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Arrêt sur images

 

L'islamophobie en France, aujourd'hui, est-elle comparable à ce qu'était l'antisémitisme à la fin du 19ème siècle? Et peut-on de la même manière comparer deux figures emblématiques : Eric Zemmour, journaliste et polémiste, et à la fin du 19ème siècle Edouard Drumont, auteur du best-seller "La France juive", l'homme qui a à l'époque de l'affaire Dreyfus popularisé l'antisémitisme en France ? Pour répondre à ces questions, deux historiens : Gérard Noiriel, historien du peuple et de l'immigration, auteur de "Le venin dans la plume : Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République" (Ed. La Découverte, 2019) ; et Pierre Birnbaum, historien auteur de nombreux ouvrages sur l'antisémitisme, et de "La leçon de Vichy : une histoire personnelle" (Ed. du Seuil, 2019).

Vichy, "un etat qui ne fonctionne plus comme un etat"

DansLa leçon de Vichy, Birnbaum fait "un retour sur le passé", raconte l'historien. "J'ai essayé de faire non pas de l'ego-histoire [...] mais je me suis pris comme objet, et j'ai été chercher ce que l'on peut savoir sur moi à cette époque-là". Mais surtout, notre invité raconte comment, devenu historien de l'Etat, il "n'a pas voulu voir" l'antisémitisme de l'administration de Vichy.  "Je n'ai pas voulu voir en Vichy ce qui a failli me tuer", admet l'historien, qui considère cependant que "l'Etat de Vichy, ce n'est plus un Etat qui fonctionne comme un Etat". 

Pour Noiriel, qui a été "touché" par le livre de Birnbaum, il est évident que l'histoire de Vichy, liée à l'histoire familiale "explique des orientations dans le métier d'historien" - pour Birnbaum comme pour lui : son grand père a été condamné à la Libération pour collaboration.

En 1886 comme en 2019, le mécanisme du "bon client" qui fait le "buzz"

Le venin dans la plumeest né des attaques d'Eric Zemmour dans son dernier livre,Destin français, "dans lequel il a des propos d'une violence inouïe à l'égard" des historiens, particulièrement contre Robert Paxton, auteur deLa France de Vichy(1972), raconte Noiriel. "Scandalisé", l'historien l'est d'autant plus que les chaînes qui ont assuré la promotion du polémiste d'extrême droite (récemment condamné définitivement pour "provocation à la haine") n'ont "jamais donné la parole à quelqu'un de notre profession pour défendre, indépendamment du sujet, le métier qu'on exerce". 

"On voit combien La France juive [publié en 1886, ndlr], au départ, sème l'incrédulité... et puis progressivement, il y a cette construction d'un personnage sulfureux qui fait le buzz" jusqu'à ce que Drumont devienne "un bon client", raconte Noiriel. Créant le mécanisme bien connu du "il faut en parler", quel que soit le fond, encouragé par la multiplication des titres de presse à l'époque. Et qu'on retrouve aujourd'hui avec Zemmour selon lui. Birnbaum se demande, lui, s'il existe "des travaux pour montrer des conséquences directes sur les valeurs, la culture, les comportements" des plateaux qui ont reçu Zemmour - contrairement à l'influence de la presse. Et ce malgré la forte audience de ces émissions : "Rien ne permet de prouver que l'audience se transforme en influence".  

Zemmour et Drumont, une même "matrice identitaire"

Drumont, résume Noiriel, développe un discours autour de la crainte d'un "grand remplacement" (même si le terme n'existe pas encore) "par en haut". Un discours qui se rapproche de ceux de Eric Zemmour, notamment à la "convention de la droite" organisé par  des proches de Marion Maréchal Le Pen.

Noiriel rappelle qu'il ne travaille pas sur les époques, mais sur la conception "identitaire" de l'Histoire de France et sur l'analyse comparée des textes des deux hommes. "Une matrice identitaire fonctionne selon les circonstances et l'actualité, avec tous les groupes", insiste-t-il. Birnbaum s'est senti, lui, horrifié par la comparaison entre Zemmour et Drumont. "Drumont, c'est le diable absolu. C'est la violence incarnée, «la France aux Français» à la une de son journal, dans des milliers de journaux", s'emporte l'historien. "Quelles que soient les paroles de M. Zemmour, ça n'est pas comparable".

Reste la violence verbale des propos de Zemmour. Jean-Michel Aphatie dénonce qu'il soit encore invité sur les plateaux de télé. "On ne peut pas relativiser ce que raconte Zemmour", assène Noiriel. "S'il a été condamné pour haine raciale par la justice française, qu'on l'exclut de toutes les chaînes", abonde Birnbaum.