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Ne tombons surtout pas le masque!

 

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Journal d’épidémie

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Journal d'épidémie, par Christian Lehmanndossier

La politique continue à primer sur la santé

 

Christian Lehman est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Aujourd’hui, la précipitation du gouvernement à lever des restrictions.

Santé24 janv. 2022abonnés

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Aujourd’hui, il rappelle que le port du masque est un indispensable des gestes barrières, alors que le gouvernement entrouvre la porte à la fin des restrictions sanitaires.

Vendredi 14 janvier 2022. Deux ans après le début de la pandémie. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, est l’invité du 8h30 de France Info. Au lendemain d’une mobilisation massive des enseignants réclamant un protocole sanitaire moins incohérent, il vient en studio esquisser du bout des lèvres un mea culpa : «Je ne suis pas parfait, je fais des erreurs, je crois que c’est le propre de l’être humain.» Exercice habituel d’autojustification de celui qui s’enorgueillit constamment d’avoir gardé l’école ouverte en s’inventant tout au long de la pandémie des hommes de paille, les ayatollesques «enfermistes» qui demandaient simplement à sécuriser l’école. Jean-Michel Blanquer annonce enfin l’arrivée prochaine de masques FFP2 dont il fustigeait l’inutilité le mois précédent. Deux jours après avoir été cas contact d’Olivier Véran déclaré Covid la veille. En studio. Sans masque.

Mardi 25 janvier 2022. Deux ans après le début de la pandémie. Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique, est l’invité du 8h30 de France Info. Pendant près d’une demi-heure, il va insister sur la faible sévérité du variant omicron : «Le chiffre des nouvelles contaminations n’a plus tout à fait la même valeur qu’il avait avec les variants précédents…» et féliciter le gouvernement d’avoir programmé une levée des restrictions sans se baser sur des critères chiffrés : «Et, très honnêtement, je ne suis pas là pour donner des plus ou des moins mais je trouve que c’est assez intelligent parce que sur quels indices ?» avant de soutenir l’action de Jean-Michel Blanquer : «La France est, rappelons-le, le pays qui a laissé le plus les écoles ouvertes, c’est une fierté et je pense que c’est une grande réussite pour de multiples raisons et surtout les gamins eux-mêmes.» Interrogé sur le protocole de test (et alors que le conseil scientifique pendant tout l’automne avait demandé des procédures de test régulières qui n’ont jamais été mises en place), sa réponse a le mérite de la clarté : «Ecoutez, il y a eu beaucoup de changements alors, à un moment, faut arrêter de changer parce que les familles sont totalement perdues… soyons un tout petit peu constants.»

A la fin de ce vibrant plaidoyer en faveur de l’action gouvernementale survient cependant un petit couac, quand Marc Fauvelle demande au professeur Delfraissy pourquoi, pour la première fois depuis deux ans, il intervient en studio sans masque : «D’abord je porte un masque tout le temps… là, j’ai décidé de pas le mettre ce matin parce qu’il y a quand même un niveau d’expression qui n’est pas le même derrière un masque.» Au journaliste qui lui objecte que cela a toujours été le cas, le professeur répond : «C’est un signe aussi qu’il faut commencer probablement à… à anticiper ce qui nous attend à partir de la mi-mars… on est dans une épidémie de long cours… on a un niveau de vaccination qui va être très élevé, on a les médicaments qui arrivent, on a un virus qui va se banaliser sauf que je peux être totalement contredit dans quinze jours avec l’arrivée d’un nouveau variant qui pourrait être plus virulent.» Et à la question : «A quel moment est-ce qu’on pourra définitivement arrêter le port du masque en intérieur ?» il répond : «Je ne sais pas, en tout cas pas maintenant, il faut continuer à le porter.» En studio. Sans masque.

«Demeurée»

Janvier 2022. Deux ans après le début de la pandémie, et alors que l’on croise encore dans les magasins des gens qui ne savent pas que leur nez fait partie de leur système respiratoire, Beryl est dans un centre de vaccination : «Aujourd’hui, j’ai emmené mon fils de 6 ans se faire vacciner. Ma plus grande fille nous accompagnait. Tous trois nous portions des FFP2. Le médecin avant de partir m’a demandé : “Pourquoi portez-vous ça ? C’est pas la peine de mettre ça. La Société française de pédiatrie a dit que cela ne servait à rien. On respire mal avec ça, et de toute façon l’OMS a dit que la moitié des Européens allaient l’avoir.Je n’ai pas eu les mots. J’ai eu l’impression d’être une demeurée.»

Courant janvier, le docteur Gabriel Birgand, praticien hospitalier au Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins des Pays-de-Loire, me faisait suivre une étude sociologique du port du masque en population générale, l’étude Qualimask. Sans surprise, on y constate que bien que le port du masque soit un pilier des mesures barrière, «le masque est passé d’un instrument sanitaire à un accessoire vestimentaire obligatoire dont on attend principalement qu’il ne perturbe pas le quotidien et n’entrave pas les interactions… Il est perçu comme frontière, incompatible avec des relations sociales, en tout cas avec les “autruis significatifs”… La distanciation est évoquée comme une solution alternative au masque. Les institutions (école, travail) jouent un rôle central dans la structuration d’une pratique régulière du port du masque. Sur le long terme, chaque nouveau changement de doctrine décrédibilise un peu plus les qualités sanitaires du masque… Cette étude suggère une faible appropriation du port du masque par la population générale, qui est porté comme une obligation et non une solution. L’imaginaire du risque de contamination se restreint à la foule et l’inconnu. Les institutions constituent un levier important dans la structuration d’une pratique régulière du port du masque, et la construction des habitudes. Le retour du masque comme instrument sanitaire nécessite la communication de données tangibles d’efficacité individuelle.»

Grosses gouttes

Alors que les contaminations explosent, une mesure de protection aussi basique que le masque n’est toujours pas intégrée. Les mensonges gouvernementaux originels sur sa prétendue inutilité, les revirements politiques qui suivirent, avec des mesures purement vexatoires sans intérêt médical (port du masque sur la plage, port du masque en extérieur alors que celui-ci n’est utile qu’en situation de très forte densité, et que l’humidification d’un masque peut nuire à son efficacité au moment où l’on pénètre dans un magasin), ont conduit nombre d’entre nous à ne considérer le masque que comme une vexation inutile. L’absence coupable de communication efficace sur les modes de transmission et en particulier l’aérosolisation, a engendré une telle cacophonie que la réduction de l’incidence du Covid par le masque est presque passée au second plan. Et nous revivons aujourd’hui, deux ans après le début de la pandémie, les mêmes atermoiements au sujet des masques FFP2, qu’au sujet des masques chirurgicaux en mars 2020.

Ainsi Olivier Véran, le 10 janvier, expliquait-il lors d’une audition devant le Sénat que les autorités sanitaires françaises n’étaient pas favorables à généraliser le port du masque FFP2 «bien qu’il soit plus protecteur contre la propagation du coronavirus…» Tout au plus le port d’un FFP2 était-il recommandé pour les personnels de santé considérés à risque parce qu’«exposés à des gouttelettes». Cette image, qui évoque de grosses gouttes, des postillons émis pendant la toux, ne correspond pas du tout à la réalité de la transmission par aérosolisation, qui s’apparente plutôt à de la fumée de cigarette due à la stagnation dans l’air de petites particules virales entourées d’un peu de mucus, qui sont émises lorsqu’on respire, lorsqu’on parle, lorsqu’on chante, et peuvent rester en suspension lorsqu’il n’y a pas d’aération. Autant les gouttelettes de toux sont bien arrêtées par un masque chirurgical, autant les particules virales aéroportées sont mieux arrêtées par un masque FFP2.

A ce stade, alors que sans l’annoncer clairement les pouvoirs publics capitulent devant le virus en espérant avec ferveur une immunisation effective avec un variant omicron très contagieux mais dont la gravité sur le moment semble moindre (et ce sans avoir aucun recul sur le risque ultérieur de syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique-PIMS- ou de covid long), vous pouvez vous protéger au mieux en optant pour des masques FFP2. Porter un masque chirurgical, c’est diviser le risque de contamination par 3,5. Porter un masque FFP2, c’est diviser le risque de contamination par dix. Passer de l’un à l’autre, c’est donc diviser votre risque par près de trois. Légèrement plus onéreux que les masques chirurgicaux (autour de 50 centimes d’euro pièce), les masques FFP2 peuvent comme eux être séchés à l’air libre et réutilisés jusqu’à cinq fois. Ils peuvent être lavés. Il en existe plusieurs sortes, et il peut être utile de choisir ceux qui s’adaptent mieux sur votre visage, sans béer sur les côtés. De par leur forme, ils gênent souvent moins la respiration et la parole. En pinçant bien la barrette nasale, ils évitent en grande partie la buée sur les lunettes. Et, cerise sur le gâteau, il est impossible de porter un FFP2 sous le nez. Même si vous êtes porte-parole du gouvernement.