes

INTERVIEW - Pour le politologue, directeur du Cecop, le parti majoritaire ne s'est jamais réellement bien porté.

LE FIGARO. - L'été n'a pas vraiment souri à Emmanuel Macron, pris entre différentes polémiques et notamment l'affaire Benalla, du nom de cet ancien membre du cabinet présidentiel mis en cause dans des violences à des manifestants le 1er mai 2018. Ces différents événements ont-ils affecté durablement la situation politique?

JÉRÔME JAFFRÉ. - On peut penser que cet été marque un tournant dans le quinquennat d'Emmanuel Macron. Cette séquence aboutit, me semble-t-il, à un changement de la situation politique sur quatre éléments: l'affaiblissement de La République en marche est désormais visible et pèse sur les échéances électorales à venir. Il y a également l'altération de la relation entre Emmanuel Macron et les Français qui était déjà amorcée depuis quelque temps. J'avais utilisé dans vos colonnes, en juillet, avant même le hourvari de l'été la formule: «Face au président, le pays se cabre.» Autre changement, les oppositions, toujours très faibles prises isolément, se coagulent contre le pouvoir en place. C'est un fait nouveau car, jusqu'à présent, elles ne convergeaient pas. Dernier élément qui nuance ce tableau: la capacité à mener des réformes reste, je crois, grande.

S'agissant d'En marche!, le parti qui se revendique davantage comme un mouvement n'a jamais été très puissant.

Depuis les législatives de juin 2017, le parti majoritaire ne s'est en effet jamais véritablement bien porté, mais, ce qui nouveau, c'est que depuis cet été tous les acteurs politiques en ont pris conscience. Cette faiblesse est devenue visible. L'affaire Benalla a joué un effet de révélateur en montrant l'isolement d'Emmanuel Macron et l'absence de soutiens forts dans la polémique de la part de ses proches, qui se sont défaussés, absentés ou au mieux se sont exprimés tardivement. Au surplus, on a vu régner de l'affolement parmi les députés d'En marche! à l'Assemblée nationale, en particulier sur la commission d'enquête.

Cet affaiblissement peut-il avoir des conséquences politiques pour la majorité?

Les conséquences politiques vont être importantes. La grande opération en vue des municipales est devenue beaucoup plus compliquée car il s'agit, au fond, de gagner des villes par absorption de maires qui accepteraient de se présenter comme des candidats En marche! alors même qu'ils avaient déjà été élus en 2014 sous une autre étiquette. Mais avec un mouvement politique beaucoup plus faible qu'avant, l'intérêt à le rejoindre se réduit d'autant. Les éventuels maires intéressés vont être bien plus prudents.

Les européennes risquent-elles également d'être plus compliquées?

Le scrutin européen risque lui aussi d'être une élection plus difficile pour En marche!. Dans ce scrutin à un seul tour, l'objectif est d'arriver en tête avec un score qui montre une audience forte. En marche! a deux références: 32 % aux législatives qui ont suivi la présidentielle et 24 % pour Macron au premier tour de la présidentielle. La première référence était déjà hors d'atteinte et on ne peut plus écarter l'hypothèse d'un score plus faible qu'à la présidentielle. L'affaiblissement d'En marche! encourage l'émiettement des forces en présence et un vote de dispersion favorable aux petits courants. Cet été, la classe politique a pris conscience de la faiblesse d'En marche!. Le 25 mai prochain au soir [date du scrutin], ce pourrait être les Français eux-mêmes, surtout avec un score autour de 20 %.

La relation de Macron avec les Français est altérée, dites-vous.

Ce qui est atteint dans cette relation, ce sont deux points forts de l'image d'Emmanuel Macron: la figure du chef et tout ce qu'il avait entrepris pour restaurer la fonction présidentielle dans sa conception traditionnelle. L'affaire Benalla a révélé de sa part un manque de discernement (à qui fait-il confiance?) puis de compréhension de l'événement. Le président s'est efforcé de réagir dans son intervention à la Maison de l'Amérique latine, en déclarant: «Le seul responsable, c'est moi.» Le chef peut être trahi, mais il assume. Restent à cette occasion d'étranges propos, comme la précision inutile et dérangeante sur ses relations personnelles avec Alexandre Benalla ou le défi adressé aux députés de l'opposition: «Qu'ils viennent me chercher», erreur politique et constitutionnelle. C'est une atteinte à l'incarnation présidentielle, qui était jusque-là son meilleur terrain.

Les oppositions aussi bien de droite que de gauche ont retrouvé un dynamisme qui leur faisait défaut…

Prises séparément, les oppositions paraissent toujours aussi faibles mais le fait nouveau, c'est qu'elles se coagulent pour lutter ensemble, contre le pouvoir. On a assisté à des scènes étonnantes à l'Assemblée où des députés de La France insoumise et des Républicains apparaissaient comme des larrons en foire. Des oppositions ainsi coagulées vont devenir beaucoup plus fortes dans les débats parlementaires comme sur les plateaux télé. Quand LR et LFI jouent de la sorte, le RN est trop content de suivre tandis que le PS est lui obligé de le faire. À terme, cettecoagulation est un obstacle de taille pour les macronistes car, dans les élections à deux tours, elle annonce que pourrait bien être mise en place au second tour une sorte de front commun avec l'objectif de battre le candidat d'En marche!, en mêlant contre lui les voix venues de tous les autres horizons.

Les Républicains ont-ils repris du poil de la bête?

L'objectif d'En marche! est de n'avoir comme adversaires principaux que les extrêmes. Mais c'est moins évident car la bataille pour le leadership de l'opposition se trouve relancée, Les Républicains étant désormais dans la partie. Jusqu'à présent, l'opposition se structurait autour de LFI et du Rassemblement national. Suite à leur bataille de l'été au Parlement, Les Républicains, toujours bien faibles, sont désormais mieux identifiés sur l'échelle pro-Macron/anti-Macron. Ce qui n'est toujours pas le cas du PS, d'où sans doute la présence renforcée de François Hollande, qui constate l'évanescence de sa famille politique.

La capacité à réformer est-elle intacte?

Avec sa majorité absolue à l'Assemblée et le fait que beaucoup de Français considèrent qu'il faut faire des réformes, la capacité de réformer reste réelle. C'est d'ailleurs une nécessité pour le président, qui n'est plus porté par une image personnelle suffisamment forte ni par un parti puissant. Ce n'est donc que par le mouvement et l'action qu'il peut espérer parvenir à se rétablir. La difficulté désormais croissante, c'est de faire adhérer en profondeur les Français à ces réformes.