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Deux ans déjà. Que s'est-il passé chez les constructeurs automobiles depuis le dernier Mondial ?

La grande modification depuis 2016, c'est l'éruption de technologies permettant d'envisager des voitures beaucoup plus connectées ou autonomes, et surtout des services de mobilité. C'est visible. Les constructeurs ont vraiment intégré le fait qu'ils allaient s'occuper de ces services, non seulement en étant des partenaires très importants des opérateurs, mais aussi en lançant leurs propres offres. Regardez ce qui se passe à Paris avec l'après-Autolib', tous les constructeurs proposent leurs services. Vous allez voir la même chose dans toutes les villes du monde.

 

Opérer des services de mobilité, ce n'est pas dans l'ADN d'un industriel...

C'est notre challenge à cinq ou dix ans : transformer nos ambitions en réalité sans perdre notre chemise, avec une stratégie équilibrée entre la croissance, d'un côté, et la profitabilité potentielle de l'autre. Au sein de l'Alliance, nous avons un plan solide sur le véhicule connecté, autonome et le robotaxi. Il y a deux ans, il s'agissait de quelques concepts ou prototypes. Maintenant, nous avons un programme structuré. Nous sommes plutôt en avance sur la concurrence. Si nous faisons bien notre travail au niveau des produits et du marketing, ces services peuvent générer davantage de revenus et de rentabilité que le reste de nos activités.

 

C'est moins nouveau mais au Mondial, on parlera aussi beaucoup de voitures électriques. Vous estimez toujours mener le bal ?

Evidemment. Si on lit les déclarations des uns et des autres, on ne sait pas très bien qui est en tête et qui est derrière. Mais il suffit de compter les voitures sur le terrain. Nous sommes devant les autres en termes de ventes et de rentabilité, c'est la réalité. Nissan Leaf et Renault ZOE se partagent la première place en Europe, Leaf est la voiture électrique la plus vendue dans le monde, Kangoo ZE est numéro un des ventes européennes d'utilitaires électriques, et beaucoup d'autres produits arrivent, comme la K-ZE en Chine à partir de l'an prochain. Pour l'instant, quand on regarde le podium, on est bien. Cela ne veut pas dire qu'on le sera toujours, tout est encore ouvert, mais aujourd'hui, c'est nous qui occupons le terrain.

 

Les concurrents, notamment allemands, lâchent pourtant les chevaux sur le lithium-ion...

Il y a beaucoup d'annonces sur le nombre de lancements et les objectifs de ventes. Après, passer de moins de 5.000 véhicules cette année à 1 million dans trois ans, ce serait un record. Si quelqu'un est capable de le faire, je lui tire mon chapeau. Fin 2022, 50 % de l'offre de l'Alliance (y compris celle de Renault) sera électrifiée. Et plus de 10 % de nos ventes seront faites en pur électrique dans quatre ans, avec sept ou huit produits mondiaux à gros volumes. Ce que nous ne voulons pas, c'est faire du volume à perte.

 

 

La voiture électrique n'a pas vocation à rester durablement plus chère que son équivalent essence ou diesel ?

A un moment, les prix vont basculer. Cela dépendra des bonus et des malus fixés dans chaque pays. Sur le plan industriel, les coûts de production devraient rapidement diminuer avec l'évolution technologique et l'augmentation des volumes. A la fin de notre plan stratégique, fin 2022, notre gamme zéro émission sera au moins au niveau de profitabilité de la moyenne du groupe.

 

Vous avez changé d'avis sur l'hybride rechargeable, auquel vous ne croyiez pas il n'y a pas si longtemps ?

Notre offensive portera d'abord sur l'électrique pur, c'est pour nous la technologie ultime. Maintenant, s'il y a une demande spécifique de marché, cela ne nous empêchera pas de faire de l'hybride ou de l'hybride rechargeable, dans certains pays où ils sont comptés pour les bonus. Mais nous ne chercherons pas à prendre le leadership sur ces technologies.

 

Parviendrez-vous à tenir vos objectifs C02 européens malgré la chute du diesel ?

La baisse du diesel est très rapide. Nous révisons nos prévisions pratiquement tous les trimestres. Si je vous donne un chiffre aujourd'hui, il sera faux dans trois mois. Le marché a du bon sens : il sent que les politiques vont dans le sens d'un déclin du gazole, les clients évitent donc cette motorisation, sauf dans certains cas comme les grands utilitaires ou certains modèles très haut de gamme. Nous allons vers un déclin durable du diesel. Ce n'est pas justifié, mais un marché n'est pas fait que de considérations objectives... Nous avions dit que nous réduirions notre offre diesel de moitié d'ici à fin 2022, je crains désormais qu'on ne doive aller plus loin.

 

Et votre objectif CO2 ?

On le tiendra grâce à notre offre, je suis confiant. Le seul doute, c'est que cela dépend aussi du nombre de véhicules électriques vendus. Si les bonus sont maintenus ou développés dans les pays européens, cela sera plus facile.

 

En parlant de ce qui a changé depuis deux ans, Donald Trump n'avait pas encore lancé sa guérilla commerciale en 2016...

C'est un vrai changement. Nous étions auparavant dans une perspective linéaire d'ouverture des frontières. Mais là, pour la première fois de manière sérieuse, il y a des hoquets. Les conséquences, ce sont, d'une part, la localisation régionale de la production de plus en plus poussée et, d'autre part, la remise en cause sélective des chaînes d'approvisionnement mondialisées.

 

Avec quel impact sur l'Alliance ?

Il y a beaucoup de nuages, mais il n'y a pas encore d'orage. Il y a eu la grande menace sur les relations commerciales entre les Etats-Unis et le Mexique : finalement, ils ont trouvé un accord, qui est bon car il va apporter de la visibilité pendant les quinze ou vingt prochaines années. Sur les autres sources de tensions, entre les Etats-Unis et la Chine, l'Europe ou même le Japon, nous ne sommes pas vraiment touchés - même si Nissan ou Mitsubishi pourraient l'être, non pas sur le flux des voitures mais sur celui des pièces. On ne peut plus tabler sur un commerce libre sans soubresauts de temps en temps. C'est pourquoi il ne faut pas être trop dépendant de pays qui risquent de faire l'objet de sanctions, de limitations ou de taxations.

 

Comme l'Iran ?

Nous avons mis nos activités sur place en veille. C'est un marché à fort potentiel, sur lequel Renault a un avenir, mais nous ne pouvons pas nous permettre d'être concernés par les sanctions américaines. Nous sommes en contact avec les autorités américaines, et nous nous conformons aux règles. J'espère qu'un jour une entente permettra de lever les sanctions.

 

Préparez-vous Nissan, qui possède une grande usine au Royaume-Uni, à un Brexit dur ?

Personne n'est capable de dire ce qui va se passer dans trois mois. Nous avons reçu il y a deux ans des assurances du gouvernement britannique sur la prise en compte de la compétitivité de l'industrie automobile dans les négociations. Franchement, il n'y a pas de raison d'en douter. Depuis 1999, j'ai acquis une certaine longévité dans les relations avec les locataires du 10 Downing Street, qui ont tous appuyé l'industrie automobile. Cela dit, si les conclusions allaient contre nos intérêts, nous en tirerons les conséquences. L'industrie automobile est habituée aux crises et aux changements de règles. La seule chose qu'on demande, c'est de la visibilité.

 

Avez-vous avancé sur la structure qui permettra à l'Alliance de devenir indestructible ? Vous aviez dit qu'une solution serait trouvée au début de votre mandat...

C'est encore trop tôt. Un mandat, c'est quatre ans...

 

Pendant combien de temps encore serez-vous impliqué dans le groupe ?

(Rires). On attend de moi que je pilote cette nouvelle étape, je le comprends parfaitement. Je suis dans une position unique d'avoir de la légitimité sur les trois entreprises, puisque j'ai opéré sur les trois.

 

Après le mariage PSA et Opel, voyez-vous la consolidation dans le secteur se poursuivre ?

L'industrie va continuer à se consolider sous la poussée du développement technologique, et de la recherche d'effets d'échelle. La taille n'est pas tout, mais elle aide !

 

L'Alliance pourrait être intéressée par Ford en Europe ou Fiat-Chrysler ?

L'Alliance ne prendra aucune initiative. Nous sommes déjà le premier groupe mondial, avec 11 millions de voitures envisagées cette année. Nous n'avons pas besoin de grandir. Un constructeur qui vend 3 ou 3,5 millions de véhicules par an, son obsession c'est de grandir, même s'il dit l'inverse. A 11 millions, ce n'est plus une priorité. Mais si une opportunité se présente, pourquoi pas.

 

Le segment premium ne manque-t-il pas à la gamme de l'Alliance ?

Il n'y a pas de fatalité, mais aujourd'hui notre priorité n'est pas la montée en gamme. Elle est plutôt de nous assurer que nos futurs produits seront modernes et correspondront à la demande des clients sur la connectivité ou l'autonomie. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles notre coopération stratégique avec Daimler se passe bien : on ne se voit pas comme concurrents.

 

Votre marge est inférieure à celle d'autres constructeurs qui pourtant vous ressemblent. N'êtes-vous pas jaloux ?

Pas du tout, au contraire. Avoir des concurrents forts, c'est une chance, cela pousse les équipes. Quand notre concurrent national était en difficulté, sa défaillance ne nous aurait apporté que des mauvaises nouvelles. Nous avons les mêmes fournisseurs et quelques distributeurs en commun...

 

Sinon, vous venez de signer un partenariat avec Google, qui intégrera le système Android dans vos véhicules. N'est-ce pas faire entrer le loup dans la bergerie ?

Le danger consisterait à affaiblir notre capacité à concevoir librement notre produit. Avec cet accord, nous n'abandonnons pas la souveraineté sur nos voitures. Nous répondons à une demande des clients avec quelque chose qui correspond à notre cahier des charges. Google sait qu'il ne rentrerait pas dans nos véhicules s'il devenait une menace pour nous. Nous aurions pu développer notre propre système, mais l'Alliance est soumise à un tel déluge d'investissements... Chaque fois qu'on trouvera un partenaire qui a des choses pour nous, dans la mesure où nous restons l'architecte que nous sommes, nous irons dans cette direction. D'autres annonces suivront et iront dans ce sens.

Source: Julien Dupont-Calbo, Anne Feitz et David Barroux