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lecourrierdesstrateges.fr par  Éric Verhaeghe

 

Après une nouvelle journée insurrectionnelle, Macron peut-il encore attendre pour prendre des mesures?

 

De l’avis unanime, la journée insurrectionnelle d’hier à Paris a au moins égalé la journée du 1er décembre, où l’Arc de Triomphe fut mis à sac. Beaucoup de voyous ont profité de la confusion pour dévaliser les magasins de luxe sur les Champs-Élysées. Délibérée ou pas, la passivité relative des forces de l’ordre (12 compagnies de CRS étaient stationnées au bas des Champs mais ne sont pas intervenues pour rétablir l’ordre), a permis à la violence de transformer la plus belle avenue du monde en un théâtre de guerre civile. 

Une journée insurrectionnelle pour un mouvement qui ne faiblit pas

Depuis de nombreuses semaines, les médias mainstream répètent à l’envi que le mouvement des Gilets Jaunes s’essouffle. Quatre mois après son lancement, preuve est en tout cas faite qu’il est encore capable de venir à bout de 5.000 policiers et de se rendre maître d’une avenue stratégique à Paris. On peut jouer avec la sémantique et expliquer indéfiniment que cette violence n’est pas le fait des Gilets Jaunes, que les Gilets Jaunes ne manifestent plus, que ces événements sont le fait d’extrémistes radicaux, etc. Un fait reste: chaque samedi, Paris est le théâtre de manifestations, et celles d’hier furent une journée insurrectionnelle au moins aussi violente qu’au début du mouvement. 

En réalité, l’incapacité d’Emmanuel Macron à prendre rapidement des mesures fortes ne font que nourrir le sentiment, dans une fraction importante de la population, que seule la violence permet d’obtenir des avancées. Et l’expérience montre que, malgré des peines de prison exemplaires, les candidats à l’émeute ne manquent pas en France… À bon entendeur…

Les élites parisiennes bercées d’illusions sur la fin des Gilets Jaunes

Cette vivacité du mouvement contraste avec les illusions dont les élites se sont convaincues au fil des semaines, grâce à la méthode Coué, sur la fin des Gilets Jaunes. Beaucoup ont imaginé que la colère qui a explosé en novembre allait passer toute seule. Beaucoup en ont minoré la portée en se persuadant que les 10 milliards € lâchés début décembre suffiraient à calmer la rue. 

Encore aujourd’hui, le discours du « ce sont des radicaux qui cassent, pas des Gilets Jaunes » tente de maintenir ce superbe déni d’un bouleversement inévitable dans le fonctionnement institutionnel. Sur ce point, les élites parisiennes gagneraient à réouvrir leurs livres d’histoire. Le même déni a coûté, en 1793, la tête à un roi. 

L’illusion de la répression comme stratégie politique

On a bien senti hier, aux propos du ministre de l’Intérieur, du Premier Ministre, du Président de la République retour de La Mongie, que l’exécutif avait la tentation d’une répression brutale. Castaner a beaucoup accusé les Gilets Jaunes d’être des « assassins » après l’incendie déclaré dans un immeuble. Les participants à la manifestation ont été accusés d’être « complices ». Ce langage radical a quelque chose de cocasse quand on constate que les forces de l’ordre n’ont pas été capables de protéger les commerces de l’avenue, livrés au pillage pendant cinq longues heures. 

L’État est-il capable de venir à bout, par la force, de milliers de pillards, comme ce soit à Paris ou à Grenoble, dans des conditions acceptables pour l’opinion publique? On a un vrai doute. 

L’étrange impuissance d’Emmanuel Macron

Sur le fond, et une fois l’hypnose des médias mainstream dissipée, l’impuissance du chef de l’État à tenir la barre apparaît criante. Revenu dare-dare de son maladroit séjour au ski pendant que les Champs-Élysées brûlaient, le chef de l’État a fait une étrange déclaration à la presse depuis le PC de sécurité du ministère de l’Intérieur:

« Beaucoup de choses ont été faites depuis novembre mais très clairement, la journée (de samedi) montre que sur ce sujet là et pour ces cas là, nous n’y sommes pas. Donc je veux que dans les meilleurs délais on puisse prendre des décisions fortes, complémentaires, pour que cela n’advienne plus »

Dans le « on puisse prendre des décisions fortes », il serait intéressant de savoir qui le chef de l’État visait. Car le « on, » jusqu’à preuve du contraire, c’est bien lui. Si le chef de l’État compte sur « on » pour savoir comment rétablir l’ordre, la France est vraiment en mauvaise posture. 

L’indécision du chef de l’État apparaît clairement

Cette étrange remarque d’Emmanuel Macron corrobore le sentiment d’indécision que le chef de l’État donne très régulièrement. Certains vont jusqu’à suggérer que l’incapacité à décider d’Emmanuel Macron pèse de tout son poids dans la crise des Gilets Jaunes. De fait, depuis le 17 novembre, le Président semble toujours en retard d’une mesure pour juguler ou apaiser la crise. 

Son annonce d’une prorogation du Débat confirme le sentiment que le Président est désarçonné par le mouvement et qu’il ne parvient pas à trouver la solution politique pour en sortir. Cette vacuité, aggravée par les images d’un Président skiant de façon insouciante, pourrait lui coûter très cher. 

La personnalité de Castaner pose problème

Dans cet ensemble, l’entourage du chef de l’État ne semble pas apporter de réconfort. Le ministre de l’Intérieur a fait l’objet d’une polémique fâcheuse cette semaine. Après l’acte XVII des Gilets Jaunes, il s’est affiché dans une boîte de nuit parisienne, aux côtés d’une accorte jeune femme. Dans un autre contexte, cette histoire passerait inaperçue. Le problème est qu’elle donne un visage à un probable conflit d’intérêt qui pourrait nuire gravement à l’image du gouvernement. 

Sur le fond, le ministre de l’Intérieur joue une stratégie dangereuse, en invectivant les manifestants, en appelant à la répression, sans parvenir à maintenir l’ordre…

Mauvais casting pour les Européennes

Un autre front pourrait s’ouvrir prochainement pour le chef de l’État. Son choix de placer Nathalie Loiseau à la tête de la liste En Marche pour les européennes pourrait lui coûter très cher. L’intéressée a déclaré sa candidature au cours d’un débat désastreux avec Marine Le Pen. Même la presse la plus macronienne ne l’a pas épargnée. Si Macron ne remettait pas en cause ce mauvais choix, il pourrait se préparer à essuyer quelques désagréments majeurs durant la campagne électorale. Est-ce bien le moment?

Il est vrai que la mécanique En Marche ne lui donne guère le choix: les bons candidats se comptent sur les doigts d’une main. 

De l’urgence d’annoncer des mesures fortes…

Dans la pratique, la seule façon de sortir de la crise des Gilets Jaunes et de rétablir le calme dont les institutions ont besoin pour fonctionner normalement passera par l’annonce de mesures fortes. Macron a cru pouvoir les éviter au vu d’un apparent retour au calme. Cette illusion est une erreur politique majeure, car elle nourrit la conviction que seule la violence est payante avec lui.

La rue s’est chargée hier de lui rappeler qu’il se trompait. Dans l’intérêt général, il serait parfait d’arrêter les dénis et de passer à l’acte tout de suite. Pas dans un mois, pas dans deux mois, pas dans trois mois.