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« La décision française d’abandonner le réacteur nucléaire Astrid est critiquable »

CHRONIQUE

Si l’atome a peu de chances de s’avérer déterminant, à l’avenir, dans la lutte contre le réchauffement, son développement n’a pas eu que des inconvénients, explique, dans sa chronique, Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 12h21   Temps deLecture 4 min.

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Chronique. De passage à Paris en novembre 2013, le biologiste, géographe et essayiste Jared Diamond glissait au Monde, au détour d’une conversation sur la durabilité de la civilisation thermo-industrielle, cette évidence : « Vous autres, en France, devez être tellement fiers de votre programme électronucléaire ! » Il fallut déployer une certaine énergie pour convaincre l’auteur d’Effondrement (Gallimard, 2006) qu’en réalité le programme électronucléaire français n’était pas une source consensuelle de fierté nationale, mais plutôt un abcès de fixation et, en somme, la mère de toutes les discordes tricolores sur la question environnementale.

A chaque grande décision politique sur l’avenir énergétique de la France, chaque camp célèbre sa victoire ou, au contraire, écrase ses larmes. Ces jours-ci, ce sont les tenants de l’énergie nucléaire qui se lamentent. Fin août, Le Monde a révélé que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) abandonnait en catimini le projet de réacteur expérimental de quatrième génération Astrid, mettant ainsi un point final à la recherche sur le développement de réacteurs à neutrons rapides.

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Après Rapsodie (fermé en 1983), Superphénix (fermé en 1997) et Phénix (fermé en 2010), ses trois prédécesseurs, Astrid incarnait un rêve de physicien et d’énergéticien, celui de la « fermeture du cycle du combustible ». Les réacteurs à neutrons rapides – ou surgénérateurs – sont non seulement capables de « brûler » l’uranium non fissile (qui représente la plus grande part de l’uranium naturel) mais aussi une part des déchets produits par les réacteurs nucléaires actuellement en service.

Se passer de l’étape d’enrichissement de l’uranium et augmenter d’un facteur 100 la quantité de combustible utilisable pour la production énergétique, tout en gérant le problème majeur lié à l’énergie nucléaire, celui des déchets : on comprend pourquoi le développement des réacteurs à neutrons rapides est une sorte d’horizon pour toute la filière.

Solution irréaliste

Il nourrit aussi les rêves de certains climatologues, qui y voient la panacée contre le réchauffement. En décembre 2015, quatre chercheurs de renom, James Hansen (NASA), Ken Caldeira (Carnegie Institution), Tom Wigley (université d’Adélaïde) et Kerry Emanuel (Massachusetts Institute of Technology), avaient ainsi tenu une conférence de presse en marge de la COP21, plaidant pour le déploiement, à marche forcée, de cette technologie. « En tenant compte du développement des pays les plus pauvres ainsi que de l’augmentation de la demande due à la démographie », expliquaient-ils, il faudrait construire « 115 réacteurs par an d’ici à 2050 pour décarboner entièrement la production mondiale d’électricité ».

Les quatre climatologues donnaient ainsi les conditions et les ordres de grandeur nécessaires à faire de l’atome une réelle solution contre le changement climatique. Séduisant en théorie, leur projet est cependant tout à fait irréaliste, si l’on tient compte des contraintes techniques, industrielles et géopolitiques du monde réel. Comment déployer 115 réacteurs à neutrons rapides par an dans le monde, pendant plus de trois décennies, quand la construction d’un réacteur de troisième génération de l’EPR de Flamanville (Manche) aura pris à elle seule quinze années (si toutefois les travaux s’achèvent bel et bien en 2022, soit dix ans après la date initialement prévue) ?

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La probabilité d’une forte montée en puissance de la quatrième génération de réacteurs nucléaires était déjà très faible, la voici réduite à néant par la décision française. Le nucléaire, qui ne représente aujourd’hui qu’un peu plus de 2 % de la production énergétique mondiale, ne sera jamais une solution majeure de lutte contre le changement climatique.

La décision française d’abandonner Astrid n’en est pas moins critiquable à plusieurs égards. En supprimant tout projet de réacteur de recherche de quatrième génération, la France bouche l’horizon de toute une filière, et la rend de moins en moins attractive pour les nouvelles générations de chercheurs et d’ingénieurs. Or, qu’on soit favorable ou non au nucléaire, il est certain qu’en France le maintien de compétences techniques pointues et l’entretien d’un tissu industriel spécifique seront nécessaires au fonctionnement et à la sécurité de toute la filière pendant de longues décennies.

En outre, si l’atome a peu de chances de s’avérer déterminant, à l’avenir, dans la lutte contre le réchauffement, force est aussi de constater que son développement n’a pas eu que des inconvénients. En 2013, les climatologues Pushker Kharecha et James Hansen publiaient dans la revue Environmental Science & Technology un calcul simple, suggérant qu’entre 1971 et 2009 l’énergie nucléaire avait permis l’économie d’environ 64 milliards de tonnes de dioxyde de carbone au niveau mondial. Un volume de gaz à effet de serre qui aurait été émis par la production d’une quantité d’énergie équivalente par un mix moyen charbon/gaz (sous l’hypothèse raisonnable que cette énergie n’aurait pas été produite par des ressources renouvelables, alors non compétitives). Soit près d’un an et demi d’émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial.

Les deux chercheurs estimaient de la même manière que l’atome avait permis d’éviter quelque 1,8 million de morts prématurées dans le monde. C’est le nombre total de décès qui auraient été statistiquement provoqués, au cours de cette période, par les émissions polluantes (particules fines, dioxyde de soufre, etc.) dues aux combustibles fossiles, qui auraient produit le même volume d’énergie. Pour la France, M. Kharecha précise que, « entre 1971 et 2009, l’énergie nucléaire a permis d’éviter environ 290 000 morts prématurées ». Cela n’aura pas permis d’éviter, dix ans plus tard, celle d’Astrid.