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Côte d'Ivoire.Acquittement de Gbagbo : un camouflet pour la justice internationale

Publié le 23/01/2019 - 17:12
0105a9f4ed5d3d24892dd4829f7d5cb8.png Le juge président Cuno Tarfusser de la Cour pénale internationale, lors de l’audience consacrée à Laurent Gbagbo, à La Haye aux Pays-Bas, le 15 janvier 2019. PHOTO PETER DEJONG / ANP / AFP

Le 15 janvier, la Cour pénale internationale a acquitté l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, inculpé pour crimes contre l’humanité. Pour ce chercheur nord-irlandais, cette institution a une fois de plus échoué à rendre justice aux victimes.

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RÉSERVÉ AUX ABONNÉS

Un peu moins de trois ans après le début de leur procès, Laurent Gbagbo, ancien président de Côte d’Ivoire [2000-2010], et Charles Blé Goudé, dirigeant du mouvement des Jeunes Patriotes, viennent d’être acquittés par la Cour pénale internationale (CPI), qui a ordonné leur remise en liberté [ils restent toutefois en détention, en attendant l’examen de l’appel de la décision. Laurent Gbagbo est détenu depuis sept ans].

Tous deux étaient sous le coup de quatre chefs d’inculpation pour crimes contre l’humanité, meurtre, viol, actes inhumains et persécutions, durant le conflit qui a fait rage en Côte d’Ivoire de décembre 2010 à avril 2011. [Ce dernier était né du refus du président sortant de céder le pouvoir à son rival, l’actuel chef d’État, Alassane Ouattara.] Des manifestations contre le résultat des élections avaient éclaté, puis dégénéré en affrontements armés qui avaient fait plus de 3 000 morts.

Un énième acquittement

Selon la décision rendue oralement, il semblerait que l’accusation n’ait pu démontrer de façon satisfaisante aux juges qu’elle disposait d’éléments suffisants pour prouver que Gbagbo avait effectivement conspiré dans le but de se maintenir au pouvoir en ayant recours à des violences contre la population civile.

C’est un rude coup pour l’image de la CPI, pire encore que quand la chambre d’appel du tribunal, en juin 2018, a décidé d’acquitter le vice-président de la République démocratique du Congo (RDC), Jean-Pierre Bemba, au bout de six ans de procédure. [L’ex-chef de guerre avait été condamné en première instance à dix-huit ans de prison pour les meurtres, viols et pillages commis par sa milice entre octobre 2002 et mars 2003 en Centrafrique voisine.]

D’autres accusés ont été acquittés devant la Cour, dont [l’ex-milicien congolais] Mathieu Ngudjolo Chui lors de son procès pour le massacre de Bogoro en 2003 [qui avait fait plus de 200 morts civils], et les président et vice-président kenyans, Uhuru Kenyatta et William Ruto, inculpés pour les violences postélectorales de 2007-2008 [plus de 1 500 morts].

Seulement trois personnes condamnées en vingt ans

Vingt ans après la création de la CPI, trois personnes seulement ont été condamnées, tous membres de groupes rebelles. Aucun gouvernement, aucun haut responsable n’a jamais été reconnu coupable devant la Cour.

L’acquittement de Gbagbo et Blé Goudé risque d’apporter de l’eau au moulin des détracteurs de l’institution, qui lui reprochent de s’en prendre avec partialité aux pays d’Afrique.

Mais en fait, cette décision, de même que l’acquittement de Bemba, est révélatrice d’un problème plus grave dans le fonctionnement de l’accusation de la CPI, dans sa façon d’enquêter et de rassembler des preuves. Car si elle montre que la Cour garantit les droits des accusés, certes tardivement, elle prive surtout les victimes de justice.

Quand le président Alassane Ouattara a pris le pouvoir en Côte d’Ivoire en 2011, son gouvernement a fait passer un paquet de mesures qui visait à tirer un trait sur le passé. Cela passait par l’ouverture d’enquêtes spéciales, la mise en place d’une commission d’enquête, d’une commission de vérité et de réconciliation et d’une commission nationale sur les indemnités.

Une justice des vainqueurs

Mais ces dernières années, l’attention s’est relâchée, la volonté politique a faibli, et les victimes n’ont pas obtenu de réparations. Si Gbagbo et Blé Goudé sont remis en liberté, les 727 victimes qui se sont portées partie civile devant la CPI ne pourront plus espérer obtenir d’indemnités devant la Cour. Ce qui reviendrait en fait à les léser une fois de plus.

Simone Gbagbo, épouse de l’ancien président, était censée être jugée elle aussi par la CPI. Mais elle a été inculpée par un tribunal ivoirien et condamnée à vingt ans de prison en 2015 pour son rôle dans les violences postélectorales. Si des procès ont eu lieu en Côte d’Ivoire, ils ont pour la plupart visé des partisans de Gbagbo, sans que les membres des forces de Ouattara soient inquiétés pour leur participation aux violences.

Toutefois, en août 2018, le président Ouattara a gracié 800 personnes, dans le cadre d’une campagne plus générale de réconciliation dans le pays. Simone Gbagbo a fait partie des personnes libérées. Si son mari et Blé Goudé reviennent en Côte d’Ivoire, ils pourraient eux aussi bénéficier d’une amnistie. Et les victimes, là encore, s’en trouveront spoliées.

Les victimes en paient le prix

En novembre 2018, le Royaume-Uni a remis en cause les dépenses liées à la CPI. Il a souligné que la Cour avait coûté 1,5 milliard d’euros en quinze ans, mais que seuls trois coupables secondaires avaient été condamnés.

L’acquittement de Gbagbo et Blé Goudé prouve qu’il est nécessaire de prêter une plus grande attention à deux choses : la façon dont la CPI enquête et juge les affaires de ce genre, et la façon dont les États eux-mêmes traitent ces crimes en premier lieu, plutôt que d’en passer par des procédures aussi longues qu’onéreuses au niveau international.

La CPI est censée être une instance de dernier recours, chargée de garantir que les victimes obtiennent justice et de mettre fin à l’impunité là où les États refusent de juger ces crimes, ou ne sont pas en mesure de le faire. Or, la libération potentielle de Gbagbo et Blé Goudé témoigne de la difficulté qu’il y a à assurer la justice après un conflit, alors que ce sont les victimes qui, au bout du compte, continuent d’en payer le prix.

Luke Moffett