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Comment expliquer que la déconstruction européenne soit enclenchée alors que les citoyens de l’Union continuent à y croire

 

Source Atlantico avec Rémi Bourgeot et Nicolas Goetzman

Atlantico : Alors que le Conseil européen s'ouvre ce 8 juin à Bruxelles, et évoquera des questions relatives aux migrations, à la zone euro ou encore au Brexit, comment qualifier la situation actuelle de l'Union européenne ? Comment comprendre les difficultés de négociations rencontrées par les dirigeants alors même que les populations démontrent leur envie d'Europe au travers de nombreux sondages, notamment ceux de l’euro-baromètre montrant que 74% des citoyens des pays de la zone euro sont favorables à la monnaie unique ? 

Rémi Bourgeot : La coopération européenne est aujourd’hui confrontée à une impasse liée à la fois à la décomposition des scènes politiques nationales et aux blocages qui affectent le modèle d’intégration suivi au cours des trois dernières décennies. Face à cette remise en cause généralisée, on constate une réaction de stupeur de la part des responsables politiques traditionnels en France comme dans le reste de l’Europe, mais on peine à voir émerger la voie d’un nouveau modèle de coopération, quels qu’en soient les acteurs potentiels. Les débats de fond se retrouvent neutralisés par un tête-à-tête stérile entre populisme et statu quo, issu de l’effondrement des clivages propres à la démocratie libérale.

Sur le plan économique, l’Europe connait des déséquilibres qui se sont aggravés de façon décisive avec le tournant qu’a représenté la crise économique. Nous avons pris la voie d’un modèle de compression qui tourne le dos à la révolution technologique en cours dans le monde. Les jeunes générations paient un lourd tribut, et notamment désormais les gens les plus qualifiés, en France et dans le sud de l’Europe. Ce modèle de gestion de crise perpétuel est capable d’engendrer un excédent commercial croissant à l’échelle européenne, mais a tendance à aggraver les maux économiques et sociaux que connaît le continent, ainsi que la décomposition des systèmes politiques.

Les responsables politiques oscillent entre l’impératif de réalisme lié à la crise politique et la tentation du déni. Sur la question de l’euro que vous évoquez, les citoyens européens restent effectivement dans leur majorité favorables au maintien dans la monnaie unique, par peur notamment des conséquences financières d’un éclatement de l’euro. Le débat aussi bien sur la réorientation de la gestion de la monnaie unique que sur une alternative a été très mal engagé. Le modèle de gestion monétaire est aujourd’hui dans l’impasse, car il bute d’un côté sur les tabous allemands, qui remontent aux tout premiers débats sur l’intégration monétaire, et sur l’impératif français de croyance en un grand soir européen. Ces tabous ont pu être ignorés un temps dans le contexte du chamboulement des années 1990 et des gages européens donnés par la République fédérale dans le contexte de la réunification. Les blocages qui se manifestent aujourd’hui ne sont que l’écho des non-dits primordiaux de la phase de conception de l’euro.

Le recours au déni risquerait d’aggraver la situation européenne et d’affaiblir la position de la France. On l’a vu à l’occasion de la mise en avant du dernier sommet franco-allemand, présenté, dans l’hexagone, comme un tournant historique sur la question du budget de la zone euro. Il s’agissait pourtant surtout d’entériner une concession symbolique et déjà annoncée de longue date par Angela Merkel sur la constitution d’un budget dont elle garantit à l’opinion publique allemande qu’il sera très faible. La mise en avant française d’un tournant historique dans l’intégration de la zone euro a déconcerté les observateurs qui suivent ces sujets en Europe et dans le monde, notamment outre-Rhin. En lieu du bond en avant fédéral qui avait été annoncé, le saut dans une forme de surréalisme communicationnel risquerait de ne guère être profitable dans la durée.

Nicolas Goetzmann : Le premier constat à faire et celui de l'Union européenne telle qu'elle est. Au cours de ces trois dernières années, nous avons assisté au Brexit, à l'entrée au Bundestag de 92 députés de l'AfD, aux élections italiennes qui ont porté la Ligue et le M5S au pouvoir, à la sécession des pays de l'est notamment sur la question migratoire, à la Catalogne, à la victoire de Sebastian Kurz à la tête de l'Autriche etc..Ce à quoi nous assistons est un processus de désintégration rapide de l'Union européenne. Dans un tel contexte, on observe quelques propositions de relance du projet européen (Emmanuel Macron) dont l'ambition semble totalement déconnectée des enjeux. La création d'un budget anecdotique qui ne verra le jour – peut-être – qu’en 2021, apparaît comme une distraction. A aucun moment, dans ce processus, un diagnostic n'a été posé.

Effectivement, et même si le sentiment européen s'est effrité au sein des différentes populations qui forment les pays membres, il persiste. La volonté d'Europe ne se dément pas pour les citoyens, ce qui est visé, c'est l'Europe telle qu'elle est. Une Europe qui a été incapable de répondre efficacement à la crise économique, avec des populations qui en subissent ses effets depuis 10 ans, qui a martyrisé des pays entiers comme la Grèce, qui traite l'Italie et la Grèce avec arrogance sur la question des migrants, qui a été incapable de traiter géopolitiquement cette question durant le conflit syrien, qui a vu l'Allemagne décider unilatéralement de son ouverture des frontières en 2015 (et sans concertation avec ses partenaires) , qui fait tout son possible pour faire un exemple punitif avec le Royaume Uni dans le contexte du Brexit, ou qui accepte de voir des technocrates comme Martin Selmayr s'emparer du pouvoir au sein de la Commission européenne. Tout cela commence à faire beaucoup et cette Europe-là n'a effectivement pas trop la côte auprès des européens. Selon le même eurobaromètre de mars 2018, on peut constater que 54% des Français ne font pas confiance à l'Union européenne. Seuls 34% d'entre eux lui font confiance. Le constat évident de ce paradoxe est que les européens veulent l'Europe tout en voulant se débarrasser de ce qu'elle devenue. La problématique posée est que les alternatives n'existent toujours pas. Le débat se déroule entre les européens qui veulent avancer sans direction, et les mouvements souverainistes qui n'apportent rien en termes de propositions. Ces deux visions s'entrechoquent mollement sans apporter de sens, on est pour ou on est contre, mais on ne propose pas de vision réaliste pour l'ensemble.