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Le maire de Saint-Brevin livre aux sénateurs le récit effarant des défaillances de l’État

Un préfet et un sous-préfet aux abonnés absents, des gendarmes se disant impuissants, des ministres aux fraises. Auditionné mercredi au Sénat, Yannick Morez, qui a démissionné sous la pression de l’extrême droite, a livré par le menu tout ce qu'il a vécu.

 

Christophe Gueugneau

17 mai 2023 à 18h36

 

« J’ai« J’ai beaucoup de chance parce que je n’ai pas du tout un caractère anxieux », mais « le jour de l’attentat, j’ai quand même pris un coup sur la tête ». Près d’une semaine après sa démission, Yannick Morez, le maire de Saint-Brevin-les-Pins, en Loire-Atlantique, était auditionné mercredi par la mission d’information sénatoriale « sur l’avenir de la commune et du maire en France ».

 

Après trente-deux ans en tant que médecin passés dans la ville balnéaire, et plusieurs années en tant qu’élu municipal avant de devenir maire en 2017, le sexagénaire, courte barbe blanche et chemise à fleurs sous une veste sombre, a raconté par le menu l’enchaînement d’événements qui l’ont conduit à présenter sa démission le 9 mai. 

 

Une démission qui pour l’heure n’a pas été acceptée par le préfet, à la demande de la première ministre Élisabeth Borne qui devait recevoir l’édile mercredi en fin d’après-midi à Matignon. Mais au vu de son récit – qui explique mieux pourquoi la majorité était si mal à l’aise au moment de sa démission –, ni le choix de demander au préfet de refuser la démission, ni même celui de le recevoir sous les ors de la République ne devraient avoir une quelconque chance de succès.

 

 

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Audition de Yannick Morez au Sénat le 17 mai 2023. © Photo Gauthier Bedrignans / Hans Lucas via AFP

Mercredi matin et pendant près de deux heures, Yannick Morez a en effet dressé le tableau effarant d’un maire tout seul en butte à une extrême droite débridée et violente. Un maire qui, en outre, a dû faire face depuis sa démission à un dédouanement en règle de l’État, que ce soit au niveau du département comme au niveau de l’exécutif. Dans les mots d’un sénateur présent mercredi matin : une « succession d’abandons » et une « somme de lâchetés ».

 

Tout commence en 2016, a raconté Yannick Morez. Au moment du démantèlement de Calais, l’État « impose » un centre d’accueil d’urgence de demandeurs d’asile. Cette décision occasionne une première alerte : deux coups de feu sont tirés sur le bâtiment choisi. « Mais le reste du temps, cela s’est bien passé », indique-t-il, les demandeurs d’asile ont été « parfaitement accueillis ».

 

Cinq années passent et, le 11 mars 2021, Yannick Morez invite le sous-préfet « à visiter un bunker ». « À la fin de cette visite, il m’apprend que l’hébergement d’urgence va devenir un Cada [centre d’accueil pour les demandeurs d’asile] pérenne, et il me dit de trouver un site pour accueillir ce Cada », poursuit-il. 

Le site est trouvé : deux anciens bâtiments jouxtant une école et une forêt, la forêt de la Pierre-Attelée. Le maire vérifie auprès de l’association chargée au niveau national des Cada si la présence de l’école ne pose pas de problème, la réponse est non. L’État valide dans la foulée.

 

Arrive une « première difficulté » pour le maire : « L’État et ses représentants ne souhaitaient pas communiquer. Ils ont laissé la commune s’en occuper. » Début 2022, un collectif se crée pour contester le choix. Une pétition est lancée mais qui « ne fait pas trop de bruit ». La vente du terrain est actée en février, le collectif dépose un recours, qui est rejeté en mars. Les travaux débutent en septembre.

 

Liberté d’expression

Le collectif organise une première manifestation en octobre 2022, sans réunir grand monde et surtout très peu de Brevinois. L’extrême droite est alors appelée en renfort. Le 11 décembre, une seconde manifestation réunit une centaine d’opposants et doit faire face à une contre-manifestation. 

 

Lors de ses vœux pour 2023, Yannick Morez rappelle que toute la municipalité soutient ce projet. « Et là ça a commencé », note le maire. Il décrit des articles, des interventions sur les réseaux sociaux, et insiste sur le rôle, notamment, du site d’extrême droite Riposte laïque. « J’ai été voir la gendarmerie qui m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire, arguant de la liberté d’expression », se désole-t-il. 

 

« J’ai ensuite reçu à deux semaines d’intervalle deux tracts ignobles, à mon propre domicile, on a transmis ça à la gendarmerie et toujours la même réponse : liberté d’expression. » Le maire fait donc un premier courrier, le 23 janvier, au préfet de Loire-Atlantique, expliquant les menaces et demandant un soutien de l’État. Le courrier reste sans réponse. 

 

Le 10 février, le maire et deux de ses adjoints participent à une réunion avec le commandant de gendarmerie et le sous-préfet. « Lors de cette réunion, on a rappelé au sous-préfet tout ce qui s’est passé et le sous-préfet a dit que, des menaces, il en avait tous les jours, et le commandant de gendarmerie pareil », relève Yannick Morez devant les sénateurs. « Quand ils sont partis, on était choqués, avec mes deux adjoints, on était démunis, seuls. »

 

Évaluation des risques

La justice ne s’est pas montrée plus véloce. Un courrier envoyé le 15 février au procureur « pour dénoncer tous ces faits et rappeler le manque de soutien de l’État » restera sans réponse. Dix jours plus tard, une nouvelle manifestation du collectif réunit 250 personnes – surtout des militants d’extrême droite –, bien peu comparé aux 1 300 soutiens qui se réunissent le même jour mais suffisant pour que le mouvement d’opposition, galvanisé par la « victoire » revendiquée à Callac après l’abandon d’un projet d’accueil de migrant·es, poursuive ses actions.

 

Le 22 mars au petit matin, le maire est cette fois-ci visé par un « attentat criminel », l’incendie de ses deux voitures et d’une partie de son domicile, « probablement par un engin explosif ». « Le jour de l’incendie, j’ai eu plusieurs coups de fil, raconte l’édile aux sénateurs, un appel de la procureure qui n’avait toujours pas répondu à mon courrier, un appel du sous-préfet puis du préfet pour dire leur soutien, et un appel d’Olivier Véran [ministre délégué chargé du Renouveau démocratique, porte-parole du gouvernement – ndlr], seul ministre qui m’a appelé ce jour-là. »

 

Les courriers d’insultes et d’invectives continuent. Une nouvelle manifestation est prévue le 29 avril. Le maire écrit à nouveau au préfet, le 7 avril, « pour demander une protection renforcée », « le sous-préfet m’a répondu en indiquant qu’ils allaient faire une évaluation des risques ». Nouveau courrier au préfet le 17 avril, lui demandant d’interdire la manifestation du 29. Relance le 25 avril en l’absence de réponse. Celui-ci finit par lui indiquer, le 28 avril, « qu’il ne peut pas interdire cette manifestation pour des raisons juridiques ». « Au même moment, une manifestation était interdite à proximité du Stade de France… deux poids, deux mesures », relève, amer, Yannick Morez.

 

La manifestation du 29 occasionne de nombreux dégâts dans la ville, le maire écrit à nouveau au préfet pour s’en plaindre. « Il n’y a eu aucune réponse à ce courrier à ce jour. » Le 8 mai enfin, alors que le maire, sa femme et l’un de ses fils se trouvent à la terrasse d’un café de Saint-Brevin, celui-ci est à nouveau pris à partie par un membre du collectif. Au bout d’une « longue discussion avec ma famille », pour qui il était « très difficile de vivre cela », le maire décide de démissionner.

 

« De la part d’un préfet, mentir effrontément, en public… »

Il envoie donc sa lettre de démission le 9 mai et reçoit un appel du préfet… dès le lendemain. « Le préfet, je l’ai eu deux fois au téléphone, le jour de l’incendie et le lendemain de ma démission, c’est tout, assène l’élu. Le sous-préfet, une seule fois, le jour de l’incendie, depuis, plus jamais. » Pour lui, « le manque de soutien de l’État, c’était flagrant ».

 

Répondant aux questions des sénateurs, le maire se fait plus précis sur les reproches adressés aux uns et aux autres. Le 11 mai, le préfet de Loire-Atlantique, Fabrice Rigoulet-Roze, a donné une conférence de presse lors de laquelle il a déclaré que « depuis le début, le soutien de l’État a toujours été constant, à la fois auprès du maire, du conseil municipal », affirmant également avoir organisé « des réunions publiques, des échanges, de la concertation ».

 

« Quand il dit qu’il a organisé des réunions d’information… je ne sais pas, de la part d’un préfet, mentir effrontément, en public !, s’indigne Yannick Morez. Il n’a pas organisé une réunion publique, on a toutes les preuves. Il suffit de lui demander la date, il ne pourra pas la fournir, il n’en a pas fait ! » De même, le maire s’étrangle en entendant le préfet assurer que « des mesures ont été prises suite à un certain nombre d’intimidations, notamment de protection spécifique sur le domicile, des patrouilles particulières de la gendarmerie nationale autour, notamment après l’incendie  ». Au moment de la manifestation du 29 avril, l’évaluation des risques était selon lui toujours en cours…

 

La gendarmerie n’a pas non plus brillé par sa réactivité. Celle-ci a appelé le maire après son altercation du 8 mai dans un café de la ville, lui « demandant pourquoi [il] n’avai[t] pas déposé plainte ». « J’ai donc déposé plainte, a-t-il indiqué lors de son audition. Et je me suis aperçu en allant signer ma plainte hier en gendarmerie qu’ils étaient en train de travailler sur les tracts haineux. D’un seul coup, on peut faire quelque chose ! Sur le directeur de publication du site Riposte laïque aussi, on a appris qu’ils étaient en train de monter tout un dossier pour le transmettre au procureur. C’est curieux, des mois après… »

 

« Le côté humain je ne l’ai pas vu »

Sur un niveau moins local, Yannick Morez n’est pas plus tendre. Le député de la circonscription, Yannick Haury, par ailleurs son prédécesseur à la mairie, ne l’a pas appelé le jour de l’incendie. « Je n’ai eu le droit qu’au communiqué officiel qu’il a mis sur les réseaux, là, le côté humain je ne l’ai pas vu. » Pire, selon lui, « il y a deux, trois semaines, nous avons inauguré un nouvel Ehpad dans la commune. Monsieur le député qui était présent ne m’a même pas demandé de mes nouvelles. Il est intervenu hier lors des questions au gouvernement mais, bon, je n’en dirai pas plus. »

 

Le cas du maire a été évoqué à plusieurs reprises mardi lors de ces questions au gouvernement. Outre Yannick Haury, d’autres questions ont été posées au gouvernement. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’exécutif a tout sauf brillé. Gérald Darmanin, pourtant enclin à se saisir du moindre fait divers, a joué la fausse modestie, indiquant que « nous pourrions toujours faire mieux »

« Mieux en matière de prévention : Christophe Béchu et Dominique Faure sont tous les jours aux côtés de ces courageux élus locaux, a estimé le ministre de l’intérieur. Mieux en matière de protection : les services du ministère de l’intérieur, les policiers et les gendarmes œuvrent en ce sens. Mieux en matière de condamnations : le travail du garde des Sceaux, en lien avec les élus, est très important, puisque le procureur de la République a immédiatement ouvert des enquêtes judiciaires, qu’il ne m’appartient pas de commenter. » En d’autres termes, tout a été fait, en dépit de la perception du maire.

 

Quant à la première ministre, Élisabeth Borne, il est à souhaiter qu’elle connaisse mieux son dossier en recevant le maire démissionnaire à Matignon mercredi. « Yannick Morez a été victime de la vindicte, du harcèlement, des intimidations de groupuscules d’extrême droite et, la semaine dernière, son domicile a été incendié », a-t-elle lancé mardi dans l’hémicycle, alors que l’incendie a eu lieu le 22 mars, soit il y a huit semaines. « Chaque jour, avec le ministre de l’intérieur, nous protégeons les maires, les parlementaires et tous les élus menacés, a également dit la cheffe du gouvernement. Les préfets, les policiers, les gendarmes : tous sont aux côtés des élus pour les protéger quand, trop souvent, ils sont pris pour cible. »

 

Élisabeth Borne et Yannick Morez auront vraisemblablement beaucoup de choses à se dire. Pas sûr cependant que la première atterrisse à un moment dans la réalité du second. « Ma décision [de démissionner – ndlr], je ne reviendrai pas en arrière », a prévenu Yannick Morez devant les sénateurs.