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Macron : Élysée Confidential

Pour la première fois de son mandat, le président Macron a reçu des journalistes pour une conversation libre dans son bureau. Nous y étions.PAR EMMANUEL BERRETTA

Pour les présidents de la République avant Macron, l'exercice de la conversation au coin du feu avec les journalistes était jusqu'ici banal. Avec Emmanuel Macron, c'est une première ! Et nous y étions. Tout de gris vêtu, en col roulé, le chef de l'État nous a reçus dans son bureau avec quelques confrères. Alexis Kohler et Ismaël Emélien étaient également présents. C'est au moment où la crise des Gilets jaunes s'estompe et au moment où sa cote de popularité remonte que le président de la République accepte, durant près de deux heures, de tirer les premières leçons de ces douze dernières semaines.

Emmanuel Macron se dit « inquiet du statut de l'information et de la vérité » dans notre démocratie. Selon lui, il est urgent de rétablir des « tiers de confiance » et « accepter la hiérarchie des paroles ». Un maire, un député, un ministre ne peut pas être mis sur le même pied qu'un citoyen lambda vêtu d'un gilet jaune et qu'à la fin « tout se vaille ». Il a bien sûr fait allusion à la kyrielle de Gilets jaunes qu'on a vus sur les chaînes d'info et qui ont pu proférer n'importe quelle vérité invérifiable sans que les journalistes puissent hiérarchiser, vérifier, classer...


Les réseaux sociaux sont manipulés par les extrêmes qui se surmobilisent 


Il a décrit par le menu le mécanisme dans lequel cette crise a pris cette ampleur médiatique alors même que le mouvement était de moins en moins suivi. « Il y a des activistes politiques qui ont été formés à manipuler les réseaux sociaux, souligne-t-il. Les chaînes d'info considèrent que ce qui fait événement sur les réseaux sociaux doit être relayé à l'antenne. Et ce qui fait événement sur les chaînes d'info se retrouve deux jours plus tard dans la presse écrite. Or, à l'origine, les réseaux sociaux sont manipulés par les extrêmes qui se surmobilisent. » Même la vidéo du boxeur avant qu'il ne se livre à la police lui paraît suspecte... Il fait toutefois clairement le distinguo entre la France des ronds-points, celle des « Français qui ne vivent pas bien de leur travail », et les violences des samedis qui sont, à ses yeux, des violences organisées par l'extrême droite comme l'extrême gauche et qui ont « dès le début instrumentalisés cette affaire ».

Comment recrédibiliser les médias et faire la part du vrai et du faux ? s'interroge-t-il. Emmanuel Macron y réfléchit et invite la presse à faire de même. « Le bien public, c'est l'information. Et peut-être que c'est ce que l'État doit financer », dit-il, dans une réflexion à voix haute. Le bien public, ce n'est pas le caméraman de France 3. Le bien public, c'est l'information sur BFM, sur LCI, sur TF1, et partout. Il faut s'assurer qu'elle est neutre, financer des structures qui assurent la neutralité. Que pour cette part-là, la vérification de l'information, il y ait une forme de subvention publique assumée, avec des garants qui soient des journalistes. Cette rémunération doit être dénuée de tout intérêt. Mais quelque part, cela doit aussi venir de la profession. »


Concrètement la vie des gens n'a pas assez changé 


Sur le fond, il a reconnu que « concrètement la vie des gens n'a pas assez changé » alors même qu'il revendique avoir entrepris le plus grand nombre de réformes depuis cinquante ans. Il attribue cet immobilisme au fait que « l'État profond ne fonctionne pas bien ». Trop de fonctionnaires sont affectés à rédiger des circulaires et « pas assez au guichet ». Il prépare donc, avec ses ministres, une réforme de l'État profond dans les semaines à venir. « Il faut que les ministres soient les vrais patrons de leur administration et qu'on suive sur le terrain la réalité concrète de nos réformes », indique-t-il. Il a cité le « droit à l'erreur » des citoyens dans leur rapport avec l'administration. « Cette réforme a été adoptée, or, sur le terrain, j'ai croisé un chef de service qui n'en avait même pas entendu parler ! » s'est-il agacé en se disant très convaincu de la « déconcentration des services de l'État ».

Il s'est lancé dans un éloge du département comme maillon essentiel de la décentralisation sur lequel il voulait davantage s'appuyer, plutôt que sur les « néoféodalités des grandes régions » issues de la loi Notre, dont il a également déploré les « intercommunalités forcées ». De manière générale, il voit dans cette crise des Gilets jaunes l'acmé de « la crise des démocraties occidentales », dont les trois piliers – les libertés individuelles, la protection des classes moyennes et l'économie sociale de marché – sont entamés. « Ces vingt dernières années, ça s'est enrayé, déclare-t-il. Les classes moyennes ont été la variable d'ajustement de la mondialisation. L'affaiblissement du consensus des classes moyennes a conduit à deux formes de réaction : soit l'isolationnisme, comme le Brexit ou le phénomène Trump. Soit le renoncement aux libertés pour l'efficacité, sur le modèle de la Chine. La réponse à cette crise nécessitera bien plus que quelques mesures. Cela passe par la redéfinition de notre modèle européen, une autre forme de relations à nos territoires, une autre forme de relation à nos démocraties. [...]. Les gens veulent reprendre le contrôle de leur destin. On peut reprendre le contrôle sans nécessairement fermer nos frontières. »

Il n'a d'ailleurs pas exclu de prolonger le grand débat national pour traiter d'autres questions. « Dans une société où le commentaire est devenu permanent, la délibération doit devenir permanente », a-t-il lancé, considérant que la France était en train d'inventer un nouveau modèle. Sur les conclusions du grand débat, le chef de l'État n'a pas fermé la porte à un référendum qui se tiendrait le même jour que les élections européennes, le 26 mai. « Tout est sur la table, le pour et le contre. Le contre, c'est que la campagne européenne serait noyée par ce référendum. Le pour, c'est que plus de gens viendraient voter. »

Il a également renouvelé sa confiance en Édouard Philippe qui « n'a pas vocation à être un fusible » et avec qui il assure que les relations sont excellentes, assumant les 80 km/h comme une décision qu'il a pleinement approuvée.

Publié le 31/01/19 à 19h28 | Source lepoint.fr