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E-Politic : les liaisons dangereuses du prestataire préféré du RN avec l’ultradroite identitaire

Par Jérémie Baruch, Vincent Nouvet et Maxime Vaudano

ENQUÊTEAu cœur de la campagne présidentielle de Marine Le Pen, cette agence de communication est dirigée par Paul-Alexandre Martin, un ancien cadre des jeunesses frontistes lié aux milieux néofascistes italiens et à l’ultradroite identitaire.

 

Ils sont les petites mains de la campagne présidentielle de Marine Le Pen : ils tweetent ses interventions télévisées, filment la candidate d’extrême droite sur le terrain pour relayer ses déplacements sur les réseaux sociaux, alimentent sa newsletter… Et pourtant, Julie, Martin, Arthur et les autres ne sont pas de simples militants du Rassemblement national (RN). Tous sont employés par e-Politic, une discrète société qui s’est érigée depuis quelques années en prestataire incontournable du RN, et joue aujourd’hui un rôle central dans la campagne numérique de MmeLe Pen.

 

A première vue, e-Politic est une start-up de communication numérique comme les autres. Sur son site, un avatar et un prénom présentent chaque employé. Le « big boss » ? Un certain « Paulo », dont le visage n’est pas inconnu au RN. Car avant de se reconvertir dans la communication politique, Paul-Alexandre Martin était le numéro deux du Front national de la jeunesse. Il fut même candidat sous les couleurs frontistes aux législatives de 2012 dans le Rhône et aux municipales de 2014.

 

Des liens avec la « GUD connexion »

Cet homme âgé de 31 ans affiche un profil bien moins sulfureux que ses aînés, Frédéric Chatillon et Axel Loustau, les anciens prestataires favoris du RN, issus du très radical Groupe union défense (GUD). Aucun dérapage violent et aucune appartenance connue à des groupes radicaux d’ultradroite, aucune photo compromettante… A peine un tweet en hommage à Dominique Venner, père de l’extrême droite moderne et figure tutélaire de la mouvance identitaire, qui s’est suicidé au cœur de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, en 2013.

 

Pourtant, le parcours et les amitiés de Paul-Alexandre Martin interrogent. Outre qu’il a octroyé à Frédéric Chatillon et à Axel Loustau 45 % des parts d’e-Politic, Le Monde a découvert qu’il entretenait des liens d’affaires avec plusieurs personnalités proches de la « GUD connexion ».


Paul-Alexandre Martin a par exemple ouvert début 2022 une partie du capital de sa société immobilière Sowilhome à Axel Loustau, l’ancien trésorier de Jeanne, le microparti de Marine Le Pen. Il a en outre investi dans la société de production audiovisuelle parisienne Vistavisio, aux côtés d’un certain Claude « Antoine » Perrault – un haut cadre dans l’informatique en qui Frédéric Chatillon a suffisamment confiance pour lui confier la présidence de sa holding personnelle. Si Vistavisio n’a pas de liens connus avec le RN, l’entreprise a accueilli en alternance un membre de la famille de Nicolas Crochet, l’expert-comptable au cœur des affaires de financement du RN, condamné pour complicité d’escroquerie et de blanchiment d’abus de biens sociaux lors du premier procès du RN, en 2019.

 

Domicilié chez les néofascistes italiens

En mai 2021, Paul-Alexandre Martin a ouvert une nouvelle société baptisée Groupement des imprimeurs français, dont il n’a pas souhaité détailler au Monde les activités. Parmi ses coactionnaires, on retrouve Isabelle Mélard-Crochet, l’épouse de Nicolas Crochet, qui n’avait jusqu’ici aucune activité connue dans le monde de l’impression.

L’autre actionnaire de la société est un Italien nommé Gian Luigi Ferretti. Agé de 76 ans, cet homme discret est l’un des traits d’union entre les extrêmes droites italienne et française. Formé au Mouvement social italien (MSI), le parti néofasciste créé après la chute de Benito Mussolini, il est aujourd’hui proche de l’organisation néofasciste CasaPound – tout en se défendant d’y appartenir. Il est depuis quatre ans le « ministre des affaires étrangères » du puissant syndicat UGL, proche de la Ligue, le parti d’extrême droite de Matteo Salvini. C’est d’ailleurs lui qui avait organisé la rencontre en 2018 entre M. Salvini et Marine Le Pen, qu’il connaît depuis de nombreuses années. Gian Luigi Ferretti est aussi lié à Frédéric Chatillon, dont il a dirigé la holding italienne Gruppo Edda Srl entre juin et octobre 2021.


Questionné sur ses liens avec M. Ferretti, Paul-Alexandre Martin n’a pas donné suite. Quant à M. Ferretti, il dément être actionnaire du Groupement des imprimeurs français, contrairement à ce qu’indiquent les données du greffe français.

 

Un autre détail troublant relie le patron d’e-Politic aux milieux néofascistes italiens. En 2019, Paul-Alexandre Martin a créé coup sur coup deux sociétés en Hongrie (Danube Real Estate PAF et Adweiss Consulting), pour lesquelles il a renseigné comme domicile le 39, via della Scrofa, à Rome. L’adresse est loin d’être anodine : il s’agit du siège historique du MSI. Le bâtiment est d’ailleurs toujours occupé par son héritier, la Fondation alliance nationale, et partiellement loué par les post-fascistes de Fratelli d’Italia. En 2018, Mediapart avait déjà révélé que M. Martin avait ouvert une autre société de communication, Squadra Digitale, à la même adresse. Interrogé, il n’a pas souhaité expliquer au Monde cette étonnante domiciliation.

Le parcours du dirigeant d’e-Politic conduit aussi vers les milieux de l’ultradroite française. Selon des documents consultés par Le Monde, Paul-Alexandre Martin a ainsi confié le poste de secrétaire de sa société italienne Squadra Digitale à Laurent Lichty. Ce photographe et vidéaste, connu sous le pseudonyme d’Alex Vril, avait suivi en 2017 la candidate Marine Le Pen pendant toute sa campagne pour le compte d’e-Politic, avant que le site Rue89 ne révèle ses sympathies pour des groupes Facebook néonazis et ses blagues antisémites.

Angers, pouponnière identitaire

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Paul-Alexandre Martin entretient en outre des relations étroites avec plusieurs militants identitaires dans la région d’Angers, devenue ces dernières années un important vivier identitaire. Il est proche de Jean-Eudes Gannat, le porte-parole de l’Alvarium, un groupuscule héritier du GUD, dissous en novembre 2021 par le gouvernement en raison des actions violentes et des « discours de haine » de certains de ses membres. Fils d’un cacique du RN, lui-même investi de responsabilités locales dans le parti, Jean-Eudes Gannat a aussi travaillé pour Riwal, la société de Frédéric Chatillon, selon le livre enquête de Marine Turchi et Mathias Destal, Marine est au courant de tout (Flammarion, 2017).


Le porte parole de l’Alvarium Jean-Eudes Gannat, à Angers, le 3 mai 2018, deux ans et demi avant la dissolution de son organisation en conseil des ministres. JOSSELIN CLAIR / LE COURRIER DE L'OUEST / MAXPPP

Ensemble, MM. Martin et Gannat ont monté, en 2015, Comunotec, une société de fourniture de caméras de surveillance qui a connu quelques déboires : la mairie d’Andlau (Bas-Rhin) s’était plainte de la qualité des caméras installées par Comunotec : « quatre webcams », « très bas de gamme », « bricolé[e]s, scié[e]s, avec des traces de coup de marteau », avait témoigné dans Ouest-France le maire, qui avait déboursé près de 14 000 euros. Après des menaces de plaintes, et un changement de majorité municipale, l’affaire a finalement été classée. Avant d’être placée en liquidation, en 2017, la société était domiciliée dans des locaux appartenant à Axel Loustau, dans le 16e arrondissement de Paris.

 

Des employés connus pour des faits de violence

Si rien n’indique que Jean-Eudes Gannat travaille à ce jour pour e-Politic, Le Monde a découvert que plusieurs de ses proches, liés à l’Alvarium, ont été embauchés par Paul-Alexandre Martin, et pourraient à ce titre intervenir dans la campagne présidentielle de Marine Le Pen. L’un des community managers de l’agence, Arthur de Vitton de Peyruis, qui fut plusieurs fois candidat pour le RN, a participé avec Jean-Eudes Gannat à la renaissance, en 2012, du Rassemblement des étudiants de droite, un syndicat étudiant où se retrouvent nationalistes et identitaires, héritier du GUD, et connu pour ses actions coup de poing.

Le maquettiste d’e-Politic, Martin Réveillard, a été condamné en juillet 2021 à cinq mois de prison avec sursis, pour avoir pénétré par effraction dans une caserne de gendarmerie avec d’autres jeunes militants identitaires proches de l’Alvarium pour y voler un drapeau européen et une enseigne.

Quant au monteur vidéo et motion designer de l’agence, Paul-Alexis Husak, il est affublé du sobriquet « Minithler » par les militants antifascistes locaux, en raison de la petite moustache qu’il portait pendant un temps. Il est également connu des forces de l’ordre pour sa participation à des débordements violents et racistes.

La présence de ces employés serait-elle difficile à assumer pour le prestataire favori du RN ? A la suite des questions du Monde, restées sans réponse, leur profil a en tout cas disparu subitement dans la nuit du site web d’e-Politic.