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courrierinternational.com par Hannah Kuchler

 

Facebook. Zuckerberg n’a pas tenu ses promesses

Il y a un an, le PDG de Facebook s’était engagé à mieux protéger les données des utilisateurs du réseau social. Mais depuis, les scandales se sont succédé. Et la culture de l’entreprise ne semble pas près de changer.

Mark Zuckerberg le sait, “réparer” Facebook sera une tâche particulièrement ardue. Le cours de l’action a chuté de plus de 25 % en 2018, le personnel n’a pas le moral et les autorités régulatrices des deux côtés de l’Atlantique se demandent s’il faut imposer des règles plus strictes à ce monde virtuel qui compte deux milliards de personnes.

Dans un message publié fin décembre [sur Facebook, comme il le fait chaque année pour annoncer ses bonnes résolutions, ou “défis personnels”], Zuckerberg a admis qu’il avait encore beaucoup à faire. Mais il a aussi rappelé les mesures prises, soulignant que 30 000 personnes travaillent désormais sur les questions de sécurité, pour lesquelles plusieurs milliards de dollars sont investis chaque année.

Le réseau social a aussi mis en place de nouveaux paramètres relatifs au respect de la vie privée, et il a rendu la publicité ciblée plus transparente en créant une base de données des publicités à caractère politique accessible à tous. “Aujourd’hui, notre entreprise est très différente de ce qu’elle était en 2016 ou même en 2017, écrit-il.

Nous avons profondément modifié notre ADN pour nous concentrer davantage sur la prévention des dommages dans tous nos services. À cette fin, nous avons réaffecté une grande partie de nos ressources.”

Malgré tout, ces changements sont peut-être insuffisants et trop tardifs, à l’heure où les responsables politiques contestent de plus en plus l’ampleur et l’influence de la plateforme. Aux États-Unis, le démocrate David Cicilline, président de la sous-commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants chargée de la concurrence, estime qu’une intervention de l’État est nécessaire : 

Facebook et les autres géants d’Internet sont incapables de s’autoréguler. Un certain nombre d’éléments indiquent une concentration et une influence croissantes sur ce marché, et cette concentration du pouvoir économique aboutit à un plus grand pouvoir politique.”

La bonne résolution de Mark Zuckerberg pour 2018 était de réparer Facebook, après que l’on eut découvert les campagnes de désinformation menées sur la plateforme. Il avait promis de consacrer des fonds à l’éradication des trolls russes, des propos haineux et des infox.

 Zuckerberg est-il à la hauteur ?

Mais dès le mois de mars 2018, Facebook a dû présenter des excuses, les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs ayant été transmises à Cambridge Analytica, une société d’analyse de données qui avait travaillé pour la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016. Et au cours des mois suivants, Facebook a dû, de nouveau, faire amende honorable à plusieurs reprises pour avoir été incapable de protéger les données de ses membres. Les utilisateurs, les autorités réglementaires et les responsables politiques du monde entier ont fini par se demander si Mark Zuckerberg (président et principal actionnaire de Facebook) était à la hauteur.

En novembre, des parlementaires d’Argentine, du Brésil, du Canada, d’Irlande, de Lettonie, de Singapour, de France, de Belgique et du Royaume-Uni ont fustigé Zuckerberg lorsqu’il a refusé d’être interrogé par une commission internationale sur la désinformation qui se réunissait à Londres. Et à la fin de l’année, l’entreprise a de nouveau fait l’objet de critiques en raison de sa gestion de différentes crises, notamment l’embauche d’un cabinet de relations publiques pour calomnier ses détracteurs, dont le milliardaire philanthrope George Soros.

Selon un ancien cadre de Facebook, 2018 est l’année où le grand public a découvert que l’entreprise s’était développée de manière “tout à fait irresponsable”. “Ce réseau social s’est insinué dans toutes les sphères de la société : la politique, le sport, le traitement de l’actualité, tout. Vos parents et même vos grands-parents sont inscrits sur ce truc, assène-t-il.

Mais aucun autre outil, aucune organisation ne se soucie aussi peu de la manière dont les données devraient être traitées – et de ce que cela implique pour la société.”

Les problèmes de Facebook ont commencé à germer bien avant 2018, à l’époque où la direction de l’entreprise supposait que la croissance du nombre d’utilisateurs et du chiffre d’affaires, dopé par la collecte de données, profitait autant au réseau social qu’au monde en général.

Selon Zeynep Tufekci, professeure à l’université de Caroline du Nord et spécialiste des liens entre nouvelles technologies et société, l’année 2018 a montré à l’entreprise que son modèle économique, fondé sur la collecte de quantités phénoménales de données pour perfectionner le ciblage publicitaire, avait “considérablement sapé” la confiance du public.

Quand l’entreprise détient autant d’informations au titre de ce modèle économique, il est quasi inévitable d’être confronté à des failles de sécurité, à la fuite de données, à une mauvaise gestion des accords de partage et au sentiment, chez les gens ordinaires, qu’on leur manque de respect.”

Les organismes de contrôle, les militants et même des employés contestaient depuis longtemps la politique de Facebook en matière de confidentialité. Dès 2011, Max Schrems, un Autrichien qui milite pour le respect de la vie privée, avait déposé une plainte auprès de l’autorité irlandaise de protection des données, invoquant une vingtaine d’infractions. Il avait d’ailleurs signalé la faille qui a été exploitée pour transmettre des données à Cambridge Analytica.

“Honnêtement, [ce qui s’est passé] cette année a uniquement surpris ceux qui n’avaient prêté aucune attention à Facebook jusque-là”, a-t-il déclaré fin 2018. L’entreprise a beau subir des pressions de plus en plus fortes, Max Schrems doute qu’elle opère des changements à même de satisfaire les organismes de contrôle.

Comment transformer la culture d’une entreprise en un an ? Voilà la question qui se pose. Jusqu’à présent, la consigne était ‘tous les moyens sont bons, toutes ces réglementations sont démodées et hostiles à l’innovation’.

La culture de Facebook est résumée par son premier slogan : “Foncer, quitte à tout casser”. D’après David Kirkpatrick, journaliste et auteur de La Révolution Facebook [éd. JCLattès, 2011], l’entreprise se souciait avant tout de faire des bénéfices. Dans toute la série d’entretiens avec des journalistes qui a fait suite aux révélations sur Cambridge Analytica, Sheryl Sandberg, directrice de l’exploitation de Facebook, assurait que l’entreprise n’avait jamais cherché à optimiser ses bénéfices.

David Kirkpatrick n’est pas de cet avis et maintient que l’âpreté au gain est à l’origine du “tsunami de crises” que la société a essuyé. “Depuis bien trop longtemps, ils avaient pour seule préoccupation leur rentabilité extraordinaire et les meilleurs moyens de satisfaire les annonceurs […], au point de ne pas allouer de ressources à la gouvernance et aux mesures de prévention”, analyse-t-il.

L’UE doit donner l’exemple

Pour Kate Losse, qui a travaillé chez Facebook lorsque la société était encore toute jeune, et auteure de The Boy Kings [“Les rois juvéniles” ; inédit en français], les problèmes remontent à l’époque où Zuckerberg et ses équipes ont imaginé la plateforme et son fil d’actualité. Selon elle, ils étaient tellement obnubilés par “la fluidité des partages” que la protection de la vie privée et l’information des membres sur l’utilisation qui était faite de leurs données n’étaient pour eux que des “obstacles à contourner”. L’année 2018 a aussi montré que cette obsession de la croissance n’était pas forcément dans l’intérêt de Facebook.

En cherchant la performance à tout prix, l’entreprise a présumé de ses capacités et cela a fini par se retourner contre elle.”

En dépit des déclarations de Mark Zuckerberg, maintiennent ses détracteurs, le groupe n’a pas vraiment tiré les leçons de l’année écoulée – et les défis à relever seront de plus en plus complexes, car l’entreprise devra gérer sa mauvaise réputation parallèlement au ralentissement de sa croissance.

Selon l’ancien cadre de Facebook, les dirigeants ont “une mentalité de victime” et estiment que les médias ne mettent pas assez l’accent sur les changements mis en œuvre. Contrairement à ce que l’on observe d’habitude dans les entreprises sous pression, aucun haut responsable n’a démissionné pour assumer la responsabilité des problèmes.

Une agence de communication proche des républicains

En novembre, Sheryl Sandberg s’est trouvée sous le feu des projecteurs lorsqu’une enquête du New York Times a révélé que Facebook avait fait appel à Definers, un cabinet de relations publiques proche des républicains, qui avait tenté de discréditer les détracteurs de Facebook en les associant à George Soros, un investisseur qui est souvent la cible des complotistes de droite [et antisémites]. La numéro deux du groupe a nié les faits. Mais par la suite, Facebook a admis qu’elle avait cherché à savoir si George Soros vendait à découvert des actions de la société.

À moins que Wall Street ou le conseil d’administration n’exercent une pression considérable, il est peu probable que Mark Zuckerberg se défasse de Sheryl Sandberg, estime David Kirkpatrick.

Il s’appuie sur Sheryl pour un grand nombre de questions liées à la gestion et aux relations publiques. Il s’appuie trop sur elle.”

Pour l’instant, Facebook a pu s’attaquer à ses problèmes en mettant la main à la poche, notamment en doublant le nombre d’employés chargés de la modération du réseau social. Mais la marge de manœuvre financière se réduira à mesure que les investisseurs s’inquiéteront du ralentissement de la croissance.

En juillet, en une seule journée [le 26], la valeur en Bourse de la société a diminué de 120 milliards de dollars à l’annonce de résultats [trimestriels] en baisse et d’une stagnation du nombre d’utilisateurs dans les pays développés. Mais d’après Brian Wieser, analyste à Pivotal Research, la majorité des actionnaires ne partagent pas les inquiétudes de la société civile : toujours en juillet [le 25], le cours de l’action a atteint un sommet historique – en plein scandale Cambridge Analytica.

Lorsque les résultats du quatrième trimestre 2018 seront publiés [le 30 janvier], les investisseurs se soucieront avant tout du chiffre d’affaires [et du nombre d’utilisateurs]. Si Facebook n’atteint pas ses objectifs, le groupe choisira peut-être de réaffecter des ressources pour satisfaire ses actionnaires – ce qui remettra la croissance au cœur des préoccupations. Brian Wieser résume : 

Les sujets chers à la société civile ne pèsent pas lourd. Ce qui compte, c’est le fait que les résultats soient supérieurs ou inférieurs aux attentes des investisseurs. Et le cours de l’action évoluera selon ce critère.