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Pourquoi le pouvoir d'achat des Français n'augmentera pas

 

CHRONIQUE. L'une des revendications principales des Gilets jaunes est la hausse du pouvoir d'achat. Or le gouvernement a très peu de marges de manœuvre. PAR PATRICK ARTUS sur le Point

Il est aujourd'hui apparu en France une forte demande de l'opinion pour qu'il y ait une hausse significative du pouvoir d'achat, soit sous la forme de hausse de salaires, soit sous la forme de baisse des impôts. Certainement, le gouvernement aimerait pouvoir apporter cette hausse du pouvoir d'achat, pour réduire la tension sociale. Mais il faut réaliser que, à court terme, on ne peut rien faire de raisonnable en France pour accroître le revenu des ménages.

Il faut d'abord se rappeler que les salaires réels augmentent en France plus vite que la productivité, avec un écart de 5 % depuis 2007. Il n'y a donc pas d'anomalie en France dans le partage des revenus. Plus précisément, les travaux de recherche récents confirment la forte sensibilité de l'emploi peu qualifié au coût du travail peu qualifié : accroître le salaire minimum (ce qui est souvent réclamé) alors qu'il est le plus élevé par rapport au salaire médian de tous les pays de l'OCDE (62 %) aurait donc un coût très important en emplois.

Absence de marge de manœuvre

Si on regarde maintenant le coût salarial dans les secteurs exposés à la concurrence étrangère, on voit que la France a un problème de compétitivité-coût. Certes, le coût salarial unitaire (le salaire corrigé de la productivité) de l'industrie est aujourd'hui 6 % plus bas en France qu'en Allemagne, mais il est dans l'Hexagone 4 % plus élevé qu'en Italie et surtout 15 % plus élevé qu'en Espagne. Il en résulte des pertes de parts de marché importantes en France (en moyenne, depuis vingt ans, les exportations augmentent de 1 point par an de moins que le commerce mondial) et la poursuite de la désindustrialisation (la capacité de production de l'industrie est aujourd'hui 8 % plus basse qu'en 2007 en France). La conclusion logique est qu'il n'y a pas de marge de manœuvre aujourd'hui pour accroître les bas salaires ou les salaires plus élevés, comme ceux de l'industrie en France.

Pour contourner cette difficulté, on peut, comme l'a déjà fait Emmanuel Macron, utiliser les déficits publics (le déficit public de la France sera de 3,2 % du PIB probablement en 2019, contre 2,5 % en 2018) pour accroître les transferts aux ménages à bas revenus (hausse de la prime d'activité) et baisser les impôts des ménages (taxe d'habitation, taxation des heures supplémentaires, cotisations sociales). La limite est alors le déficit public et la dette publique acceptables. Le problème est que la croissance potentielle de la France est devenue très faible, autour de 0,9 % par an en volume et donc environ 2 % en valeur. Ceci implique que le taux d'endettement public de la France augmente dès que le déficit public dépasse 2 % du PIB : il n'y a pas non plus de marge de manœuvre budgétaire.

Le problème de l'immobilier

Il reste enfin la question importante des prix de l'immobilier. De 2002 à aujourd'hui, les prix de l'immobilier résidentiel ont augmenté en France de 40 % de plus que le salaire par tête. Ceci constitue un prélèvement considérable sur le revenu des Français qui doivent acheter ou louer un logement, et contribue fortement à la perception de recul du pouvoir d'achat. Mais que faire ? Pour faire baisser progressivement les prix de l'immobilier, la seule solution est de construire davantage, et, en 2019, la construction résidentielle au contraire recule.

On voit bien au total que, à court terme, on ne peut pas en France augmenter les salaires, qu'il s'agisse des salaires faibles des services domestiques ou des salaires plus élevés de l'industrie, accroître encore plus le déficit public ou faire baisser les prix de l'immobilier.

La seule solution est d'enclencher un plan de moyen terme d'amélioration du pouvoir d'achat ; ce plan part de l'amélioration des compétences de la population active (faibles en France, qui est classée 21e sur 28 par l'OCDE pour les compétences), d'où une hausse du taux d'emploi (de la proportion de la population en âge de travailler, qui a un emploi, très corrélée aux compétences), d'où une hausse de la production et des recettes fiscales, ce qui dégage une marge de manœuvre budgétaire et aussi une marge de manœuvre salariale puisque la productivité est corrélée aux compétences. Ce plan comprend aussi une politique de soutien de la construction (sociale, locative…) seule à même de faire baisser les prix de l'immobilier. Il ne faut pas oublier que l'investissement en logements est nécessaire en France, alors qu'on a parfois tendance à penser que le capital en logements est un capital inutile.