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François-Xavier Bellamy, un catholique pour sauver la droite ?

Pascale Tournier, avec Olivia Elkaim
13-17 minutes

Entre Les Républicains (LR) et François-Xavier Bellamy, la relation était jusqu’ici en pointillé. Quand ils ne l’invitaient pas à l’université d’été du parti, les ténors du parti consultaient volontiers ce philosophe de 33 ans à la chemise blanche impeccable, bien plus présent dans les colonnes du Figaro et de Valeurs actuelles que dans celles du Monde diplomatique. Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau et même Gérard Larcher disent avoir lu les Déshérités ou l’Urgence de transmettre (Plon) et Demeure (Grasset), ses deux livres à succès. 

François-Xavier Bellamy contre le mouvement perpétuel

De son côté, année après année, François-Xavier Bellamy a ajouté des expériences politiques dans son CV, mais sans jamais s’encarter. L’intellectuel cultive farouchement son indépendance. Ainsi, en 2008, il est élu maire adjoint à Versailles. En 2009 et 2010, il conseille officieusement la ministre de l’Écologie Nathalie Kosciusko-Morizet. En 2017, il se présente comme candidat aux législatives à Versailles, mais rate de peu l’élection. Une tache dans le parcours rapide de ce penseur engagé.

Législatives : les héros de la cathosphère face au verdict des urnes

La carte du renouvellement

Le 29 janvier prochain, les liens entre les LR et Bellamy devraient être bien plus resserrés. Sauf rebondissement de dernière minute, « Fix », comme ses amis le surnomment, devrait être investi pour mener la liste des européennes. À l’instar du Rassemblement national et de La France insoumise, qui jouent la carte du renouvellement, la droite mise sur la jeunesse. Un pari audacieux mais néanmoins très risqué. Même les soutiens de François-Xavier Bellamy retiennent leur souffle : « Cela vaut coup d’essayer, mais personne n’est rassuré », estime un proche de Bruno Retailleau. « Trop bien élevé, trop cérébral, il va se faire crucifier », s’alarme un cadre LR. « Il incarne une droite qui se remet à penser, mais possède toutes les caractéristiques pour être caricaturé », soupire un autre membre du parti, qui pense à ses activités liées à ses opinions intimes. 

Ce Versaillais d’origine a participé aux manifestations contre le mariage pour tous. Opposé à titre personnel à l’IVG et à la PMA, il a été présent aux débuts de l’aventure de Sens commun et donne régulièrement des conférences à la fête du livre organisée par Renaissance catholique, où l’on croise Philippe de Villiers, Patrick Buisson ou Éric Zemmour. Bref, l’intellectuel des beaux quartiers possède toute la panoplie du « parfait petit conservateur ». Un profil qui peut rapidement susciter la polémique dans un écosystème médiatique dominé par les petites phrases réductrices et la pensée progressiste.

Convictions catholiques

Les premiers tirs n’ont d’ailleurs pas tardé. Sans surprise, ses adversaires soulignent ses convictions catholiques, comme si elles fragilisaient les piliers de la République, tels que l’égalité entre les hommes et les femmes ou la laïcité, oubliant au passage la liberté de pensée, un autre fondement du pacte républicain. Avant même la réunion de la commission nationale d’investiture du 29 janvier, l’ex-ministre juppéiste des Transports Dominique Bussereau s’est fendu d’un tweet rageur : son investiture traduirait « un virage supplémentaire vers la droite conservatrice (@SensCommun, @LaManifPourTous) ».

À la suite d’un article du JDD paru le 20 janvier, rappelant l'opposition personnelle de l'intellectuel à l’interruption volontaire de grossesse, la députée La République en marche (LREM) Aurore Bergé s’insurge : « “Jeune et brillant… et hostile à l’IVG”. S’il est choisi pour être l’incarnation de la droite aux européennes, c’est aussi à un choix de société et de civilisation que les Français auront à répondre. » De la même manière, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations Marlène Schiappa met en garde : « Alors même que la France vient de lancer une campagne européenne pour la ratification de la convention d’Istanbul (pour lutter contre les violences faites aux femmes, ndlr), voilà que les Républicains veulent envoyer au Parlement européen un anti-IVG. »

L’intellectuel des beaux quartiers possède toute la panoplie du « parfait petit conservateur ». Un profil qui peut rapidement susciter la polémique.

Des attaques en règle qui ont un petit air de déjà-vu. On se souvient de François Fillon, ciblé en 2016 par Alain Juppé pendant la primaire de la droite, pour avoir exprimé ses réserves personnelles sur l’IVG. Ou encore du maire de Neuilly Jean-Christophe Fromantin, conspué pour avoir voté en 2014 contre la résolution proposant de « réaffirmer le droit fondamental à l’interruption de grossesse ».

Une star chez les conservateurs intellos

Face à ces attaques, François-Xavier Bellamy est le premier à se défendre. Il rappelle à La Vie : « Je ne suis pas un croisé de l’IVG. C’est une recherche de disqualification politique, c’est fait pour me “corneriser”. Je n’utilise pas le moindre argument confessionnel. Ce qui menace la politique, c’est l’enfermement dans un repli communautariste. On a besoin de se parler du fond, de ne pas s’enfermer les uns les autres dans des étiquettes. »

Des membres des Républicains viennent aussi à son secours : « Ce sont ses positions, pas celles du parti », rappelle le député Pierre-Henri Dumont. « On se dit en période de débat national, et certains jettent des anathèmes », appuie pour sa part le député Xavier Breton. Et cet élu, catholique assumé, d’ajouter : « Il ne faut pas réduire un engagement politique à une idée ou à une foi. » Après tout, « ce début de polémique le fait connaître », veut-on aussi croire rue de Vaugirard. Il est vrai que, s’il est une star chez les conservateurs intellos, François-Xavier Bellamy souffre encore d’un gros déficit de notoriété au-delà de ce noyau. « Il vend moins de livres qu'Éric Zemmour ou Philippe de Villiers », rappelle Jérôme Fourquet, directeur du département « opinion et stratégie » de l’Ifop et auteur de À la droite de Dieu (Cerf).

L’idée de propulser l’intellectuel aux européennes incombe à Laurent Wauquiez. Le patron de la droite a toujours voulu désigner une figure issue de la société civile. Le philosophe Luc Ferry et le général Pierre de Villiers ont d’abord été approchés, mais ils ont décliné la proposition. Les regards se sont vite braqués sur François-Xavier Bellamy. LaurentWauquiez ­jetterait-il une pierre dans le jardin du libéral-­conservateur Bruno Retailleau ? Le patron des sénateurs LR, qui poursuit sa petite entreprise personnelle, est un soutien du philosophe. Sans doute, mais ce choix vise d’abord à sauver les meubles.

Changer de braquet

Depuis l’élection présidentielle, pris en étau entre le Rassemblement national et La France insoumise, le parti LR a du mal à s’imposer comme la principale force d’opposition à Emmanuel Macron. « La nouvelle configuration politique pose des problèmes existentiels à la droite », note Jérôme Fourquet. Au début du quinquennat, endossant les habits du monarque républicain, le Président a su parler à l'aile modérée de l’échiquier. Si l’attrait du projet réformiste et européen du chef de l’État a décliné depuis l’affaire Benalla, il connaît une nouvelle embellie à la faveur de la crise des « gilets jaunes ».

Le discours de fermeté affiché pour répondre aux violences refait monter sa cote de popularité auprès des électeurs de la droite. A contrario, les manifestations autour des ronds-points ne profitent pas à Laurent Wauquiez. Depuis le 1er décembre, jour où la préfecture de son fief du Puy-en-Velay a été incendiée par des manifestants, le chef du parti de la droite doit remballer sa stratégie visant à toucher les classes populaires. Face à des sondages qui placent LR en dessous de 10% aux élections européennes, Laurent Wauquiez, de plus en plus contesté dans sa famille politique, doit changer de braquet. « Laurent Wauquiez se “fillonise”, fait-on savoir en interne. Il est obnubilé par l'idée de conserver le socle qui a soutenu l’ancien Premier ministre à la présidentielle. » Pour Jérôme Fourquet, cette nouvelle orientation est cohérente : « Les européennes sont des élections où la mobilisation est faible. Les états-majors cherchent à faire venir voter leur base. »

Je n’utilise pas le moindre argument confessionnel. Ce qui menace la politique, c’est l’enfermement dans un repli communautariste. - François-Xavier Bellamy

Mais ce socle sera-t-il aussi solide qu’en 2017 ? Alors que le discours économique de François-Xavier Bellamy est encore peu construit, les catholiques évoluant dans le monde des affaires n’ont-ils pas déjà choisi leur champion dans la figure d’Emmanuel Macron ? En outre, en rejoignant la liste de Nicolas Dupont-Aignan, leader de Debout la France, le président du Parti chrétien-démocrate Jean-Frédéric Poisson pourrait-il faire de l’ombre à François-Xavier Bellamy, notamment chez les catholiques les plus ultras ?

Une facture lourde à payer

Les avis sont partagés : « Laurent Wauquiez a compris que, dans un monde nouveau, on avait besoin de rupture et de réenraciner le parti sur des bases saines, s’enthousiasme un ancien de Sens commun. Il représente un espoir et un pari pour l’avenir, qui va au-delà de l’échéance des européennes. » Un point de vue partagé par Guillaume de Prémare, délégué général d’Ichtus et ancien président de la Manif pour tous, qui a cosigné la tribune appelant à un nouveau catholicisme social : « Sa critique de la modernité et son antilibéralisme distancié tiennent la route. Ce n’est pas de la philosophie de Prisunic. C’est en phase avec ce que pensent une partie des catholiques depuis la crise des “gilets jaunes”. » « Comment va-t-il incarner l’Europe et avec qui ?, s’interroge de son côté Jean-Christophe Fromantin. Bellamy ne doit rien renier sur le fond et, en même temps, il doit construire un discours d’ouverture et universel. »

« La liste qu’il doit mener doit s’adresser à toutes les sensibilités, au risque de travailler un électorat de niche que se disputent déjà Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan », souligne Erwan le Morhedec, auteur d’Identitaire. Le mauvais génie du christianisme (Cerf) et chroniqueur à La Vie, qui s’interroge sur le point d’équilibre de la droite. Une chose est sûre : en cas d’échec, la facture sera lourde à payer. Pour le parti, Laurent Wauquiez, François-Xavier Bellamy et le courant de pensée conservateur qu’il incarne. En attendant, si le candidat se sent plus proche de Parménide, le penseur de l’immobilité, que d’Héraclite, adepte de l’idéologie du mouvement, il saura certainement faire sien le fragment de ce dernier « L’homme éprouvé sait conserver ses opinions ».

Envers et contre tous
Afficher ses convictions conservatrices suscite bien des levées de boucliers. Avant Bellamy, quatre politiques en ont fait les frais.
Christine Boutin
Catholique, ouvertement hostile à l’IVG, l’ex-présidente du Parti chrétien-démocrate n’a jamais hésité à mettre en avant des positions personnelles, qui lui ont toujours valu des salves de critiques. En 2014, par exemple, elle dit au micro de Jean-Jacques Bourdin :« L’avortement est un homicide. » La même année, dans le magazine Charles, cette militante anti-Pacs puis anti-mariage pour tous, qualifia l’homosexualité « d’abomination » : « L'homosexualité est une abomination. Mais pas la personne. Le péché n'est jamais acceptable, mais le pécheur est toujours pardonné. » Ce qui lui valut une condamnation pour « provocation publique à la haine ou à la violence », finalement annulée en cassation.
Jean-Christophe Fromantin
Novembre 2014 : le maire de Neuilly plaide « la conviction plutôt que la confusion ». Il vote contre la résolution proposant de « réaffirmer un droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse en France et en Europe ». « Sa transformation en droit fondamental, telle que la résolution le propose, ouvre la banalisation de l’avortement et marque un changement profond au principe d’exception qui prévalait jusqu’à présent », argumente-t-il. Il s’attire les foudres de ses amis centristes. Et Chantal Jouanno, ex-ministre, d’enfoncer le clou : son collègue « n'a pas vraiment sa place » à l'UDI, parti dont il briguait pourtant la présidence…
François Fillon
Le candidat LR à la primaire de la droite avait écrit dans son livre programmatique Faire que l’IVG était un droit fondamental. Pourtant, il est revenu sur ce propos en juin 2016 lors d’une réunion publique : « Ce n'est pas ce que je voulais dire. Ce que je voulais dire, c'est que c'est un droit sur lequel personne ne reviendra. Philosophiquement et compte tenu de ma foi personnelle, je ne peux pas approuver l'avortement. » Il était alors sur le point d’être soutenu par Sens Commun, mouvement issu de la Manif pour tous, ce qui allait faire basculer la campagne en sa faveur. Entre les deux tours de la primaire, en octobre 2016, ses positions sur l’IVG furent attaquées par l’équipe d’Alain Juppé. « Que François Fillon clarifie sa position sur l'avortement », exhorta même le maire de Bordeaux.
Agnès Thill
Depuis plusieurs mois, la députée LREM de l’Oise met en avant son opposition à l’extension de la PMA à toutes les femmes. Membre de la mission parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique, elle a voté contre le rapport écrit par le député Jean-Louis Touraine, membre de la majorité parlementaire comme elle. Dernier épisode en date : elle a rendu publiques ses objections à ce rapport dans une contribution de neuf pages particulièrement virulente. Ce qui lui vaut l’opprobre de certains députés de son camp qui réclament sa tête. Pour l’instant, le président du groupe LREM au Palais-Bourbon, Gilles Le Gendre, se refuse à l’exclure, comme il l’a dit sur France Inter lundi 21 janvier.