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Fesneau : « Les Gilets jaunes nous rappellent aux promesses de 2017  »

VIDÉO. Pour le ministre chargé des Relations avec le Parlement, la crise des Gilets jaunes s'exprime avant tout par les fractures territoriales. Entretien.PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER PÉROU

Trois mois qu'il est au gouvernement et déjà la fatigue se lit sur son visage. Le job de ministre a ses exigences, mais l'ancien chef de file des députés MoDemfait désormais face à une crise politique quasi inédite. Le pouvoir est contesté, la violence s'invite chaque week-end et la parole de l'exécutif semble inaudible. Marc Fesneau (MoDem) s'imaginait-il une telle situation ? Sans doute pas, mais l'élu du Loire-et-Cher en a vu les prémices depuis nombre d'années. À ses yeux, la crise sociale qui s'exprime est « éminemment territoriale ». Quelle porte de sortie ? Comment réduire les fractures françaises ? À qui la faute : à la majorité, aux oppositions, aux prédécesseurs d'Emmanuel Macron ? Le ministre chargé des Relations avec le Parlement défend la majorité et s'attaque à ceux qui profitent de la crise. Dans son viseur, les Insoumis et certains à droite, mais aussi François Hollande avec qui il règle ses comptes lui reprochant d'avoir accéléré la fracture territoriale. Entretien.

Le Point : Certains Gilets jaunes veulent « entrer dans l'Élysée » quand d'autres, menés par des casseurs, s'attaquent aux forces de l'ordre. On pourrait ajouter les menaces de mort, les représentations de guillotines, les dégradations sur l'Arc de Triomphe et les agressions sur des journalistes. Qu'est-ce qui ne va pas aujourd'hui en France ?

Il ne faut pas ignorer ce phénomène de violence. Il n'est pas nouveau, en témoigne ce qu'il s'est passé le 1er Mai ou sur les ZAD de Nantes, de Bure et dans l'Isère. C'est ancien. Il y a un certain nombre de gens qui considèrent désormais que la désapprobation passe par la violence. En venir à ces actes pour s'exprimer, cela interroge beaucoup sur l'état de la démocratie en France. On a pu voir dans les manifestations de la semaine dernière des gens qui venaient des ZAD ou de groupuscules extrémistes et dont l'objectif est de « casser du flic ou du journaliste ou des élus ». Ces professionnels de la violence – si je peux m'exprimer ainsi – embarquent une minorité de Gilets jaunes à mener l'action violente, c'est une réalité. C'est ce qu'il s'est passé au Puy-en-Velay : 3 000 personnes, dont une petite quarantaine de ces professionnels de la violence qui entraînent les autres, et vont jusqu'à brûler une préfecture. Il faut bien comprendre que des gens qui n'étaient pas des casseurs ont beaucoup risqué pour eux-mêmes ce jour-là ! Des Français ont voulu brûler une préfecture et d'autres Français, fonctionnaires, agents du service public qui étaient à l'intérieur et quand les pompiers sont arrivés, d'autres les ont empêchés d'éteindre l'incendie. C'est extrêmement grave. Certains veulent emmener le pays dans une direction dangereuse et c'est pour cela que le politique doit faire attention à ses prises de position et à ses mots. Ce sont ces meneurs violents – qui représentent une minorité – qui ont pris le contrôle de certaines manifestations de Gilets jaunes d'autant plus facilement que le mouvement n'est pas coordonné et n'a aucune corde de rappel organisée.

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N'est-ce pas là la conséquence naturelle du dégagisme de l'élection présidentielle de 2017 ?

Il y a un an et demi, les gens ont dit au Parti socialiste et aux Républicains : « Vous avez échoué pendant trente ans, on va essayer autre chose de plus positif et optimiste. » Dix-huit mois plus tard, ils ont le sentiment – à tort ou à raison – que les choses n'avancent pas assez vite et que l'écoute n'est pas au rendez-vous. Il y a un sentiment d'être revenu au point de départ de 2017. Les Gilets jaunes nous rappellent aussi aux promesses de l'élection présidentielle. La crise de 2018 est en cela un miroir de 2017 : l'impatience et l'exaspération des citoyens français. Qu'il y ait 5 000 ou 5 millions de personnes dans les rues, il faudra répondre à cette crise qui vient de loin.

« L'irresponsabilité politique a été au rendez-vous »

C'est une nouvelle fois une adresse à la classe politique qui ne répond pas aux préoccupations des Français ?

L'irruption de cette crise met l'ensemble des représentants politiques devant leurs responsabilités. Le gouvernement et la majorité doivent s'interroger, mais l'opposition aussi. Depuis mercredi et jeudi, j'entends des élus appeler au calme et au dialogue. Guillaume Larrivé par exemple fut l'un des premiers à le dire très explicitement, et je le remercie. Beaucoup les ont rejoints depuis dans une logique responsable. Et je les salue tous par-delà les différences. La parole de Laurent Wauquiez sur le sujet a été tardive et tellement ambiguë. Son attitude visant à dire « Je n'ai jamais mis un gilet jaune » démentie immédiatement par les faits montre qu'il tient des positions au gré des circonstances. Ce n'est pas cela être responsable devant les Français. Quand on est, comme lui, le responsable d'une force d'opposition qui entend incarner une alternative ou quand on est un ancien président de la République, on est légitime à relayer les revendications, mais quand on enfile réellement ou virtuellement un gilet jaune, c'est une complaisance faussement jouée et irresponsable. Il y a là un dévoiement de ce qu'est l'engagement politique. Et que dire de Jean-Luc Mélenchon qui n'a toujours pas dénoncé les violences et qui, à l'Assemblée nationale, se félicite d'un « heureux les temps que nous vivons ». La misère de ceux qui sont sur les ronds-points n'est pas heureuse. La désespérance de ceux qui par contre coup voient les conséquences économiques de cette crise n'est pas heureuse. La violence qui s'exprime sur les policiers et gendarmes et sur les journalistes n'est pas heureuse. Les menaces de mort contre les parlementaires n'est pas heureuse. C'est extrêmement choquant de tenir de tels propos. Il est très facile d'agiter les foules et de faire monter la colère, mais il est bien plus difficile de les éteindre, de discuter et de réconcilier les Français pour améliorer la situation. La démocratie, ce n'est pas la destruction. Ces derniers temps, et particulièrement avec ceux que je viens de citer, l'irresponsabilité politique a été au rendez-vous.

Au fond, ils ont été des pousse-au-crime insurrectionnels. Je n'oublie pas non plus la responsabilité de certains médias qui invitent des gens, comme monsieur Drouet, qui appellent à défier l'ordre et la démocratie. J'ai du mal à comprendre pourquoi des gens qui ne font rien d'autre que vouloir mettre à bas la République soient constamment invités sur les plateaux. Ils ne représentent pas, je crois, le cri des Gilets jaunes. Ils le trahissent. Ils les trahissent. 
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Dans une étude pour la fondation Jean-Jaurès en février dernier, Jérôme Fourquet détaille une « sécession des élites ». Il explique qu'une partie de la population, la plus aisée, s'est autonomisée culturellement et sociologiquement du reste du corps social. C'est ce qu'il se passe ?

Oui, c'est aussi cette crise que nous vivons actuellement. François Bayrou l'a dit, depuis de nombreuses années, et Emmanuel Macron aussi l'a porté en 2017. Ceux qui font la loi ne donnent pas le sentiment d'en comprendre les conséquences. Ces derniers jours, je nous ai écoutés, ainsi que les chaînes d'info, dire « moratoire » ou « pas moratoire ». Un moratoire, ça ne parle pas aux gens. Nous avons perdu l'habitude d'exprimer des choses compliquées avec des mots simples. Tout comme il faut donner du sens à l'action publique, un cap. Ce manquement, pendant des années, de cap, de sens, a produit le « vous ne nous écoutez pas ». Plus qu'en la sécession avec les «  élites », je crois aussi aux mondes qui se sont oubliés : les grandes villes de la mondialisation d'un côté et le reste du territoire, urbain ou rural de l'autre. C'est en cela que la crise que nous vivons ressemble en partie à ce que les Américains ont pu vivre avant l'élection de Donald Trump. Ou les Anglais avec le Brexit. On parle aux gens de mondialisation heureuse, mais celui qui vit dans le fin fond du Montana ou dans la Creuse n'en voit pas les résultats comme celui qui vit à New York ou à Paris. Ces deux mondes n'ont pas eu les mêmes opportunités car on a cru que, dès lors que le pays s'enrichissait, tous allaient mieux. La question de l'injustice sociale est devenue éminemment territoriale. Les sociologues et géographes ont depuis longtemps observé l'accentuation de la diagonale du vide. De ces territoires qui ont tout vu disparaître et qui ont perdu avec leurs habitants tout espoir. On a dit aux Français que, avec les nouvelles technologies, l'accès aux services allait être simplifié et les distances se réduire. Or, c'est l'inverse qui s'est produit : l'éloignement pour nombre de Français. L'avènement du haut débit n'est pas vécu comme, en son temps, l'électricité et l'eau potable. Pour ceux qui n'y ont pas encore accès, c'est vécu comme un outil pour les autres. Il faut repenser cela, aussi, pour que le progrès technologique soit aussi un progrès social.

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Les nombreux messages et revendications des Gilets jaunes s'adressent en majeure partie à Emmanuel Macron. Peut-il encore rester silencieux ?

C'est la tradition française. Le président de la République parlera à l'issue de ce week-end. Et c'est mieux ainsi. Beaucoup a été déjà dit et mis sur la table. C'est au gouvernement, au Parlement et aux corps intermédiaires de désormais travailler aux solutions. Avec tous les Français de bonne volonté et ils sont nombreux.

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C'est donc à Édouard Philippe de monter au front et d'encaisser les coups pour le chef de l'État ?

Il prend des coups, il est en première ligne mais il est à l'œuvre et cherche des solutions. C'est son honneur. En 1968, c'est Pompidou qui les prenait quand le général de Gaulle ne s'exprimait pas. Nous avons un Premier ministre extrêmement solide dans cette tempête. Il y a toujours des gens qui glosent sur les démissions et qui cherchent un bouc émissaire. Ceux qui croient qu'il suffirait de chercher un fusible pour régler la crise politique et améliorer le pouvoir d'achat se méprennent terriblement. Nous avons été élus sur la promesse de faire de la politique autrement, et donc d'éviter ce genre de réflexe tellement facile.

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L'erreur n'a-t-elle pas été aussi celle d'une majorité déconnectée, qui a parlé de macro-économie quand les Gilets jaunes évoquaient, eux, le micro des bulletins de salaire ?

Il y a un terrible paradoxe. Cette assemblée n'a jamais autant représenté la diversité française contrairement à ce que beaucoup nous disent. Dans le groupe de La République en marche, il y a de nombreuses infirmières, des petits commerçants et artisans, des jeunes et des personnes issues de l'immigration. Il n'y a jamais eu autant de femmes ! Ce qui fut une vraie richesse en 2017, a été perçu à tort comme une société civile homogène et hors sol. S'il y a une erreur collective, c'est de ne pas avoir assez montré cette diversité, de ne pas l'avoir sans doute laissée assez vivre. La diversité, ce n'est pas un risque. C'est une richesse. Il faut mieux utiliser notre majorité, c'est-à-dire qu'il faut mettre plus en valeur ces députés qui peuvent dire et comprendre par expérience qu'ils ont vécu les difficultés que les Gilets jaunes expriment. Qu'ils sont des citoyens, simplement des citoyens engagés. Depuis quelques semaines, je vois des députés incroyablement courageux qui vont au contact. Et je déplore aussi malheureusement l'attitude de certains dans l'opposition. C'est toujours plus simple d'aller voir les Gilets jaunes pour en enfiler un que de travailler à des solutions. Prenez le député LR Julien Aubert. Il a posé une question sur les prix du carburant dans l'hémicycle mais n'a pas été capable de donner à des journalistes le véritable prix du gazole, à 40 centimes près ! Pire, il a dit que c'était sa femme qui faisait le plein quand ce n'était pas ses assistants ! Qui est réellement déconnecté ?

« L'ISF, il faudra l'évaluer »

Il y a tout du moins, chez Emmanuel Macron et les députés LREM, une déconnexion avec la réalité des territoires...

Ce n'est pas une question des parlementaires de la majorité. C'est une question globale. Si nous avions aujourd'hui aussi des députés-maires, la situation serait bien différente en termes de capacité de dialogue, je crois. Ça aiderait peut-être. Les gens iraient détailler leur colère chez leurs maires. Je crois que la fin du cumul, sec, et sans aucune réflexion sur les conséquences, a fait du mal. Il fallait limiter le cumul, j'en suis certain, mais pas ainsi.

Et on aurait dû en tirer toutes les conséquences pour penser le rôle de chaque élu : national et local. C'est parfait sans doute d'attiser les colères et de venir nous faire la leçon, mais qui est responsable de la crise de l'identité territoriale et d'identité tout court ? Qui a fait des régions et des découpages territoriaux qui ont nié l'identité et l'histoire des gens et des territoires ? Pourquoi le citoyen de Montpellier peut parfois se sentir écrasé par celui de Toulouse ? Pourquoi l'habitant de Guéret (Creuse) ne comprend pas pourquoi son problème de train ne peut se résoudre qu'à Bordeaux ? Tous les élus locaux et nationaux se sentent aujourd'hui dépossédés. On a supprimé le cumul des mandats parce que c'était l'air du temps, mais les gens réclamaient la fin du cumul des indemnités. On a renié le droit à un parlementaire d'être dans un exécutif local, c'est-à-dire aussi dans une part de la réalité des Français. Il serait sain que certains responsables politiques qui ont provoqué la crise actuelle soient plus décents et cherchent avec nous des solutions. Y compris démocratiques.

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La communication gouvernementale sur l'ISF a été cacophonique ces derniers jours. Son rétablissement ne serait-il pourtant pas une solution immédiate pour calmer la colère ?

On ne fait pas une mesure fiscale en claquant des doigts et sans risques. La fin de l'ISF partait de l'idée simple que ceux qui avaient de l'argent, mieux valait qu'ils l'investissent en France pour créer des emplois. On peut interroger le dispositif. C'est un débat utile. Mais s'il est avéré que les 2,7 milliards seront réinjectés dans l'économie, qui pourra dire que c'est une mauvaise mesure ? Si c'est l'inverse, qui peut dire qu'il ne faudra pas ajuster la mesure ? Personne. Ça a été dit dès le début. L'ISF, il faudra l'évaluer.

Publié le 08/12/18 à 14h00 | Source lepoint.fr