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Attention danger (politique) : les gilets jaunes, une crise pour rien ?

 

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Atlantico : La mobilisation des Gilets jaunes, si elle a bel et bien révélé les failles de notre société, semble aujourd'hui incapable de trouver une issue répondant aux racines réelles de cette crise. Dès lors, le mouvement des Gilets jaunes peut-il vraiment tirer les fruits de son importante popularité en se cantonnant à des manifestations, et ce, sans parvenir à convertir le mouvement en une ligne politique claire ? L'essoufflement du mouvement n'est-il pas inévitable ?

Maxime Tandonnet : Oui, l'essouflement est inévitable. Les Gilets jaunes ne peuvent pas indéfiniment mobiliser du monde le samedi pour manifester et maintenir l'attention éveilllée autour de leur mouvement. Il y a un phénomène de lassitude qui va se produire. C'est dommage pour eux qu'ils n'aient pas su arrêter ou suspendre leur mouvement à la suite des décisions du gouvernement renonçant à la taxe carbone. Cela serait apparu comme une victoire de leur mobilisation. Depuis son image s'est brouillé avec les actes de violences commis par des casseurs. En outre un réflexe légitimiste se produit en faveur des dirigeants du pays perçus comme des remparts contre le chaos et les sondages d'opinion et intentions de vote remontent en leur faveur. En effet, aucune ligne politique claire n'est issue du mouvement. Sa force tenait à une logique de refus mais il n'a pas réussi à se doter d'une équipe de leaders ni à faire émerger une ligne cohérente et unitaire. Mais était-il réellement envisageable de transformer une mobilisation sociale spontanée en courant politique ?

Michel Fize : Selon moi parler d'essoufflement serait exagéré. Si on en est à la 10ème semaine, c'est qu'il n'y a pas de baisse de la motivation. Ca n'est pas le comptage qui compte, c'est la détermination. Les solutions ont été proposées par les Gilets jaunes : la justice économique, la justice fiscale (révision des taxes), une démocratie plus participative. Pour chacune de ces problématiques, il y a eu des réponses proposées. Parfois elles sont surtout symboliques comme l'ISF mais lorsqu'on parle d'abaissement des taxes sur les produits de première nécessité ou du RIC, ce sont des mesures nettes. Donc il n'y a pas simplement des réclamations économiques, il y a aussi des réponses politiques, bien que non converties sous la forme d'un parti.

Jean-Philippe Vincent : Les gilets jaunes sont nés selon moi d’une faille dans notre expression démocratique. Je pense que beaucoup de Français ont été frustrés par le caractère improvisé et très partiel de l’expression politique aux présidentielles et aux législatives de 2017. Au fond, y-a-t-il eu un vrai débat politique en 2017 ? Ca ne me semble pas certain. Je pense qu’une des causes du mouvement des gilets jaunes vient de l’impression d’un scrutin incomplet. Beaucoup de gens ont l’impression de ne pas avoir été entendus. Il y a des précédents dans l’histoire politique française où des mouvements de rue (6 février 1934, mai 1968) tentent de suppléer les insuffisances de l’expression démocratique. Maintenant, il est clair que ces mouvements « anarchiques » n’apportent aucune solution. Ce sont des pièges à illusions, des boîtes à chagrin. Il n’y a rien à en tirer, sauf peut-être à moyen terme si un homme d’Etat est capable de tirer les leçons institutionnelles de tels épisodes. Le Général de Gaulle a soldé en 1958 la crise des années 1930. Bref, il faudra du temps et de la chance. 

Du côté du gouvernement, le Grand débat, s'il a le mérite d'offrir un nouvel espace d'expression aux Français, ne semble pas à même de remettre en cause les bases économiques et politiques voulues par Emmanuel Macron. Ne risque-t-on pas d'arriver à une résolution de crise qui se contenterait de laisser le mouvement Gilets jaunes s'essouffler ?

Maxime Tandonnet : Ce Grand Débat partait du constat qu'il existe un besoin de dialogue et d'écoute dans le pays. Mais il se présente de fait comme une vaste opération de communication en faveur de l'image du président Macron dont la surexposition médiatique atteint des sommets. Il n'est pourtant pas question qu'il aboutisse à une inflexion de la ligne politique en place. Pourquoi? Parce qu'il n'existe pas vraiment de ligne politique. Tout est dans la continuité du quinquennat précédent, sans véritable rupture: quelques réformes imposées par les directives européennes, une hausse continue des prélèvements obligatoires, la poursuite des mêmes orientations sur la sécurité, les migrations, l'éducation, la politique étrangère. Alors, pour masquer ce néant, il faut en faire toujours plus dans la posture, les coups de menton, le grand spectacle narcissique. C'est toujours la même chose: l'agitation médiatique et le culte de la personnalité sont là pour couvrir un néant politique. Tel est le drame de la politique française en général. Le Grand Débat est  dans cette logique. 

Michel Fize : Non, je ne pense pas que le mouvement va s'essouffler. Par contre je parierai sur l'essoufflement du Grand Débat. Nous avons deux événements : le Grand Débat qui est un événement "macronien" puis le mouvement contestataire, celui des Gilets jaunes qui porte aussi les revendications d'une part plus large de la population que celle qui vient simplement manifester. La révolte peut être intérieure et passive même si elle n'est pas montrée. Les revendications demandant davantage de pouvoir d'achat ne sont pas clivées politiquement elles sont celles de beaucoup de gens. Celle de la hausse du SMIC par exemple ne va pas "s'essouffler".

Alors le gouvernement veut "tenir le cap" mais 70% des Français ne croient pas à ce grand débat et à une issue favorable. Pour le président Macron, ce débat doit être une sorte d'opération de négociation comme on en connait en cas de mouvement social et où il peut attendre que ça se tasse. Mais ça n'est pas un mouvement, social, c'est un soulèvement populaire. Pacifique, pour les uns, moins pour les autres mais clairement radical. Dans cette affaire il y aura un vainqueur "total" et un vaincu "total".

Jean-Philippe Vincent : La stratégie du grand débat ressemble à s’y méprendre à la gestion de la crise de mai 1968 par Georges Pompidou, alors premier ministre. Discuter, négocier et par-dessus tout gagner du temps. Le temps du grand débat, les gilets jaunes peuvent finir par se lasser ou par exaspérer leurs compatriotes. Bref, la stratégie gouvernementale peut se résumer par un proverbe, ou plutôt deux : « qui gagne temps gagne tout » et « le temps est un bon bougre ». Ca n’est pas forcément faux. Quant à savoir ce qui sortira du grand débat, je ne saurais le dire. Il faudra sans doute un vote, d’une façon ou d’une autre, car il y a une frustration de ce côté. Le second tour de la présidentielle de 2017 a été un vote par prétérition : il n’y a pas eu de réelle expression. Ca manque.

Du côté de l'opposition, les partis capables de gouverner semblent avoir trop hésité, et seuls les extrêmes ont profité du mouvement. Mais ceux-ci sont incapables (pour diverses raisons) de prétendre au pouvoir. L'absence d'alternative ne condamne-t-elle pas cette crise à ne pas trouver d'écho sérieux à moyen terme ?

Maxime Tandonnet : C'est un autre grand enseignement de la crise des Gilets Jaunes: la droite républicaine a perdu pied. Elle n'a jamais su trouver le juste ton. C'est elle qui aurait pu sortir durablement renforcée de ces événements en apportant des réponses politiques au désespoir et à l'humiliation qui s'exprimaient venus de la France profonde et des laissés pour compte de la mondialisation. Sur la rénovation de la démocratie française, la réorientation de la construction européenne sur un mode plus démocratique et moins bureaucratique, sur la maîtrise de la mondialisation et des frontières, la lutte contre les inégalités devant la santé, l'école, l'impôt, sur tous ces sujets, elle aurait pu avoir des choses à dire. Manque d'imagination, d'audace, de dynamisme: à aucun moment, pour l'instant, elle n'est parvenue à imposer une voix nouvelle et à s'engager dans la voie d'une reconquête de la confiance. Bien entendu, les extrêmes se sont engouffrés dans l'espace laissé vacant. A leur manière, en occupant le terrain médiatique par des gesticulations et des provocations qui mobilisent l'attention. Le néant, toujours... 

Michel Fize : Le RN est le seul parti à avoir gagné dans cette affaire. Tous les autres partis souffrent de discrédit dans le mouvement des Gilets jaunes. Les Républicains, le PS mais aussi la France Insoumise qui ne gagne rien. On se trouve donc bien dans le cadre de la démocratie représentative dans une pénurie d'alternative. C'est d'ailleurs ce sur quoi jour Emmanuel Macron : "Si ça n'est pas moi, c'est le chaos". De Gaulle disait la même chose.

On ne voit pas quelle serait la relève politique, surtout que chez les Gilets jaunes, c'est la représentation qui est en question. Hier, on a pu voir dans la manifestation des Gilets jaunes une immense banderole déclarant : "Elus, vous rendrez compte"… Ce sont les élus qui sont en question. Et tous sympathiques qu'ils soient, nos maires font partie de l'élite. L'élite basse, certes, mais ce sont des élus donc faisant partie du système. Et ces élus font peut-être face à des difficultés de gestion mais pas à des difficultés personnelles. Les maires ne vont pas pointer à la soupe populaire comme peuvent le faire un certain nombre de Gilets jaunes.

Jean-Philippe Vincent : Je ne suis pas pessimiste pour les Républicains. Certes, leur expression et leur positionnement sont très défectueux. Mais, avec toutes leurs insuffisances, ils sont la seule alternative au pouvoir en place. Ils devraient rester discrets et engranger, plutôt que d’essayer de prendre le train en route. Pour eux aussi, mais à une échéance différente, « le temps est un bon bougre ».

Dès lors, faut-il s'inquiéter que cette crise s'endorme plutôt qu'elle ne se résolve ?

Maxime Tandonnet : Oui, le grand drame de cette crise des Gilets Jaunes est qu'elle s'achève par une sorte de statu quo. Rien n' a été réglé sur ses causes initiales, c'est-à-dire le sentiment d'abandon et d'humiliation de la France périphérique. Elle a donné lieu à toutes les récupérations notamment en vue des élections européennes. Les extrêmes ont prospéré sur cette crise. Même l'équipe dirigeante du pays a su finalement en tirer partie elle aussi en bénéficiant d'un réflexe légitimiste face au désordre, si l'on en juge par les derniers sondages. Le face à face entre l'équipe dirigeante et le parti lepéniste en est sorti renforcé, aggravant dangereusement l'impasse de la vie politique française. Mais sur les grands sujets de préoccupation que le mouvement des Gilets jaunes a voulu exprimer, notamment face aux injustices, aux conséquences de la mondialisation et du déficit démocratique, rien n'est changé. On peut même dire que la situation pourrait devenir pire qu'avant en termes de ressentiment dès lors que les Gilets Jaunes sincères et authentiques (hors les casseurs) s'apercevront que leur mouvement, a-politique, a été récupéré par tout ceux qui comptent sur lui pour en tirer bénéfice aux élections européennes. 

Michel Fize : Monsieur Macron a parlé cette semaine de "délibération permanente". Je pense que c'est la manifestation qui risque d'être permanente. La balle est surtout dans le camp du pouvoir. C'est lui qui a l'issue de la crise entre les mains. A partir du moment où la détermination du président est aussi forte que celle des Gilets jaunes et que l'on sait d'ores et déjà qu'il n'y aura pas de rétablissement de l'ISF, qu'il n'y aura pas de RIC, soit les deux grandes mesures des Gilets jaunes, je ne vois pas comment ni quand on peut trouver une issue.

Jean-Philippe Vincent : Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une vraie crise. C’est plutôt un psychodrame où chacun essaye de jouer « à la façon de ». Le vrai débat est plus profond et ne trouvera pas sa réponse de sitôt : « comment faire pour que le système représentatif représente mieux ». La question es posée depuis de nombreuses années, déjà.